(h)êtres

on voudra bien laisser aux arbres 

la chance de se serrer

le fruit merveille tombé à deux pas 

devient un nouvel hêtre 

et plus les branches sont vastes

plus l’aventure de vivre à plusieurs 

est au réchauffement mutuel des brindilles 

au frémissement collectif des halliers 

pour peu qu’ils aient été choisis 

pas le hasard pour orner un vallon 

ces quelques fûts font une forêt

ils s’engendrent à la verticale du soleil 

s’emplissent des mille et un chants

cachés bleus sous les feuilles

c’est fou cette histoire 

on dirait nous sans la plainte

on dirait nous sans le bruit

nos petites maisons champignons sont si belles pourtant 

monotones c’est vrai

un toit pour quatre

il y fait doux 

entends-tu le déclic joli qui file vers le printemps

au rythme de nos pas

le bonheur est dans l’entrée

bleu mésange rouge gorge par la croisée 

au fait

de quoi te plains-tu

Retour sur le COVID

 Au tout début de deux mille vingt, la terre poursuivait sa bonne femme de rotation et le soleil secouait ses premiers blés sur le crâne labouré des terres d’ici: on était bien. L’an était lancé dans sa saison, rien à dire. Je me souviens des premiers parfums, hors boue un peu, hors pluie parfois, vapeurs jolies aux tempes qui s’éveillent en faisant ce petit craquement de terre qui augurait l’éveil civil; janvier, février, tout fut calme. Je crus un moment que le silence allait revenir, celui qui précède la musique et sur lequel le poète installe ses violons miracles et son refus des battements qui fuient. On allait même vivre un printemps défait des oripeaux habituels, giboulées, noirs réveils d’automne. Les querelles songé-je allaient aller diminuant, la paix intérieure était prête, là, à deux pas, elle se dansait sur les vélos multipliés, sur un mars sans guerre, sur un petit avril aux oiseaux revenus. Le fil des jours certes constamment ténu, tissait sa toile et l’on espérait bien vivre un temps sinon toujours un peu boiteux, au moins gentiment claudiquant. Depuis janvier les nuits avaient l’élégance de s’effacer lentement, sans bruit, un peu lasses, il faut bien dire, de l’hiver barbotant. 

Je traversai étourdiment les premières semaines; les cœurs s’épanchaient, c’en était presque à passer les après-midis au lit à refaire, lisottant, écrivaillant, le monde et le solstice d’hiver tout à la fois. J’entends encore les griffes des merles contre la gouttière, comme un gage d’affairement fort utile avant la survenue de la saison aux œufs, aux petits, aux allers nourritures et aux retours précipités. Quelque chose rôdait pourtant. Le vent d’ouest m’avait prévenu, répétant que ce n’était pas si simple. J’avais tort de me fier à ses retours inlassables. Les tempêtes de mars sont pourtant claires, maugréait-il. J’étais négligent, pratiquant jusqu’à l’imbécillité un optimisme qui n’a rien de commun avec la vraie vie. Tu es debout vivant, prends garde, disait l’ouest en me voyant gambader sur les berges de la rivière proche. Le courant et les tourbillons sont des nids de traîtrises. Je songeais: le temps et ses dangers, je sais tout par coeur, ce n’est pas un printemps de plus qui va me bousculer tout cru, j’en ai vu d’autres. 

On n’est pas sérieux quand on a soixante treize ans.  Rien ne pouvait survenir. Et puis un jour d’avril, une méchante brume mondiale menaça de se glisser à l’intérieur de nos corps. Depuis, nous voilà bien empêtrés dans cette affaire qui largement nous dépasse et qui en 2022 nous visite toujours.   

lit

jadis nos regards sautant le ruisseau

se croisèrent sur les remous du cours vagabond

j’admirai bientôt ta rivière qui appelait les affluents

notre rencontre eut lieu à l’auberge de l’an neuf

là où les rives du fleuve se serrent au même lit

Le soleil du 21 décembre et nos penchants criminels

Très fier, le soleil, ce matin du 21;  je pense à ces grottes néolithiques visitées en Irlande(Newgrange); on allait jusqu’au bout, jusqu’au fond, il y avait là une manière d’arrondi qui avait été taillé par les hommes du temps (comme une chapelle) et c’était ici que les hommes se rassemblaient, tout au fond, pour attendre la survenue du rayon du soleil le 21 décembre; sinon les autres jours de l’année le soleil ne pénétrait pas droit dedans, voire pas du tout et on m’avait affirmé que des Irlandais pratiquaient toujours ce rituel du 21 décembre, en hommage aux êtres humains qui l’avaient inventé. Le retour de la lumière se célébrait ainsi, dans une grotte “meurtrie par l’ombre” (aurait dit Borgès), un seul jour dans l’année la grotte s’illuminait dès le lever, ce devait être une grande joie. Et puis un jour, par hasard, j’ai appris que ce 21 décembre était un jour de sacrifice; on sacrifiait à la lumière; rituel des hommes pour les hommes, pour se concilier la lumière, le soleil et la joie de vivre. Des actes abominables s’y commettaient, sacrifices humains, trop humains. 

Il ne s’agit pas d’avoir le regret de ces cérémonies criminelles(pudiquement nommées: sacrifices), mais de constater que la grotte de Newgrange est une forme primitive de l’église telle que nous l’avons connue depuis des milliers d’années; et voici qu’elle se vident sous nos yeux. Au fait, que se passait-il? On ne sacrifiait plus rituellement, le Christ avait remplacé ces actes abominables à nos yeux  et c’est pourquoi on a eu durant deux mille ans un supplicié comme superstition émouvante. Il faut croire pourtant que Jésus n’y a pas suffit puisque nous avons continué ces rituels barbares à travers ce que nous avons appelé les guerres: elles n’ont jamais cessé. 

Je me demande ce qui va remplacer ce modeste moyen (l’église positive, les guerres négatives) d’apaiser notre agressivité masculine naturelle. Peut-être les femmes; elles s’y emploient en tout cas. Tout ça pour le Chromosome Y ! Si la guerre se démode relativement, “Y” demeure. Que faire de cette lettre qui cogne à la porte des hommes de manière insistante? 

Freud qui avait parfaitement analysé le “Malaise”, propose la sublimation; il s’agit de créer pour remplacer ce crime qui rôde du côté des hommes. La création contre le crime, c’est bien, mais ça ne semble pas suffisant. 

C’est ce qui explique la ruée sur les fictions criminelles. Cette étrange invention qui remonte à Edgar Poe (c’était hier!) – peut-être “L’auberge rouge” de Balzac – ouvre au chromosome Y un champ très vaste, infini, de rêveries criminelles qui apaisent nos psychés. Les séries TV, les romans noirs si bien nommés(Marcel Duhamel), voilà qui pourrait bien mettre un peu de paix féminine dans nos esprits gravement atteints par le manque de substituts criminels. 

Je crains que ce ne soit pas suffisant. Et si l’on inventait un vaccin? Un ARN messager (des dieux) qui prémunirait contre la pulsion criminelle… Qui sait? 

Christiane Parrat à propos d’Anselm Kiefer

(merci à Christiane pour cet envoi)

C’est un créateur hors norme dont les œuvres, sculptures ou toiles géantes choquent, dérangent. Je l’avais découvert en 2007 au Grand Palais, à Paris. Tout cet espace immense pour lui. : Monumenta ! Des amas de béton partout, des barbelés enchevêtrés ,une atmosphère de désolation. Des tentes disséminées où découvrir son œuvre. Partout des phrases extraites des poèmes de Paul Celan.
Toiles emplies de paysages brulés formant murs de matière, impénétrables. Neige ensanglantée. Terre sillonnée et désolée. C’est une matière brute, violente, primitive. Strates recouvrant des strates.Avions détruits en plomb. Livres en verre brisé. Tournesols calcinés. Cendres et paille. La terre allemande en souffrance, ravagée par la guerre. Kiefer met en scène la catastrophe , lamutilation par le génocide. Mémoire du nazisme. Effondrement des valeurs humaines.
La série « Magarete et Sulamite » m’a bouleversée. Cheveux et cendres pour l’une, paille dorée pour l’autre.
Quelques vers de Celan (Pavot et mémoire):
« Un rien
Nous étions, nous sommes, nous resterons en fleur
La rose de rien
de personne. »
Puis le ciel etoilé « Sternenfall / La chute des étoiles » (entre chute et lumière). Ciel de plomb qui écrase l’espérance.
Comme l’écrit votre cher poète, Hölderlin : « Ce qui demeure, les poètes le fondent. »
Todesfuge / Fugue de mort.
La pensée juive comme un antidote contre cette catastrophe de l’Histoire du XXe siècle. Absurdité des guerres, des massacres.
Deux hommes qui travaillent la matière de mémoire, l’un avec des mots, l’autre avec de la glaise sombre.
Et pour Kiefer, comment être un artiste allemand après l’exploitation de l’art par le national-socialisme ?
Question que vous avez subtilement posée dans votre recueil bilingue avec Helmut Schulze « Le Chemin / Der Weg » même s’il s’agissait de la guerre de 14/18..
Cette question traverse le travail de Kiefer.
Cette nouvelle exposition au Grand Palais, annoncée par Paul Edel, illustrée par JJJ, semble esquisser un désir d’ascension spirituelle. Le songe de Jacob ? L’art peut-il prendre son envol ?
Une œuvre qui interroge la souffrance d’un passé proche et lointain.
Comme l’écrit Margotte, « c’est glaçant ». Un artiste qui m’entraîne dans un labyrinthe. Est-il Dédale, Thésée ou le minotaure ?

un rêve l’hiver

valide j’allais vers les troncs amis 

l’aventure de vivre coulait joyeuse 

malice et rires sous les pas 

décembre usé renonçant à me suivre 

je tournai le dos à ses soirées maussades 

appelai de tous mes voeux l’an neuf

cueillis du gui escaladant le saule aux graves appuis

et l’enfance revenant au creux des biceps 

je ris de glisser sur l’écorce du sapin proche

je me dis que l’amidon des décennies 

n’avait pas trop déçu mon compagnon fidèle 

le rêve ce rêve d’aller loin toujours plus loin 

tuiles arêtes vertiges et folies des ardoises 

il me sembla que rien contre ma poigne

ne s’opposait à mon envie de survoler les cimes

lâchant la branche au dernier moment

alors que mes pieds touchaient la terre  

je vis s’éclipser dans un sifflement amusé

du rameau les mille hardiesses que je formais

la lune vite arrivée furieuse présence 

s’empara de l’horizon en un seul surgissement

je sentis monter dans sa ronde cruelle

le chant fourbu que j’étais devenu 

lunaisons infinies des jours des nuits

j’étais fou d’espérer une souple existence

le gel des os est la loi des ans

et c’est désormais le glacé du mois 

qui demeure mon seul temps

cabane

cabane

je vois la cabane qui tremblote 

ses fondations se fendent dans le silence

glacé du lac où virevoltent encore 

les chants lointains de juin et les souffles d’octobre

je serrerai mon écharpe aux bourrasques de mars 

bien sûr mais tout l’hiver désarmé 

à cru la musique va s’éteindre sans source

elle va se cacher des azurs lourds d’averses

me voilà hérisson recroquevillé chantant 

sous les feuilles l’hymne que l’on connaît 

le chant préserve du feu du froid 

et de la lente et longue peine aussi

mes lèvres s’essaient en divines voyelles 

aux rives du lac désormais déchiré 

zébrures anarchiques où j’attends 

que les vents aient dévoré semaines et mois 

un jour le ciel admettra que c’est trop 

le tiède fera loi caressant les feuilles mortes 

je m’exhumerai alors de ma cabane 

me surprendrai à imiter le retour des oiseaux 

j’en profiterai pour cimenter mes appuis 

c’est ainsi qu’on sifflote en avril 

soucieux de protéger les ans des cataclysmes 

et des froidures crevants du présent blanc

alors le chant seul avec le monde 

redira le chemin chaud qui mène au lac

où les voiles vibrent sous la brise tranquille

contes d’hiver

gracieux friselis des buissons nus 

des disputes se content sous la brise 

et je m’imagine un sens au dépouillement 

des branches brindilles et rameaux

qui dans leur obscénité non voulue 

s’ébrouent dans l’air réfrigéré

il est question du solstice sévère

où j’entends craquer l’axe terrestre

on me dit que je rêve et c’est possible 

je crois plutôt à la venue du neuf

l’an parle pour me forcer la main 

je dois écrire dit-il écrire écrire

je n’écoute plus les voix humaines 

elles gèlent vite et s’émiettent 

laisse ton chant libre viser le vent 

et ta gorge s’échauffer de joie

aux échanges des amours contre l’an

je te donne tu me donnes crois-le 

et la main et le baiser fluide

apaisent les aspérités graves

qui procèdent au fil de notre glace saison

fables de hasard contes sans logique 

rages déjà mordues du présent 

coiffant la froidure

qui fond sous la chaleur du corps dansant

léger mais fier

enfants

il faut des nuits pour que le jour advienne 

ainsi l’automne prépare-t-il l’avril en tapinois 

j’admire ce beau déclin 

où les feuilles calfeutrent nos lilas 

quand l’or venu des bleus célestes tourne en pluie terne 

obstinément ocre puis brun

noyant nos heures grises 

sous un rideau poisseux 

je guette à l’est une aube

autrement grave 

nous sommes exposés aux chauds aux froids 

exister est tout compte fait notre unique saison

avec ses humeurs mauves

et son déclin tout de frilosité ingénue 

car on n’apprend pas à vieillir 

les souvenirs s’entassent 

la mémoire devient ce fatras 

où les moments gonflés de dires 

d’émerveillements colorés

basculent en un instant 

autant de feuilles d’or

que la terre nue entassera en toute cruauté

l’amour demeure seul écarlate entre les mains 

une pensée de nous relayée par les enfants 

puis les enfants des enfants des enfants

et c’est ainsi que je pense à l’automne 

sautant les flaques 

froissant les feuilles 

croquant la pomme nouvelle

promenade

promenade

je me perds dans les chemins tendus

le pas me mène 

la peine aussi 

les feuilles sous le vent 

laissent cascader ors et larmes

les lèvres me brûlent

la peur d’avancer m’alimente les rêves

dans la clairière seul

le chagrin pousse l’errance de son filtre mineur 

et soudain l’allégresse surgit aux poumons 

la marche se fait plus vaste

j’entends des rires là-bas

buissons de joie cachée 

l’automne se fait berceau

nourrice qui chante ses échos jusqu’au fond des bois

clarine velours et mauve de pluie 

le passé à mon pas

je reviens

sous la bruine amorcée 

contre ce souriant balai de l’ouest un peu vif

il me semble que je danse

dans la boue des ornières

admirant les bouleaux aux frissons

oriflammes glorieux qui saluent 

le petit bonheur du grand retour 

auprès de l’âtre dévorant 

aube d’automne

rivé à la vitre 

j’admire le réveil automnal

les volutes les brumes devant lesquelles je frotte en vain mes paupières 

puis la croisée puis les lunettes 

inutiles folies que je frotte encore

résigné je m’installe à califourchon

les genoux contre le radiateur 

j’entre yeux grands ouverts aux nuées terrestres

il va se jouer des aventures 

à bord de l’avion cargo qu’est devenu le salon

où vas-tu dit une voix

je ne sais vers le neuf je crois 

les poèmes les amours et moi perdus 

un monde blême badigeonne mon jardinet 

et soudain 

un lumignon perce la cotonnade

je fixe au levant l’avancée terrible

je crois que j’ai peur

mais le coeur consent à dire oui aux éclats

ça claque au visage 

crescendo d’étoile vivante 

la vitre explose de ses mille feux 

bonjour bonjour

ça court ça clame ça s’enflamme  

dissous les recoins gris

chats et oiseaux en boule se lèvent d’un même élan

l’herbe devient noire puis bleue

l’azur décroche une à une 

les nuées floconneuses du couvercle gras

au ciel c’est la haute mer qui s’avance

je ferme les yeux pour mieux voir le miracle 

ce bleu rieur qui mord chaque seconde un peu plus 

sur ce qui fut notre linceul du jour

l’air muet s’en vient flamber

je sens le soleil qui me brûle front et joues 

déchirant mes rêveries closes

qui sous mes yeux dessillés 

s’ouvrent au monde entier

les eaux secrètes

les eaux secrètes

j’ai un vallon en tête

il berce un lac

où les voiles procèdent

en hésitant longuement 

tiédeur de notre France 

les cygnes s’élèvent

semblent marcher sur l’eau

retombent en silence

se croisent apaisés

mes yeux visent le ciel 

et la terre là-bas

goutte dans l’eau

on dirait de l’ombre

qui roule et s’avance

ça menace

des voix de feu s’exaltent

le lac soudain agité

vaste peur de jadis

c’était l’Ailette aux morts

pluie de fer ça gémit

au pied du mont souvenir

enfants persécutés

je vous entends courir

sur le chemin

le lac porte vos pas

vers le ciel grand ouvert

cent ans c’est peu

et vous êtes si nombreux

à rêver sous les eaux

loin très loin de nous