Deux grands-mères et l’alcool

Cette scène est un extrait d’une pièce en construction sur les addictions. Comme tous les textes de cette catégorie, ce texte est protégé  de tous droits par la SACD.

 

(Georgette arrive avec un journal à la main, tandis que Mme Gaspard , assise devant sa table, boit une eau de vie de mirabelle.)
Georgette : Mme Gaspard, Mme Gaspard !!
Mme Gaspard : Qu’est-ce qu’y’a ? Pourquoi t’arrives en courant comme ça ? Tu me rappelles le jour de la mort du président Beaubourg !
Georgette : Mais non, c’est pas le président qui est mort, c’est des jeunes !
Mme Gaspard : Des jeunes sont morts ? C’est la guerre alors ! J’étais pas au courant.
Georgette : Mais non, madame Gaspard ! T’as pas vu là, c’est écrit, les jeunes là, ils se sont rassemblés, avec des « c’est ma messe » au portable, tu sais, les trucs qu’ils tapotent tout le temps, les « c’est ma messe », au portable, tu vois ?
Mme Gaspard : Si les jeunes se mettent à aller à la messe, moi je me fais nommer curé !
Georgette : Oh, arrête de te fiche de moi ! Tu sais les portables, bon,ben, ils ont envoyé ces machins-là, des « c’est ma messe » des trucs comme ça !
Mme Gaspard : Des SMS, Georgette, des SMS !
Georgette : Oui, oh, c’est pareil ! Bon, ils envoient des SMS à Paris, ils se rassemblent et ils se mettent à boire jusqu’à plus soif… et puis même après le pus soif…. des vrais trous, qu’ils disent dans le journal.
Mme Gaspard : C’est la jeunesse, ma Georgette !
Georgette : Oui, mais là y’a eu des morts, qu’ils disent dans le journal.
Mme Gaspard : Ah je savais bien que y’avait du macchabée dans l’air, sinon le journal il en aurait pas causé, tu penses !
Georgette : Ah oui, mais c’est des jeunes, des morts jeunes… moi, je trouve que c’est du gâchis… une vieille comme nous qui meurt, bon, normal, mais un jeune, enfin, quand même…
Mme Gaspard : Non, enfin, oui, c’est pas normal !
Georgette : Tu te rends compte, ils se donnent rendez-vous par des messages et ils se soûlent comme ça tout le week-end. Il disent comme ça dans le journal que c’est une vraie plaie. Y’en a partout.
Mme Gaspard : (Reprenant une goutte de son verre) Une vraie plaie. Dans toutes les villes ?
Georgette : Partout, j’te dis, tous les week-ends qu’ils disent dans le journal.
Mme Gaspard : C’est horrible ! Ça devrait être interdit ! T’en veux ma Georgette ? (Elle essuie avec le bas de son tablier un verre qui traîne et le place en face de Georgette)
Georgette : Ah ben, c’est pas de refus, une nouvelle pareille, ça te coupe les jambes… et pis une tite mirabelle je dis jamais non !
Mme Gaspard : Ah, et pis, faite maison, nature, avec les prunes du gros arbre là derrière !
Georgette : Merci ! C’est pas du trafiqué comme dans les bistrots ! Ah les jeunes, ah j’te jure, les jeunes !
Mme Gaspard : Ben tiens, moi, ma gamine…
Georgette : Ta fille ?
Mme Gaspard : Non, la fille à mon Serge, eh ben, l’autre soir elle est rentrée à quatre heures du matin. Le bazar dans l’escalier ! T’aurais entendu ça ! Alors moi, le lendemain, au matin, enfin vers les deux heures de l’après-midi, j’lui ai dit comme ça que l’alcool c’était un fléau, que je lui ai dit, un fléau, un fléau ! Un vrai fléau ! (Elle boit une gorgée)
Georgette : Qu’est-ce qu’elle a répondu ?
Mme Gaspard : Elle a haussé les épaules, la gamine ! Alors moi, tu penses, je l’ai pas lâchée ! Une plaie ! Un fléau ! Et elle avec la tasse de café à la main, appuyée contre le frigo, elle me fait : « Et ton Kasparov, il est mort de quoi ? » Alors, moi, je lui en ai retourné une à la gamine, dis donc, du coup le café a valsé, la tasse en mille morceaux , pis après la gamine à consoler qui pleurait, qui pleurait… eh ben, moi… à la fin je pleurais avec !
Georgette : Je comprends rien à ton histoire Mme Gaspard, tu donnes des baffes, toi ?
Mme Gaspard : Je vais me gêner ! Tu sais, moi, quand on attaque la mémoire à mon Kasparov, je l’ai mauvaise !
Georgette : Attends, c’est qui Kasparov ?
Mme Gaspard : C’est mon bonhomme, tiens, c’t’idée ! Le Kasparov, on l’appelait Gaspard, alors moi ça m’est resté.
Georgette : Ah ben moi, j’ai toujours cru que c’était ton nom , Mme Gaspard!
Mme Gaspard : Ah ben, non, moi, c’est Antoinette Buvry… alors, attends,c’est venu comme ça du vivant de mon Kasparov, un copain à lui il m’a appelée Mme Gaspard : « Dites donc Mme Gaspard, qu’il m’a fait comme ça, vous avez rien contre, si j’emmène votre Gaspard boire un coup au café d’à côté ? » qu’il me dit, avec un ton de rigolade. Qu’est-ce que je pouvais dire, j’aurais dit non, j’aurais pris une torgnole de mon Kasparov !
Georgette : Oh le mien, mon Didier, c’était pareil Mme Gaspard, allez ! Pareil !
Mme Gaspard : Oh, ben, ça me rappelle que des mauvais souvenirs tes trucs dans le journal.
Georgette : Ben, c’est les jeunes, hein, c’est bien de leur faute, hein ?
Mme Gaspard : Ils boivent trop, toute façon !
Georgette : Le week-end, c’est infernal, qu’ils ont dit dans le journal, à rouler sous la table, et les filles avec… je crois que c’est le pire, les filles aussi dis-donc, elle roulent sous la table.
Mme Gaspard : Oh ben, c’est pas nous qu’on aurait roulé sous la table !
Georgette : Oh ben non, alors !
Mme Gaspard : Mon Kasparov non plus il aurait pas roulé sous la table ! Même imbibé jusqu’aux yeux, il était droit comme un I. Ça, c’était un homme !
Georgette : Tu l’as dit ! Le Didier, il faisait tous les bistrots du pays et il rentrait sans tomber dans les escaliers ! C’était le bon temps !
Mme Gaspard : T’as raison, c’était le bon temps ! Non, mais moi, je sors pas d’là, les jeunes, c’est simple, ils tiennent pas l’alcool. Des mauviettes que j’te dis ! C’est pour ça qu’ils meurent comme ça !
Georgette : Ça tu l’as dit ! C’est bien vrai, Mme Gaspard !(Silence)
Mme Gaspard : Tiens, ton Didier, c’est marrant, je l’ai jamais connu.
Georgette : T’a pas eu le temps. Il est mort jeune, oh ben oui, le soir, il faisait tous les bistrots du village qu’on habitait à l’époque, tu te souviens, à l’époque, y’avait un bistrot tous les cent mètres… Ça pouvait pas durer, tu penses!
Mme Gaspard : Ça, ça peut pas faire long feu ! Pareil pour mon Kasparov, que t’as pas connu. Tu pouvais pas le connaître, il est mort à quarante trois ans ; la cuite de trop !
Georgette : Pour bien faire, faudrait interdire l’alcool aux jeunes.
Mme Gaspard : T’as raison … Tu sais des fois j’ai une idée comme ça qui pourrait être utile pour les jeunes !
Georgette : Vaz’y toujours !
Mme Gaspard : Nos maris, ils devraient avoir leurs noms sur la place du village…
Georgette : Je vois pas bien le mérite qu’ils auraient à être là !
Mme Gaspard : On écrirait leurs noms et puis en dessous on écrirait un truc du genre : « Morts au service de l’alcoolisme ! » ou bien : « Buvez, mais pas comme eux ! »
Georgette : Y te vient de ces trucs, toi ! Ben dis donc ! Tu parles d’un goût ! Tiens, à propos de goût, je me reservirais bien une goutte de ta mirabelle, elle est bonne ! Et pis ça peut pas faire de mal ! C’est que du naturel !
Mme Gaspard : Encore une tite lichette, madame Georgette ?
Georgette : Ça fait du bien quèque part, Mme Gaspard !

à partir de ce blanc

…qu’à partir de ce blanc tout se déploie
silence très audacieux
dans un temps en définitive posé qui s’ouvre en corolles frappantes loin des cascades essuyées de nos capuches
c’est tenir le présent de chaque pas
la chance d’être en ces lieux
sans le vent des rives qui poussèrent des paroles cassantes quand les parades ont recraché les pluies
laisser bruire notre sang presque froid
l’avance est là au beau milieu
dedans couvés les rires contre l’affolement des pentes fades qui tombaient parfois jour et nuit
alors qu’ici les blancs captent les fruits déjà
ce que l’on pense n’est pas si vieux
parlant j’arrive à fonder l’immobile de l’instant où sans armes j’accroche ce qui luit

éclosion

Lourdeur du lilas, tête verte inclinée, une amie sans doute puisque tu fermes les yeux, il est vrai que je le fais aussi en ouvrant la porte, avantage des années, habitudes longues, ombres portées vers l’arrière comme si vieillesse et soleil… bien sûr.

Tu vois l’aventure des pas plaît encore malgré l’éclair relatif d’autrefois ; lilas et porte s’envoient des marchandages, cliquetis et effluves, tournis peu clairs de chaleur filée puis la mer en allée des épices bleuis que la brise assassine contre la terre en grinçant.

Je penche la tête contre l’embrasure, tu cueilles les gouttes aux fleurs, non, ce sont tes joues ; un souffle catapulte des faits sans âge, stupeur de bronze contre la porte où hier encore la jeunesse vermeille… l’allure.

J’admire le lilas où va éclore le vert, caresse, loi des temps ; je vois des attelages amis qui couvent, renie le fer des heures allées avec les eaux qui glissent des ciels ou qui s’écrasent aux rochers bleuissant.