vers le soir

engoncés dans leurs nids

les petits piaulent en poussières vite éteintes

le grandiose voile de nuit s’impose

jusqu’au bord des feuilles 

mais en prêtant l’oreille

immobile 

je perçois derrière mes battements de coeur 

un frottement d’aile contre les lacis

de leur maison provisoire

un oiseau cherche encore sa place

serre ses plumes

comme on se vêt d’une petite laine 

lui qui tout le jour

petit athlète des brises

affronta les vertiges du vent 

voilà que son repos est encore en suspend

ah je crois que ça y est

plus rien ne froisse ni ne bouge

reste alors miracle 

l’extase des étoiles sans lune 

les pépites vont rôder autour de polaris 

imperceptiblement

dessinant nos destins

ou ce qui en tient lieu

coups d’épingles dans le tissu de ma vie

une lumière intérieure enfin m’apaise 

sans le savoir 

hypnos m’en est témoin

et mes paupières papillons

j’attendais ce moment depuis l’aube

LA GRACE

Il paraît que le thème du printemps des poètes est “la grâce”… pour m’éloigner des polémiques je me permets de glisser mon murmure contributif au sujet imposé, magnifique, pas le poème, mais le sujet… rien de plus beau que la grâce… VOICI:

la grâce

un jour que j’allais – guide oblige –

sur les ruines d’un prétendu château

à l’aplomb discutable

j’entendis une jeune voix me héler

sous les frondaisons attenantes

je lui fis comprendre que la saison

l’épidémie mon âge et le sien

rien ne pouvait aider au dialogue

je fus charmé de son rire d’argent

elle prétendit qu’elle errait

dans l’ennui du confinement

et qu’un grand-père (moi) faisait l’affaire

pour partager la pomme que j’avais en main

j’en mordis une moitié lui tendis l’autre

elle refusa de loin en riant

une blague dit-elle

émouvant château dis-je

vous n’y êtes pas du tout reprit-elle

et me désigna des deux bras

une trouée entre un tremble et un chêne

je m’avançai

un point posé sur l’horizon

elle tendit son doigt

tenez fixez ce point avec vos jumelles

ce que je vis était la plus belle chose du monde

briques et meulières mêlées

cernées de cytises et de lilas

toit gris miroitant soleil noir

château de l’éternel printemps

il souriait très loin encadré de ses deux tours

c’est le château de la grâce dit-elle ne le lâchez pas

j’écartai un moment les jumelles

elle avait disparu

en les réajustant

je vis que le château lui aussi

s’était évaporé

Toutes les réactions :

4Anne-Marie, Elisabeth et 2 autres personnes

une histoire de rivière

depuis les cimes

l’eau avait rompu les grès 

au long des millénaires 

on entendait encore l’écho des rocs

qui s’écartaient avec respect 

sous la force basculante 

l’eau dans sa hâte accélérée

fatiguait le lit

usant de la gravitation 

pour dévaler ses kilomètres 

de bienfaits 

le chant des jeunes berges

approuvait la cavalcade 

des hêtres des aulnes

qui bordaient les pentes

où les chamois s’abreuvaient 

les éclats des eaux folles 

contre les chalets 

accrochaient leurs seuils 

vertigineux 

des femmes étonnées

appuyées sur les rambardes

saluaient les saisons 

souhaitant bon courage 

au flot qu’elles effleuraient 

du bout des doigts

puis le cours consentait 

à reprendre son souffle 

en mélodies vallées

la rivière adulte 

creusait alors 

mordait au fond 

le lit s’installait riche et gras

dans les contrées 

où les moutons s’acclimataient 

des riverains s’appelaient

d’un bord à l’autre

civilisés par l’amont et l’aval 

ils arrangeaient leurs toits 

sur les meulières ocres

afin dès juin de profiter de l’ombre

et les soirs d’hiver de la musique 

des âtres qui crépitaient 

ça grouillait de poissons 

qui s’entredévoraient en un éclair

et les ponts faisaient craquer 

les flots les courants les tourbillons 

devenus domestiques 

les eaux accueillaient les esquifs 

et ça tanguait pour rire 

c’était encore l’âge des éclats 

où les voix se parlent en échos 

dans le silence étonné 

des champs environnants

puis dans l’accroissement des villes

on multipliait les arches les tabliers

on s’installait près du flot 

pour user de son courant 

les villes grossissaient  

l’amont semblait caduc 

la richesse était à l’estuaire 

les ports mimaient le monde 

le flot doux des montagnes 

finissait pas se mêler

au salé de l’océan

conflit éternel du vaste mascaret

quand le ressac suscité par la lune 

venait cogner contre la terre 

des saumons loyaux 

remontaient alors à leurs origines 

forçant l’admiration

des vieillards inquiets de la perte définitive 

de l’eau douce dans les larmes amères

et les délicieux poissons ravis 

témoignaient alors 

en sautant les barrages

que rien n’est jamais perdu  

la douce

sa voix 

eau chantante sous la glace

apaisait la rudesse des temps

son langage pourtant peu clair 

semblait limpide

il s’énonçait au devant de ses lèvres 

on ne savait jamais si c’était voyelles 

ou consonnes 

on en recevait l’écho improbable 

dans la tendresse de ses pas 

effleurer sa peau 

eût été une manière de crime 

rythme voilé de son avance 

elle s’efforçait de se fondre 

dans la brume

mais ses apparitions dès l’aube

réenchantaient les jours d’hiver

quand le voyage se faisait pesant

je ne saurais dire d’où elle venait 

l’ouest a la même retenue

quand sur la neige la lumière s’endort

sa voix immatérielle avait les mêmes échos

sans peur ni trop de joie 

je l’appelais la douce 

pour le plaisir du tiède

qu’elle diffusait depuis son souffle

à chaque parole

qui semblait ne jamais briser le silence

et je me demande   

aujourd’hui qu’elle ne vient plus

si elle a jamais existé

perce-neige

après l’immaculée impraticable

orteils recroquevillés

quand je retrouverai mes pas vifs

nous irons vers la colline

évaluer les pousses

des perce-neige

verts puis blancs

nuques brisées

fleurettes accortes 

qui plus tard feront tache

au plein du printemps 

souvenirs de la nappe glacée 

qui nous saisit ce matin

je les devine ce soir d’apparence timide 

têtes baissées

ne perçant rien du tout sauf ma mémoire

qui s’emplit de leur éphémère

je vais les réchauffer d’une phalange 

caresse tremblante

admirant leur résistance

aux disgrâces du givre

je sens en leur présence

l’hiver engagé qui dit oui le soir

oui le matin 

saluant les nuits rétrécies 

de l’orbe reparti dans le bon sens

enfin

et penché sur les fleurettes hardies

je les suis au couchant comme je fais  

de ton visage

que je cueille

de mes yeux de mes mains 

et qui sourit 

lever d’hiver

ce court instant où mes paupières

collent encore

j’en prolonge le pincement doux

allongé j’imagine le double horizon de mes yeux

petit monde en noir et blanc 

qui s’ouvrant va se faire vaste monde impalpable

bouts de mots soudain

des voix disent le vivant sur la placette à deux pas 

un chien gratte au palier

ses ongles claquent sur le seuil 

puis il repart vers l’hiver 

dans la bise du matin 

vision de grâces qui émergent et m’entourent 

chuchotis du silence de glace

ça rit sans bruit

je rêve replié

retardant l’entre deux dans les draps 

où s’ouvre le mystère du jour à venir 

un appel

on dirait mon prénom

la voix tremble un peu

puis l’appel reprend plus net

c’est ma voix

je me lève d’un bond