enfuis sont mes pas d’autrefois
ceux de midi pleins de plages de soleils
ceux de minuit grevés d’hésitations
j’étais encombré de rêves inglorieux
de chevauchées carnavalesques
sur les rosses de pensées fortes
toutes livresques
et voici que mains vides
j’en suis venu à me pencher au gazon
vers une indolente pâquerette
présente sur l’instant
je me demande la cueillant
pourquoi soudain le coeur me bat
seconde infime marquée sur le temps
je vais prélever sa présence
pour sacraliser ce moment
il y aura un avant et un après la fleur
je la pince au coeur du carnet où j’écris
je l’entends qui gémit
et craque sous la pression des doigts
je l’étouffe entre les feuilles
c’est ainsi que dans son squelette sec
je vais la recroiser souvent
renouvelant à loisir le moment où je la saisis
dorlotant alors sa mince image
éternité portative
métaphore des jours enfouis
“Que de l’autre royaume nous revienne
Ce que nous croyions perdu, que reviennent
Ceux qui en s’éloignant n’avaient rien dit,
Que leur cri muet soit notre pain quotidien,
Que revienne entière l’âpre déchirure :
Morsure et remords sont d’un seul tenant,
Douleur et douceur s’epaulent l’une l’autre.”
François Cheng – “Cinq méditations sur la mort”
très beau poème sur la séparation, ou plutôt sur les retrouvailles de ce qui a été séparé.
“Les arbres de l’infinie douleur,
Les nuages de l’infinie joie,
Se donnent parfois signe de vie,
A la lisière du vaste été.”
François Cheng (même recueil).
“je la pince au coeur du carnet où j’écris / je l’entends qui gémit / et craque sous la pression des doigts / je l’étouffe entre les feuilles…”
Il y a de la cruauté dans ce poème. Cela m’a surprise. D’autant plus qu’apparaît le “sec squelette” transformant la fleur en humain.
Le reste est douceur et mélancolie.
Pourquoi cette cruauté ?
Pour mettre en valeur le fait que pour garder un élément naturel il faut le faire mourir. Il n’est pas d’éternité sans mise à part mise à l’écart mise de côté. Pour le faire durer il faut cueillir le présent. l’arracher.
Carpe diem cache un crime.
Et tous ces arbres abattus pour imprimer nos immortels chefs d’œuvre. Et tous ces animaux étranglés pour faire entendre les quatuors immortels de la musique classique (surtout baroque). Et les boeufs qu’on épuise pour édifier nos cathédrales. (sans parler des tambours ou des pulls de laine qui font trembler les moutons).
Nos immortalités s’alimentent de bien curieux assassinats.
“Pour le faire durer il faut cueillir le présent. l’arracher.”
Ah…
Non.
On ne peut pas faire durer le présent. Il est éphémère, avalé par le futur qui le transforme en passé, en souvenir.
Cueillir une fleur, la glisser dans un livre, qui ne l’a fait …
Mais cela se fait avec délicatesse et inspire plus tard douceur et souvenir de beauté, d’un instant de belle mémoire.
Il y avait autre chose dans votre poème. La fleur y devenait prétexte de décharger une colère, un désir de faire mal.
Ça arrive…
Je n’aime pas voir écraser ce qui eût pu vivre.
J’avais choisi ces poèmes de François Cheng pour faire écho à votre poème qui est une mise à mort.
Il fait partie d’un ensemble qui est la cinquième méditation sur la mort. Une série qui, comme les cinq méditations sur la beauté, est née de rencontres avec un public.
Tous ces poèmes écrits alors qu’il avait quatre vingt quatre ans sont une vision de “la vie ouverte”, à la croisée des pensées chinoise et occidentale. Une pensée en spirale où il revient sur les mêmes images en les approfondissant.
Dans la cinquième qui seule a une forme poétique, il semble désirer que le chant soit plus fort que la mort, plus fort que le mal.
C’est de fait de très beaux vers ! Il représente si profondément le lien occident-orient. Merci.