fête 1 et 2

fête 1

il écrit elle chante miroirs parfaits 

ils ont l’éternité miracle sur l’instant 

on souffre de les envier

 ses courbes à elle son ombre à lui

 éclosent sur les places il fait les paroles 

elle enfante la musique 

sa voix coquelicot fait exploser l’avril 

sous les kiosques de mai aux roses froides 

elle étonne de ses mots sans égards

il se voit glisser sous les mains un piano de bazar

qui lui rappelle ses premières fortunes 

lorsqu’aux capitales il jouait pour trois sous

 elle l’aime cela s’entend aux syllabes

 elle croit en lui toi toi toi dit-elle en dormant

Fête 2

il l’apaise du plat de la main 

dans la nuit noire 

toujours il éclaire ses brusques  errements 

du bout des lèvres voix de gorge 

elle emprunte la joie non à son passé

  • même avec les pèlerins elle était une esclave – 

mais à ce futur qu’elle accueille

 oh les champs les bois les étoiles et le rire

 mon amie mon enfant dit-il en chantonnant 

elle se rendort il est son rempart 

il se lève s’attarde au café goûte au large pain  

l’inspiration précède l’aube il est lancé

 les paroles s’aimantent faciles 

charme des refrains qui vacillent autour de l’orient 

Voyage 7

ce sont des bras durs et doux

 des allégresses féroces des lèvres précises 

et les jambes galopent longuement 

tu as peur oui j’ai peur 

rends-moi mes mains 

je ne les veux que pour te ressaisir 

dis-moi encore l’enfance des lèvres mordues

 et l’âge d’aimer qui bouscule les cruels

 donne encore donne tes bras

 la longue épopée des plaisirs du moment 

ce présent qui n’en finit pas 

ce présent qui n’en revient pas 

cela existe solide depuis l’aube des temps 

nous devons le tenir pour vrai et même le chanter

voyage 5 et 6

voyage 5

le béton les accable

 le choix forcé des rues est brutal

tout leur est misère jusqu’aux ritournelles des oiseaux

 la présence farouche des tourterelles sur parkings 

les émeut au centuple 

leur maigre liberté frémit aux échanges vifs

 qu’ils ont avec les bouchers les boulangers

ou les opérateurs d’usines qui vont maugréant au travail 

ils s’essaient à les côtoyer en riant dans la bière 

travaillent à leurs côtés mordent au pain commun 

vie de chien

ils échangent un matin leurs rêves diffus 

par un soir gris un ivrogne menace Magdala

son ami le vagabond retourne le couteau contre le pochard

Voyage 6

le mort les contraint de fuir encore

les prés leur vont mieux

ils refont le chemin où les chaumes crépitent 

une série de couchants les inonde 

les bleus et les verts virent au gris 

ils s’essuient les yeux mutuellement 

elle chante

elle chante si bien que les villages l’écoutent 

ta voix lui dit-il est notre pain

elle l’embrasse enfin

 tous les baisers retenus éclatent en étoiles

 toutes les notes étranglées explosent sous le ciel 

cette joie qu’on partage au coin du bois 

à l’ombre des porches anciens ils s’aiment enfin

voyage 3 et 4

voyage 3  

on les aime tout le monde les croit amants 

ils haussent les épaules

 sourient et quand les questions se pressent 

ils quittent brutalement la ferme 

le matin ils apparaissent farouches et minces 

contre l’horizon

ils mendient le pain le travail

 on les a vus se baigner nus dans le ru

 qui chante aux sous-bois 

la peur ne les rapproche pas

 ils grelottent d’être

même en août même au zénith

 ils parlent peu on le leur reproche 

ils rétorquent qu’on ne peut vivre et parler à la fois

voyage 4

ils descendent les cours des rivières

 sans le vouloir leurs phalanges s’effleurent

 ils s’apprivoisent

leurs pas gênés de faire couple s’allègent

 vers le soir leurs ombres se recouvrent

 ils ne le remarquent pas encore

 l’affaire de vivre en gloire à deux cette fois

 revient lui tarauder l’esprit 

la moisson est faite le temps s’ouvre au fleuve

 ils se ramassent se concentrent

 les ponts leur servent de mélodie

 ils sympathisent avec la rumeur des eaux 

les appels crevants des premières mouettes

 leur signalent l’imminence de la cité tremblée

Voyage 1 et 2

Voyage 1

bleus et verts émaillent ses yeux

la voix a des pointus doucement positionnés

 il s’assoit au plein des blés l’écoute

 comme on le fait du vent des oiseaux

 elle dit son prénom 

il est ainsi possible songe-t-il que l’on s’appelle Magdala 

il n’ose donner le sien 

cette peur d’être

 malgré l’été 

 malgré la plaine jolie qui court aux montagnes

 malgré le sang qui va vite 

 il redoute qu’elle perçoive les battements sous la chemise 

elle s’assied enfin face à lui 

joue avec les épis il lui prend les mains

Voyage 2

ne me touche pas dit-elle retirant ses mains 

bredouillements vite couverts par les alouettes 

insatiables invisibles

on dirait les notes d’un piano main droite

 murmure-t-il en désignant le ciel 

elle veut en savoir davantage

non pas encore marchons

 et les voilà partis dans le sanglot des pas

 ils fuient

s’abritent au pied des arbres vigoureux

 apprennent à entendre le corps de l’autre

les nuits fraîches de juillet les trouvent dormant dans les foins

ils offrent leur service pour la moisson

 elle cuisine il véhicule les ballots

Demeure 7

en cette fin de matinée de juin

il éclate en sanglots à la porte de la grange

 il brise le fouet en deux le jette dans l’âtre mort

 le chat se frotte à son mollet 

il glisse le sac à bandoulière contre son corps 

ferme les contrevents sans faire grincer les gonds

rend les clefs mille promesses

 la propriétaire essuie ses joues

là-bas fait-il en désignant la rivière 

au milieu des blés il entend frémir les tiges 

comme un coup de vent incongru du solstice 

le soleil fou arrose les épis ça craque

 il s’arrête mais le froissement continue 

il se retourne une femme avance sur ses traces

Demeure 5 et 6 (suite de départ)

par un matin de gloire une autre voix 

vient à sa rencontre en chantant 

rythme du bâton brut sur le sol 

ils se rendent à Compostelle

dit l’homme en désignant la troupe des marcheurs

qui émerge derrière la grange

 il leur donne les pains joufflus de la semaine

 les fromages et beurres de sa réserve

les congédie enfin de sa bénédiction

 mais après s’être regardés ils s’installent

 qui dans la maison qui dans la grange 

il a pitié extrait des ballots de paille

autant de lits d’oreillers de fortune 

il leur verse du lait à pleins bols

Demeure 6

ils passent la nuit à deux pas de son lit 

mais il ne parvient pas à dormir

 l’angoisse revient 

il les prie de se taire 

les pèlerins sont intarissables sur leurs pieds 

ça chuchote prosaïque et il désespère 

ses rêves renaudent s’inquiétant avec lui 

où vais-je me déployer en ce tohu-bohu 

avant le lever du soleil il tape sur l’épaule du chef 

fermement il vous faut décamper dit-il

 mon lait mon beurre mon pain tout est à vous

 mais partez partez partez je vous en supplie 

comme le chef dit non de toute sa voix de basse 

il s’empare du fouet et les chasse un par un longtemps

Demeure 3 et 4 (suite du départ)

Demeure 3

avec les améliorations inévitables

 la petite entreprise à vivre

 se fait château 

miroir casseroles couverts superflus 

il en vient à préférer la grange 

sa solide chaleur animale 

avec ses œufs à gober

la vue sur collines et montagnes 

à travers les planches disjointes

 et la vitre généreuse qui l’éveille à l’aube 

attentif aux langoureux murmures des poules 

qui ont le don de le reglisser dans le jour neuf

il a des dialogues fournis avec les bêtes

qui lui dérouillent la gorge

Demeure 4

les oiseaux désormais l’emportent

 vers des aigus de vertige 

acclamations du printemps

 il savoure son triomphe sur la peur

 s’estime enfin

les fleurs cueillies s’accumulent dans la paille

 pendent en bouquets ficelés 

poumons et mains ne peuvent y suffire 

c’est affairement des paumes des bras

 il devine des yeux de femmes partout

dévore les collines boit les nuées bascule vers le ciel

 peu lui importent les jours et les nuits 

tout est d’égale humeur tiédeur balancée

et il touche l’horizon de sa voix libérée

Demeure 1 et 2 (suite du départ)

Demeure 1

 le voilà installé

 il y fait du feu chasse les souris 

demeure

dort le lit tourné vers la source 

demande à un chat de hasard

de l’honorer de sa présence

 promet à la propriétaire de traire la vache

 il fait du beurre du fromage

chante ravaude ses fripes

 sa chance est au printemps

joies des soirées des réveils

 vie première près des grenouilles folles

 rythmée par les coups de pied de la vache

contre le mur où il repose

Demeure 2

enfin la peur ne parvient plus à monter 

la nuit il s’exerce aux fantômes

 sous les brumes graves du vallon

 où il tomba

il erre de ça de là la vie est possible 

et même respirer déplier ses poumons 

étrange présence à soi il se berce

 il ne sait plus à quoi il ne croit pas

 il est sûr du soleil vieillissant à deux heures 

de l’aube qui revient 

des œufs glanés dans la grange 

où des poules ont établi leur campement 

et du temps

de ce présent où sa survie s’invente enfin

Départ 7

vous êtes en grande misère souffle-t-elle 

l’effroi se lit sur votre visage

il vous plaira d’habiter cette masure 

tassée par le vent et les décennies 

diable oui fait-il

pour une ou deux saisons volets ouverts murmure-t-elle

j’aime voir les yeux enfin desclos de ce royaume des souris

ah vous aurez besoin du matériau de base 

je m’en charge

il lui assure qu’il cherche le silence

l’absolue solitude et le dénuement 

le vide dit-il trois fois en fixant l’horizon 

le ressassement de la mer aux feuillages 

il ajoute qu’il vénère son étonnante bienveillance

Départ 5 et 6

il mime ses pieds dans l’eau froide 

sautille pour se faire rire 

se reçoit mal roule sur le côté

 le voici abandonné à la loi 

de la gravitation 

son corps ou l’astre terre c’est la même force

 la pente l’avale tout cru 

il lui vient qu’il pourrait de ses phalanges 

freiner l’allure 

c’est trop facile

griserie de valse sur l’herbe drue

 il tend ses bras pour accélérer

 redoute le choc contre la craie fraîche

 vous m’avez fait peur dit une voix

6

son dos cogne contre des souliers

 la voix reprend “peur”

 ses omoplates le percent longtemps 

la voix l’interroge sur le but du jeu 

aucun dit-il sans la regarder 

la guerre a tout dévasté 

vous savez bien 

elle fait oui il se redresse 

se brosse du bout des doigts

 elle lui époussette les épaules 

lui dit qu’il n’a rien d’un clochard

 que ce n’est pas la peine 

qu’il n’est plus l’enfant qu’il croit

 il désigne la baraque elle fait oui

Départ 3 et 4

3

à son grand étonnement 

il s’attarde sur les feuilles vétustes

cornées de plaintes

il écoute le vieil été

tombé en miettes

ce qui l’encourage à allonger le pas

il vise une maison délabrée

où il fera bon se lover

quelques œufs de février

grésilleront dans la poêle de cuivre

 il voudrait tant se nourrir chichement 

d’eau et de quelques herbes 

dans un baraquement d’après-guerre

hanté des araignées qui ont tout vu

4

sur la crête contre le vent

la machine de vivre le soutient

la chandeleur le fixe

dans la rudesse il apprécie

l’effort où l’on chante 

en sa gorge revenue des peurs

des airs qui se nourrissaient du silence

 et voici que vivement stimulée

revient la teinte rouge des grands troncs

il en appelle à la mer

tu te souviens 

murmure-t-il l’imaginant

hautement furieuse

noire du ressac

Départ 1 et 2

quand on part

si l’on part vraiment 

c’est sans but

la braise couve sous les semelles

 les oiseaux habitués à partir

 semblent flotter sur place

 au regard de l’entêtement 

de celui qui enfant déjà 

chantait sur les coteaux

marchait dans les flaques 

vers le couchant  

quand la lumière gagnée 

guidait sa fuite 

2

des pommes et des baies

 en ce jour aimantent ses pas

 son affaire est au souffle

 l’histoire se fait sur son passage

 ce qu’il voit il le vit

 et les mots comme les pas

 filent vite

s’alignent sur sa respiration

 il a gardé la prophétie

 qu’il s’était faite par devers soi .

il s’y projette

en cet hiver transparent

glissant sur les cristaux de nuit

des étangs endormis

matin d’hiver

enfoui dans le flot du trottoir
au chaud du loden
col relevé de phalanges gantées
il sifflote un chant mineur polonais
qui justement parce qu’il n’a rien de commun
avec l’effroi des boîtes motorisées
lui sonne au crâne comme un sourire
alors que c’est la mélancolie même
effets joyeux d’un pianiste lointain
qui aide à vivre au goudron d’hiver
ça module finement contre le temps de marbre
vie intérieure sans lien aucun
avec ces marcheurs du boulevard
qui s’arrachent à toutes jambes
– que fuient-ils donc –
je crois que c’est la lente évidence
de l’ombre qui nous salua
au premier jour nous quittera
au dernier et fait de nous des
solitaires embarqués
précis et brouillons
zébrés d’une fêlure glacée