équinoxe II

II

quelque chose parle

dans la palpitation des brindilles 

c’est de l’ordre du vent 

c’est de l’ordre du temps 

une haleine ne cesse 

même en plein midi  

de mêler du froid au souffle 

les mésanges éternelles bâtisseuses

prolongent leurs affaires de rameaux 

devinant entre les feuilles 

que le léger souffle

qu’elles éprouvent en vol 

est habité de glace

déjà l’automne déjà l’automne 

et un avenir très secoué

pour leurs nids bientôt sous zéro

et leurs plumes en pèlerines bleues

rabattues sur les yeux 

je songe qu’elles pourraient nicher 

dans ma boîte à lettres 

je ne reçois plus d’humain courrier 

les cartes postales c’était avant 

avant les mails avant l’automne 

je me souviens je me rappelle 

automne et souvenir sont le même

un fond de gorge remonte du silence

j’ai dû dire des paroles vraies

à propos de la plage au soleil contre la mer 

des mots jaunes ensablés et doux 

des mots jeunes nostalgie et cris 

de joie surtout de joie 

elle ne me quitte pas non non 

cette jolie compagne des heures fruitées 

mais très âgée elle rôde au présent

elle habite sous la peau

aux commissures elle s’excuse 

les feuilles dit-elle les ridules les écorces

la joie glisse doucement vers l’intérieur 

les lèvres à l’avant garde

parées au miroir 

elles se font belles sourient contre le gel 

c’est vrai que l’automne rend beau

il est fier de ses obliques 

qui finement dorent l’arbre

sa lumière et le visage

frottés de soleil courbe

ont des langueurs malignes

vocalises mezzos en tons mineurs 

ce bruissement des feuillus

en fait foi cette allure grave

des nuées vers le soir

et l’ouest explosif larmes de joie

monde radieux à étouffer

c’est trop d’ocre automnal

alors me caressant les paumes 

je  songe au plaisir du vin chaud

la porte grince cliquetis de serrure 

et je rêve d’aller voguer 

sous les voiles d’octobre

vers les îles heureuses 

le vent est un ami qui résiste 

et me pousse et me meut 

j’aurai des nuits de rivages

couverts de bois flottés

c’est si doux au toucher 

on dirait une peau

je me vois vêtu de mouton 

arpentant la plage morte

avec pour seule musique 

ce ressac insaisissable

rien ne finit rien ne finit 

équinoxe de septembre

tout est fraîcheur 

ruisseau et soleil 

la rosée et mon pas 

au creux des herbes

les parfums s’effacent 

laissant place au souffle rougi

des vignes vierges

ce sang d’automne 

qui fait comme des barrières

éventaires de bouchers 

s’il n’y avait alentour 

la joie des merles subtils 

avides des baies éclatées

qui ornent les halliers repus des jours

mûriers églantiers ponctuant 

les hautes pentes des bas côtés 

je chéris le ru cavaleur 

aux miroitements noirs 

des micas bousculent 

l’anarchie des feuilles de hasard

qui pleuvent au coeur des eaux 

j’aime l’odeur surtout 

cet humus mou et lourd 

qui cède sous la semelle 

oh soudain le souvenir

des hirondelles ingrates 

qui fuirent trop vite 

tant pis pour elles 

elles ne sauront jamais 

la fraîcheur crue des aubes 

ni la mer des nuées douces au ciel 

qui arrosent les corolles 

encore chaudes un peu 

l’ombre vive des haies 

s’allonge partout 

sous l’inclinaison caresse 

des après-midis brûlants 

encore un peu sur nos épaules 

cette joie cette joie 

que le déclin nous offre 

déprise des jours filant 

à une allure folle

on ne sait plus on ne sait plus 

nuits et jours sont égaux

les peines de l’an cicatrisent 

et s’effacent hors douleur 

balayent les vents 

qui animent les premiers feux 

avec les dernières branches

qui se consument sans effort 

fumée abondante 

volutes humides des jardins

elles s’envolent

les plantes ont donné leurs fruits 

elles vont avoir droit au repos

se pavanent alors 

les coulures graves du lierre

griffes vert bouteille 

qui étouffent pour croître

poursuivant la lutte d’été 

contre les buissons amicaux

qui protègent naïfs 

nos jardins nos prairies 

du voisinage inconnu

etc. etc.

encornés

comme les enfants

ont les yeux rivés au caniveau 

depuis les hautes bordures du trottoir 

ainsi vais-je au pic de mes années 

vers une manière de précipice 

d’un pas hésitant 

gorge nouée 

le vent m’évente la cheville cale 

et les oiseaux m’observent 

sans doute en attendant que ma malléole s’écorche au granit 

des pavés du parvis pour caqueter rieurs

mais voici que mon vieux pas s’affirme 

peines et chocs se raréfient 

les pigeons (piétons qui volent)

repartent confier leur dépit aux encornés

qui en ont vu bien d’autres en huit cents ans

et  se moquent bien des volatiles

et de mes efforts pour marcher droit 

arrimés sur les haubans de leur navire

je crois qu’ils envient notre fragilité de vivants

ils aimeraient tant beugler

la vérité du monde

qu’ils connaissent par coeur

et se murmurent entre eux

(chaque matin est une naissance nouvelle)

mais ces malicieux tragiques

risqueraient la chute à chanter cette évidence

et préfèrent donc se taire 

ils savent qu’il n’est aucun risque 

à l’immobile éternité des pierres

chalands

l’aventure de vivre

cette palpitation haletante

se heurte parfois au crépi du temps 

c’est gris 

la beauté continue certes de se renouveler

mais sans moi 

les visages gorgés de soleil  la mer au bleu doré

refusent de me reparaître 

à volonté comme avant 

morne saison

je longe alors le canal d’autrefois 

une issue se profile miroitante 

l’eau enfin perce l’horizon venu de loin 

j’entends sa jeunesse j’entends ses péniches pesantes

armées d’étraves souples 

sans se poser de questions 

les chalands sont alors l’esprit qui s’émeut et s’avance encore 

pour aller là-bas 

au jeu des peupliers 

visiter l’arrière-pays 

engranger des richesses 

et porter les moissons de grains liquides

vers les pays qui ne parlent pas notre langue 

et nous aiment pourtant