un voeu

elle avait des bagues
des perles à l’oreille
le fard qui protège
une robe de lin gris
c’est folie de porter pareille robe dit-il
la glace mordra ta peau
elle avait le regard sûr
serra doucement sa main glissée

peu m’importe le vent dans l’air froid
parlons de l’an neuf
dit-elle et des voeux

ce fut ainsi qu’ils gravirent le mont

solitude des arbres presque morts
on entend un orgue lointain
dialoguant avec les tourterelles
elle pointe alors son doigt vers le soleil mangé des brumes

aime le jour comme il rallonge
déclame-t-elle donne donne donne
(il reconnut soudain en elle la fluide inspiration)
laissons glisser au présent nos regards vers le vallon
sur la bruyère où la parole se fige
un court instant dans l’écriture

il forma le voeu de la garder à ses côtés
toute l’année et même au-delà

l’existence

l’année s’épuisant
comme les jours redevenaient respirables
il reprit ses lents pas rêvés
et la joie élargie du jour
battit soudain dans sa poitrine
il lui sembla qu’aux horizons là derrière
après un automne de lutte contre le crachin
il allait peut-être enfin la croiser
avec son panier d’épilobes
de sainfoin et de fleurs graves
il voulait la remercier de l’avoir soutenu
contre la barque au sillage mauve

il allait certes cèder à l’hiver
il attendrait patient la belle étreinte
qui l’enlacerait de ses bras neufs
bercerait son corps debout
redressant ses épaules

il croisa des marcheurs acharnés du kilomètre
il les fit sourire avec son adagio de célibataire
mais lui seul au bord du chemin

  • tranquille assurance de celui qui aime la vie –
    entendit trois mois plus tard l’approche parfumée de la belle existence

le jour de l’an

après la nuit
le jour jaloux
de son large sourcil borgne
monte son aube
un hautbois lent affûte ses notes sur les blés promis au printemps
les suraigus du gel crèvent l’espace
ce qui naît c’est Jésus c’est le jour
décembre s’effrite
on danse quelque part la bascule inverse des nuits
et la joie des pas et les églises gelées
font la froidure piquante
des vapeurs révèlent des haleines qui rient sous cape
un brouhaha bouscule les avenues
l’orchestre massif en veux-tu en voilà balance les marchandises
ce qui grandit c’est émeraude espérance
les coutures de la peau craquent chaque seconde
donne-moi ta main
tu seras mon petit
et la voix chante comme on vocalise
c’est franc de la consonne
donne-moi ta vie
donne-moi ton temps
aimer c’est s’appartenir toute l’année
trois cent soixante cinq jours
pas un de moins

le chemin

il faudrait avant la fin de l’an
que je réemprunte le chemin
cette manie d’avancer qui me prit tôt
et ne me lâcha plus
deux générations m’en séparent
mais je pourrais toucher du doigt
le petit gars au chemin caillouteux

il est là en short
vêtement léger
il marche seul en effet au désert d’après-guerre
lui fond dessus
non le rapace des rivières
mais le monstre du temps
à deux pas du fleuve
il entend le clapotis des eaux troubles
maléfices des remous crevants et noirs
c’est affreux

ce qu’il comprend c’est ceci
le chemin n’a pas de but
le but c’est le chemin
vivre est affaire de gambettes
il faut poser son pas sans poser de questions
voilà tout

il escalade plus tard la butte crayeuse
voit la ville encore détruite
il songe fermant les poings qu’il la reconstruira
d’une manière ou d’une autre
pour en faire sa page blanche

les mésanges

je me souviens de l’arbre à l’ombre duquel etc

depuis notre rencontre
dix générations d’oiseaux
ont fait des allers et retours
ailes chaudes
ils eurent des étincelles au bec
froissements cris buissons de gazouillis
et l’arbre immobile vieux cheval
secoua souvent sa masse souriante
j’ignorais alors
que les branches scandent les années
et que les mésanges agitées
aux rémiges fragiles
défendent l’abri solide des fines brindilles
elles ont partie liée
avec l’athlète au tronc rugueux
et lorsque de dépit je cogne ma tête contre lui
(elle m’a encore quitté)
les mésanges au masque noir actrices du ciel
descendent pour m’égayer
et je mesure alors en souriant
combien le temps est volatil

les perfides

la mer a ses moments de grâce
huile que j’admire à mes pieds
elle n’a rien de l’océan grandiose
et pourtant les mystères de l’infini
(sans vrai secret je le vois bien )
ce sont estrans où je naquis toi moi nous
enfin toute la faune
l’horizon reflue jusqu’aux rides du front
et c’est soucieux que je salue
l’eau salée

de vagues poissons comme des regrets
volent là-bas
sans prendre garde aux mouettes
perfides petits ouragans criards
elles sifflent et fondent sur les lames
feu disgracieux
elles gémissent sans jamais de cesse
sur les proies finalement innocentes
que la nature octroie soudain
à pleines brassées des vagues écumantes

le baldaquin

ce sont aventures sans suite
un cliquet de l’instant suit l’autre
un baiser même ne suffit pas
c’est serrer qu’il faut
prolonger la rencontre première
décisive et pourtant
hélas passagère mortelle
finalement frivole
sauf si l’existence donne son quitus


grands après-midis passés côte à côte
à n’avoir pas besoin de dire je t’aime
sous l’égide princière
d’évidence
le temps peut bien alors trafiquer son jeu tragique
et ceci est minute et ceci est furtif
rien ne viendra plus instiller l’hésitation
ce doute aux regards qui s’évitent
et cette paresse qui induit
le refus d’être à deux

alors qu’on peut toujours s’éterniser le rêve
sous le chaud baldaquin qui couvre les étreintes

un arbre

ce qui frémit au jardin sous l’effet d’ouest
cascade suspendue
est stupéfiant
difficile à saisir les miroirs des feuilles
qui par milliers font les fous
des jours durant des années

ah j’aurais presque oublié l’hiver
lacune brute sur fond blanc
qui dessine ainsi au plein du gel
le squelette maigrelet
de ce qui fut un bouleau
ses pieds sont chaussés de miettes entassées
vérité du dépouillement
les bras s’étalent
dessinant entre les brindilles des manières de vitraux glacés
qui oscillent au noroît
l’arbre semble alors une église effilée
dont le clocher peu sûr

  • pauvre tête –
    attend sur ses graves fondations noires de mousse
    que je le prie de refleurir bientôt

une rose

la sphère des jours et des nuits
alourdie de sept milliards
tourne toujours égale à nous-mêmes
les humains s’affolent
mais continuent de se laver les dents
on ne sait jamais
on redoutait d’être fourmi aux avenues
et nous voici pucerons
sur un rosier jauni
la maladie d’exister étouffe
à force de faire tache d’huile

il me revient soudain que ma rose est unique
sans moi
elle existe robe émeraude grise de nuit
le velours que j’envie à ses joues
sous le pouce me frissonne
immobile
elle ne cesse de changer
dans ma mémoire au gré des ombres
elle me rappelle
cet instant vif où les yeux du monde
tout pleins d’elle
ont laissé deviner
un sourire intérieur impérissable

l’instant

l’instant a son déclic
pas sur la dalle
manche de peignoir qui glisse
esquisse de sourire au fond du bol
la gorgée de café a longé les cordes vocales
et j’ai soupiré des paroles
un chant – trois notes – m’est venu
début de rengaine
la mémoire – la belle affaire – obéit avec ses poussières et son moulin salé

inexorable temps
fais-moi une cérémonie inaugurale
et que le jour turquoise lève son soleil aux pépiements

tu vois dit le temps
je te fais des aubes qui valent de vivre
janvier bientôt
ça pince ça mord ça croque neuf
quitte ta peau
et oublie-moi
auprès du feu fabuleux
où l’on écrit des poèmes qui chantent l’antan

stille Nacht

les groupes d’enfants lancent
vers la nue vide
des vocalises construites
comme les fils de lumière suscités par les édiles
éclats d’un moment
(l’enfance c’est ça aussi)
les voix sacrent alors un peu la nuit des rues
cous levés courageux les petits risquent tout le corps
contre l’univers infréquentable
qu’ils rendent un instant frais droit sensé
je les voudrais chantant toujours
pour habiller ce présent mouillé du passé où je respire
et je m’en veux de n’avoir pas leur souffle d’ange
pour tenir comme eux cette large note multicolore
contre le silence éternel (ce reste des dieux en allés)

car derrière leurs voix relancées
le cosmos dicte gravement le craquement de l’axe du globe
qui nous rebascule vers les saisons douces
où navires ballons voiles galops
reprendront leurs jeux fous
oublis de notre condition

en vérité
à travers la douce nuit
ce sont les tièdes clochettes de mai
qui s’annoncent déjà sous la brise

le retour

elle ouvre
la porte de la villa grince
là-bas une vague s’effondre
l’homme est un souvenir au présent
il ôte son bonnet
elle devine sous le visage encadré de blanc
(sérieux passe-partout)
les traits aggravés
la voix confirme ses pires appréhensions
(le fond de gorge ne ment pas)
c’est bien lui
sa mémoire trébuche
elle se demande comment empêcher ses lèvres de trembler
les doigts de sa main gauche sur la bouche
elle gémit son prénom

trente ans

rouge puis blême puis rouge il désigne la mer
il parvient à articuler son prénom
sous prétexte de ranimer ses boucles
elle s’empresse follement de cacher ses cheveux
il avance sur la dernière marche
le voici à sa hauteur
elle tend les paumes vers la mer
pour défendre son seuil
elle le touche presque
il va se saisir de sa main
surtout pas
en crescendo elle implore elle dit elle crie
va-t’en va-t’en va-t’en

il part en courant

les échos

ce qui crisse encore au jardin
ce sont les pas des enfants
présences provisoires
il a gardé aux tympans les éphémères cavalcades
de minuscules souliers vernis
c’était la petite au visage clair
qui dévorait du réglisse en sautillant

  • il songea qu’il faudrait en la coiffant ce soir lui décoller les boucles une à une –
    et puis
    les pépiements des sonnettes
    les chutes les pleurs les encouragements grave voix
    appels criards encore brèves présences

un jour il n’y eut plus que son pas
au gravier de l’allée
tennis et bottes rangées
des petits pas ne resta presque rien

il perçoit le clapotis
du robinet qui goutte dans l’arrosoir bleu
sa semelle grince aux pavés de la terrasse
un papillon – miracle –
se pose sur la manche de sa veste demi saison
cet après-midi de juin est décidément frisquet
fixant le soleil
il frappe de sa canne la dalle du perron
qui résonne sous son corps tout entier

le sous-bois

quand au creux de débine
je fuis au bois
la voûte clair-obscure pèse à l’instant sur mes épaules
me dégrisant des tristesses
je retiens alors le pas je m’efface
et tout vient comme en songe
les ailes les feuilles les appels et le souvenir de toi
lorsque penchée sur le balcon tu m’appelais des yeux

les troncs figurent innombrables
dans un parfum d’humus
les bousculades de nos bras qui se serraient
j’entends le choc des branches
cloches mates
qui rappelaient nos corps à la merci l’un de l’autre

les ogives des ramures se suspendent tranquilles
et ma voix intérieure s’arrime à ta voix
nos cordes s’enlacent
dialogue de paupières aussi bien
d’où surgit tout soudain
le brillant de tes pupilles
je t’en prie disent-elles je t’en prie

au retour
après avoir cogné mes bottes aux losanges du grattoir
je serre longtemps mes mains autour du bol de thé

l’Aisne

la rive glisse contre moi
sous mes semelles se tassent graviers et glaises
et là devant
aventure de ma vie
coulant à ciel ouvert
le flot prisonnier fracture des joyaux des micas des soleils
la boue verte est parsemée des pattes des becs
traces esquissées dès l’aurore des lieux
par les envahisseurs sans loi ni limite

laissez-moi dit la rivière
gardez-moi de l’effroi des folies
je dégoutte de cette craie qui n’écrit jamais
mon lit et mon ciel froids et gris
font un unique linceul
aux soldats d’autrefois

je revins souvent
m’asseoir auprès de la voix
la peur crachée dans les remous se dénouait
ce fut l’enfance au bord du fleuve dur
que j’enviai longtemps d’aller à la mer
se faufilant risque tout
jusqu’aux confins des sables brûlants