Réponse à une actrice qui voulait en savoir davantage sur mon monologue d’une femme face à son miroir

J’ai été sollicité par des femmes battues en 2007(femmes de milieux simples
voire déshérités) pour écrire une pièce dans un monde amateur et très reculé de
nos provinces (la Thièrache 02). Les femmes avaient toutes été victimes de
violences conjugales. ça c’est le point de départ.

J’ai donc écrit diverses scènes sous le titre “Des illusions, désillusions”. La
pièce a été jouée une cinquantaine de fois dans nos régions.

La scène que vous avez l’intention de jouer est un morceau à part, adjacent, elle aborde de façon biaisée le problème de la violence des hommes contre les femmes; je l’ai écrite dans le même mouvement que j’ai écrit la pièce dans son entier. Quel rapport?

Eh bien j’ai constaté que les femmes étaient victimes d’une autre violence encore plus insidieuse: la violence du temps qui passe. Vous m’objecterez que les hommes le sont aussi. Mais voyez vous, les femmes sont terriblement victimes de cet inéluctable. Un homme de 50 ans est encore souvent pas mal; une femme de cinquante ans est sur son déclin, elle en souffre plus qu’un homme du même âge, la séduction étant souvent au centre de leur existence, la perte de la beauté est une violence insoutenable. Une véritable tragédie à laquelle aucune femme ne peut se dérober.

Et c’est justement ce déclin qui fait que bien des femmes voient leur monde
s’effondrer; le mari s’en va, le visage et le corps se défont. Ceci est une
violence, une injustice contre laquelle on ne peut rien mais qui n’en est pas
moins réelle. Cette scène est presque un à côté des violences conjugales, mais
je peux vous dire que placée au milieu de la pièce qui évoque directement les
violences des hommes, elle a un effet de mise en abîme très profond.

Le monologue en question:

“Quand je passe devant un miroir, je pense : t’es pas belle, ma belle, le miroir fait oui de la tête, je m’approche et sans le vouloir je compte.

Je compte les rides, il y en a tellement que je me perds dans les calculs, dans mes années, là au coin de yeux il y a du monde, ça fourmille; tiens, elles sont apparues après six mois de mariage, la déception déjà. Après l’amour, la peine, après les étoiles dans les yeux, les étoiles gravées près des paupières et lentement, les décennies, années banales, font des spirales, la peau se creuse sous les coups, elle se gonfle ailleurs, on dirait un édredon pas drôle ; la souple peau s’est raidie au milieu des appels nerveux du quotidien, sans doute, chaque jour un peu plus sèche, peut-être ; on dirait une terre craquelée, c’est le puissant éclat des voix brutes qui s’adressèrent à moi, tout ce temps, et les accouchements (sans douleur, tu parles), et les enfants à nourrir et les enfants la nuit. Tiens, regarde la courbe du nez, un effondrement de falaise après un raz de marée, mais le pire c’est la bouche, elle est mauvaise, pleine d’ombre, les lèvres appellent l’amour mais d’avoir embrassé pour rien, pour presque rien, les voici désabusées, tombantes, presque froides, froides… c’est affreux des lèvres froides. Restent les yeux, l’intérieur des yeux, la pupille toujours claire, belle, mais personne ne le sait, il n’y a que moi qui la devine encore, pourtant ces pupilles, elles n’ont pas bougé, c’est moi, c’était moi.

Oh, mon miroir, pourquoi me murmures-tu encore ma mémoire, oui, tu me rappelles le temps où j’étais belle, ce temps d’avant, naïf, exalté. Tu te souviens, miroir, j’étais si pure, il suffisait que je sourie à mon reflet pour que les battements de mon cœur s’accélèrent, c’était moi, j’étais fière d’être moi, d’être toujours jolie, j’avais même au regard autre chose de plus, quelque chose qui forçait le respect, un éclat de vie, du vrai diamant, indestructible, je pouvais tout vivre, tout affronter, je mettais du rouge à mes lèvres, du rimmel à mes cils, pas pour faire la coquette, mais pour confirmer que je me savais belle et c’est cette confiance qui m’a valu de croiser le premier imbécile venu, on se marie, on se débat, on se bat, les joues se creusent, et les coups répétés du temps, de l’homme, des habitudes, font du visage une bouille, une bouille, oui, une bouillie… j’en suis venue à ne plus pouvoir me voir.

Écoute, miroir, toi et moi on se sépare, je crois que c’est mieux comme ça, on va s’éviter,

va fasciner d’autres alouettes, moi, je vais continuer à l’aveuglette,

miroir, passe ton chemin, va refléter plus loin…

je ne m’aime plus .”

[ ce texte, infiniment tragique, (depuis sa parution en 2010), a été téléchargé environ dix mille fois; quantité de femmes de pays de langue française m’ont confirmé qu’il était joué avec une grande passion; voir les commentaires suscités parfois, sur ce blog même. ]

galets

fragile roulis

des inusables galets

j’envie à l’intérieur de vous 

le roc dissimulé

la pierre qui roule dans la mousse du temps 

le ru vous bouscule 

sans même vous griffer

juste l’usure 

je veux chanter la bonne mine de vos joues 

le blême ivoire des arrondis parfaits 

autant de visages rieurs

qui clignent au ruisseau en se cognant 

le joie de dévaler en croulant

gravier de vos vies avancées

vous pourriez faire un effort amis 

pour une once d’éternité

que vous glisseriez sous ma peau 

os surnuméraires

histoire de perdurer

jusqu’à l’intérieur du rire où je me protège encore

jusqu’au fond de ma poche 

je me vois bien dans la cascade des jours

arborant à mes joues votre fluide rigueur 

vous êtes beaux 

et quand dans l’allée je vous écrase

je me sens plus fragile que vos cris 

alors dans la nuit je vous écoute

si vous saviez 

au bord du sommeil vos côtoiements 

chuchotent mille espérances 

oui chaque caillou a sa note

votre petite musique de nuit me déroule ses gammes

mais je vous prie de garder souvenir de mes pas

car mes mélodies aussi dorment là 

jusqu’au bout de la nuit 

croque le jour 52

j’ai eu des peurs de vivre brièvement l’avouerai-je

qui tiraient les battements du  coeur vers le bas

j’allais ainsi longeant les racines des pins des ifs

puis le regard s’élevait sous l’effet du vent d’ouest

et la pluie cessant s’ouvraient des bleus éblouissants

la brise

la brise est une voix qui vient de loin 

au lit du printemps large 

elle balaie cimes et brindilles 

c’est un signal froid qui à l’intérieur se casse 

elle rappelle le sérieux des hivers passés 

tant d’années 

elle ne cesse jamais vraiment ses voltes 

douleur d’être 

agitation des peines 

déplaisir gentillet 

à l’ombre des arbustes fraternels 

aux joies éblouies et restreintes pourtant 

j’entends à travers elle 

une autre voix 

chuchotis à peine audible 

qui dit l’écho fini du temps 

répète un jour un jour un jour

la brise est prophétesse soudain

je la croyais au passé mais je vois que c’est devant 

au pays dont l’horizon s’approche 

à pas menus au rythme des tourterelles 

les iris bleus vont virer noirs 

docilement ils se laissent balancer 

attendant leur rôle au fond du jardin 

lorsqu’ils entreront dans la couronne 

la fameuse qui fait froid 

et garde la menace en fond de gorge 

au fond de l’air 

la brise je crois dit souviens-toi 

confiné au jardin 

endormi 

je frissonne 

éternel

annoncées par les cloches d’avril 

les petites blanches de mai au parfum doux

alimentent ma soif 

même si en cette saison grave 

toute fragrance est catastrophe 

hormis justement celle du muguet 

après Pâques les mois s’effacent 

lumières crues aux aubes forcément neuves 

l’avancée se fait dévoration 

par le sourire 

futur des aubépines à nos pieds 

notre joie est enfin nature 

pétales et pépiements s’élèvent sous les pas 

il suffit de prendre 

la main la fleur le fruit bientôt le baiser 

tout est disposé sur l’étal du temps 

les harengères baissent les cordes d’un ton 

le marchand indulgent ouvre ses réserves

l’océan lui-même dispense ses crustacés

le glacé des eaux s’échangeant au feu du ciel 

on s’en vient croquer tranquille les crabes fins 

les orteils voient leurs traces s’effacer 

très mollement au sable de juillet 

j’aimerais tant que la trace d’été demeure 

c’est là où je souris au plus juste 

sur les miroirs des aubes 

et je suis si reconnaissant d’être éternel 

au moins quelques jours 

bleu doux vibrant de l’intérieur 

dilettante avisé 

des mots noirs et des rouges passions