croque le jour 46

le silence serpent se glisse à l’intérieur des mots

il dit c’est toi c’est moi mais ne siffle jamais nous

nos paroles posées sur le vide ont du jeu

un courant d’air ferme une porte quelque part

je sursaute et me revoici vivant ouvert souriant

croque le jour 45

l’avril rustique frémit hardiment vers le tiède

avant l’aube les éclats pincés d’oiseaux tapis

anticipent la lumière sans fin des joies de juin

pourtant l’enfance de l’an y accroche encore ses lèvres

elles seules balbutièrent alors les mots argentés du vivant

croque le jour 44

les rares aigus des enfants perdus dans la cour de l’école

s’étouffent sous quelques pas qui claquent sur un faux rythme

c’est un ensemble maladroit qui joue sa musique jusqu’à l’avenue

les notes émiettées dans le silence éclatent à travers l’air froid

des cris de joie isolés craquent longtemps sous les arbres roses

croque le jour 43

qu’advienne quelque avanie affront trop humain

en toute saison je ferme les paupières

j’invente un printemps de val blond et de lac

où affluent les fausses notes de canards graves

bourrasques de rires que rythme le gracieux ressac

croque le jour 41

quand dès l’aube tout chiffonné je ravale ma façade

m’apparaissent cruelles les craquelures du crépi

la vérité s’étale sous les tendres passages des phalanges

mes yeux créanciers de mes rires délaissent l’ironie 

et je me quitte après avoir face à la glace salué ma bonne vieille maison

croque le jour (qui tombe) 40

après avoir gazouillé hirsute dans les brindilles 

le passereau se serre sur lui-même soigneusement 

plume à plume et à l’instant des lueurs mortes

son corps soudain noirci s’abandonne à l’arbuste grave

l’enchanteur du ciel semble alors une obscure motte de terre

croque le jour 35

bouches peaux et corps s’interpénètrent 

elle et lui s’adorent sous la foudre de mars

les frontières de l’un s’ouvrent à l’accueil de l’autre

c’est le même jeu de joues chaudes et d’odes à la joie

ces rouges fusions font l’amour et la paix

croque le jour 34

voies et chemins sont bouchés par le mal

quand allons-nous retrouver la belle allure

lorsque nos semelles ne touchaient plus le sol

oh nos bras nos jambes tes cheveux noués serrés

et ta voix de soprane étouffée sous le masque

croque le jour 33

tu ne t’approches pas alors comment s’entendre

tu t’approches trop près comment éviter le choc

toujours ma présence tes humeurs vont vers la bousculade

le respect nous préserve de la dévoration réciproque

l’art d’être à l’autre est ce sourire où les dents restent au palais

croque le jour 32

les tartines de l’aube s’élaborent sous les socs rugueux

la terre tranchée accueille les assauts des pluies bleues

du soleil cru bientôt les épis cèdent sous le vent 

ça balance de joie en un rythme ralenti profond

pour finir le pain grillé sous la dent se fait sourire craquant