fantôme

ce qui frémit au jardin appelle le chant 

les oiseaux guillerets câlinent les aigus 

et la voix revient à travers la source 

heureuse qui bouillonne là-bas 

c’est un trop plein de vie bloqué ce printemps 

je me demande ce que tu fais 

où tu manges à quoi tu penses 

si tu as accroché les rideaux

et si la haie bien taillée désormais

permet de deviner l’océan là-bas 

je t’envie d’avoir les fausses notes des mouettes 

à portée de tympan 

si je ferme les yeux sur cette douleur 

je n’entends plus que tes pas 

sur les lattes fraîchement posées 

les remous de ta robe

et les accords d’une symphonie abandonnée 

dans le bureau où gisent les microsillons 

je te vois livre en main dos au jardin 

c’est de la poésie je crois 

le grand miroir du salon 

où nous avons longtemps souri 

de nos vêtements ajustés et de nos colères domptées 

voilà qu’il me revient 

avec son cadre doré au trumeau peint

à la mode d’autrefois

  • un loup cerné par les chasseurs  – 

soudain le rappel des oiseaux 

le vent du soir 

puis plus rien 

on dirait que la source au jardin 

a cessé de couler 

et le miroir de refléter

pierres

je songe aux diamants d’autrefois 

tout le monde en avait un chez soi

ainsi nommait-on le saphir 

qu’on déposait sur le microsillon 

la musique rivière coulait au salon 

et par respect pour le précieux je n’écoutais 

que des musiciens morts nostalgie oblige 

ainsi ai-je appris à lever les yeux au ciel

car la rue bruissait de rythmes inaudibles 

j’ai dormi hors des lits du tout venant 

mes rêves étaient de pianos de quatuors

adolescent d’autrefois

surnourri de lubies musicales  

et lorsque j’ai découvert la cathédrale 

j’ai su enfin que la musique pouvait s’incarner

en évidence

les tours étaient des diamants 

et la nef devenait résonateur du passé 

il me suffit aujourd’hui de deux pas 

et tout revient comme au Rechercheur 

dans la cour de Guermantes 

la cathédrale chante comme moi 

elle aussi ressuscite le passé

chaque son de mon pas trouve son écho

les tours endiamantées mordent l’azur 

accrochent les nuages (ces poussières)

et ne cessent jamais leur grandiose requiem

les passés s’entassent 

les présents s’exaltent 

et les futurs bravent solidement les nues 

pierres précieuses inaltérables

le dit de la bête

le dit de la bête

quand il parvint au plateau 

il songea un moment aux épreuves traversées

traînée de poudre des annonces publiques 

puis prison maison

les corps jonchèrent sa mémoire

il entendit les étouffements à mille lieues

on ne chantait plus

la mort sous le masque blanc

de rares Augustes rôda aux rues 

ils ne faisaient rire personne

les hospitaliers s’épuisèrent à éponger le mal 

– les vrai héros songea-t-il sont comme vous et moi- 

il avança lentement sur le haut de la colline

terrain miné la bête guettait 

lui qui jadis accueillait les visages en naïf

voilà qu’il devint soupçonneux

se regardant au miroir il songeait 

j’ai changé 

la bête se moque de moi

il oublia de se raser

on verrait moins ses rides naissantes

et le souci de vivre et l’angoisse à la gorge 

qui fait le teint sévère

dépouille l’innocence

et rend bête comme la bête

après bien des errements le silence du sud-ouest 

fit résonner ses pas

le soleil abandonna ses ocres longs

pour le généreux rouge des coquelicots

il inspira le vent redevenu salubre 

poussa enfin cette chansonnette 

qui fait la joie des miséreux 

et rassure les craintifs

magie

lorsqu’au bois j’avance dans l’avril

l’adolescent me revient entre les arbres

mille peines et pleine respiration

mes poumons scandent les pas

mes lèvres imitent les nouveaux oiseaux

et les amours difficiles et les aveux jamais lâchés

je me dis dans l’ombre neuve du bois joli

que ça palpite à jamais

mon pas sur les feuilles ridées de l’an passé

rythment le bel inexorable

la musique fait craquer les bémols du souvenir

et le présent et le présent

aspire comme ça vient

la joie est là entre nostalgie et futur

elle est à toi cette saison

une voix grave s’impose avec sourire

et chasse aux papillons

la mienne la tienne si charitable

ah que revienne toujours ce printemps d’éternelles joyeusetés

peut-être pourrai-je éterniser aussi

cet instant qui se libère 

en enchaînant les voix qui voguent

nous allons nous aimer sur ce temps

parce qu’il le faut

ce n’est pas si tragique

c’est pour le plaisir d’être

en ce moment magique

de longs frémissements

l’infirmière

l’infirmière

elle effleure de la poitrine le bras du malade

le tube crachote 

elle se penche

observe le corps en fièvre 

grièvement mordu par la bête

on n’entend plus que la mécanique

rythme insoutenable 

elle accompagne sa douleur de petits gestes

un pli qu’elle tire un pichenette machinale sur la perfusion

elle murmure que ça va aller puis se lance

dès que j’ai vu que c’était toi murmure-t-elle

je t’ai pris en charge

pas de hasard

je me souviens –  juste avant que tu me quittes –

de ta colère quand je barrais le voilier

je disais laisse-moi faire

je sais d’où vient le vent

je connais ses moindres souffles

et l’infini des eaux 

et les crêtes des vagues qu’on traverse de biais

laisse faire laisse faire

tu vois aujourd’hui encore

je te guide je précède ton corps 

ligoté étouffé écrasé

je ne t’en veux plus d’être parti

je vais alléger ta peine à vivre

c’est mon métier ma pitié

c’est toi 

reviens-moi stéphane

comme les migrateurs

aux prémisses du printemps

que nous montrions du doigt en riant

l’année dernière souviens-toi

il y a un an seulement

un an  c’est si loin

(publié ici il y a un an… pas si loin, toujours d’actualité)

fièvre d’écrire

hommage à Bernard Noël

penché en avant 

au bord de l’étouffement

j’envisage le vide à vivre

et l’horizon là-bas j’aimerais tant 

l’apprivoiser du bout des lèvres 

murmure pour le malheur

rivé dans la vallée fatale 

le fièvre enfle avec l’ouest

ils tombent les amis les vivants

ma main ne les retient plus au globe

la terre est grave

je les tire par les bras les jambes

mais de l’écrire n’aide pas 

la vie me contredit elle va elle va

le crescendo du virus fait boule de neige 

en ce printemps fou de pâquerettes

nos paumes battent au crépuscule 

luttant avec les coeurs qui s’en vont

et pendant que j’écris 

des non nommés

à pleins bras

à corps perdus

affairés

donnent donnent donnent

pour d’autres heureux anonymes 

qui finiront je le jure je l’écris

par retrouver leur souffle

couronne folle

folle couronne

elle accroît son empire

menaçant gorges et vallons

l’affaire de vivre se fait fragile

on sourit au miroir joli miroir

orage et grondements là-bas

le compresseur muet 

roule contre nous 

plaque à la terre 

enfièvre jusqu’à couper le souffle 

le creuset de ma flamme s’amincit 

dans l’espace trop connu du salon

l’esprit pourtant cravache le corps

feu follet il bondit le matin 

consent le soir aux braises vermillon

j’imagine le globe qui fonce

magnifiquement bleu 

oui les pays grincent c’est vrai

mais ils reviendront à la vie

résistant contre la couronne en folie

qui pèse sur les fronts brûlants

elle s’envolera un matin de printemps

reine fée méphistophélique

qui nous ligota longtemps

Séparés

pose ton doigt sur la bouche 

cesse de chuchoter

tout a fui

l’air vibre en vain 

les lèvres tombent 

demain est un autre silence 

que sont les amis devenus 

les routes partent vides

vers l’horizon proche inatteignable 

ma mie pleure au village

j’ignore si elle m’entend

mais je devine que sa présence

avance là-bas en robe bleue

plis à peine froissés

sous les charmilles interdites

visitées des bouvreuils et des verdiers

elle se souvient du temps 

des chants à gorge pleine

où plus grands que le monde

nous nourrissions l’espérance

de marcher côte à côte 

libres de tout 

insatiables

vers l’infini couché des nuits

Affairées

acrobates du manège migratoire 

les hirondelles semblent hésiter à rentrer 

j’ai hâte de les revoir 

leur carrousel malicieux  bousculerait nos déveines 

effleurant sol et ciel 

je les vois frotter la terrasse rayer les nues 

dessiner de leurs lacets noirs et blancs

du bout de l’aile

les couleurs neuves de l’an

leurs tourbillons revigorants 

balaieraient à point nommé notre air torpide

lèveraient le couvercle enté sur nos crânes 

quand l’épouvante dénoue tous nos liens 

je songe que leurs affairements de demoiselles 

est le miroir rêvé d’une course réelle

mille semelles claquent aux corridors

les hôpitaux aux gorges éteintes

résonnent des efforts incessants

de nos berceuses de printemps

demoiselles des soins forcément belles

qui étanchent la longue douleur de l’air

devenu scandaleusement irrespirable 

les infirmières viennent aux poumons expirants 

elles ne cessent d’avoir souci du plus élémentaire 

les bouches ouvertes souffrent 

vieux oisillons dépendants

elles seules s’arrangent tranquilles avec le mal

négociant chaque jour mille guérisons