fable d’amour

elle l’avait finalement repoussé
jusqu’au palier
elle jeta ses chaussons contre la valise
elle en avait assez des atermoiements d’automne
je t’aime je ne t’aime plus
il aurait voulu donner des gages
projet de mariage partage des frais
compte joint
et puis non il ne se voyait pas
entrelacer leurs doigts
tes lèvres miennes ah là là
les corps nus puis habillés ou tendus toujours
à l’écoute oui à l’écoute
il ne le sentait pas
il préférait la bière seul
au sourire face à la soupe
où l’on jette des croûtons pour ne plus se voir
le couple mou très peu pour moi disait-il
il lui prit l’envie de fuir
tout était boue en la sale saison
de l’ouest mugissant et des gouttières folles
il revint au village
prit pension sans marchander
un couple l’hébergea tout l’hiver
deux qui s’entendaient en secret
sans parler
il sifflait elle chantait
des histoires d’amour qui finissent bien

joie d’automne

une manière de rayon tiède
creuse sa trace contre les nuages groupés
le coeur un moment s’ouvre
à la joie d’octobre
ses menaces s’aménagent en lumière
la suite des jours dit bon débarras
je jette les fleurs sèches
puis avec elles rêveries et papiers
dépassés par le flot tout rétréci des jours
j’ouvre alors la candeur de l’âtre qui rougit
arrosant le tapis et mes mains
d’un trop plein de chaleur folle
joli soleil de bois
lumière orangée
qui insiste vers l’arrière
mord sur l’août noir
croque les noix de septembre
les étincelles débordent ainsi en éclats vifs et noirs de feu
sortes de secondes explosives du moment
pointes subtiles et brutales
dans la pièce où les bûches résonnent
je me perds en cet l’instant qui s’immobilise
dans l’éternité
novembre et ses aigreurs sombres peuvent bien passer
je songe combien l’enfance sera tendre
à l’orée de décembre

Le langage de LF Céline

Ce langage apparemment désinvolte et cru est la résultante du petit gars humilié dans la petite enfance par la nature et qui songe : un jour je me vengerai, un jour je leur ferai voir ce que c’est que le langage, le vrai, le mien, celui que je n’ai pas encore mais qui bout à l’intérieur de moi, de colère, ce langage de ma colère d’enfant impuissant sur son pot et envieux des adultes tout puissants. Sa profération est de l’ordre du : un jour quand je serai grand. Céline se souvient de cette phase affreuse où l’on était dépendant de tout, vexé de tout, inférieur à tout, incapable de parler comme les adultes qui le plus souvent nous humiliaient par leur seule présence, par l’aide matérielle qu’ils nous apportaient (essuyer les fesses, donner à manger, habiller etc.). C’est l’image du paradis qu’on associe à l’enfance qui nous fait oublier (curieux oubli) que c’était l’âge de l’impuissance et de la colère absolue. Il ne faut pas forcément des parents malveillants ; c’est là où est l’erreur commune. Si Céline nous parle, c’est que ses éructations sont notre chant de colère, celui que nous avons entonné à l’intérieur de nous et dont, une fois adulte, nous avons effacé le souvenir, car une fois autonome, il est affreux de se souvenir de sa dépendance naturelle si totale. Des parents malveillants en rajoutent une couche bien sûr ou plus tard l’expérience de la guerre 14 pour Céline, évidemment. Mais il me semble que son charme se situe pourtant dans cette colère retrouvée, soigneusement redessinée contre la tradition française écrite du bien parler, en révolte contre le langage amidonné qui n’est autre ici que l’image du langage si facile qu’avaient les adultes lorsque nous éructions impuissants. C’est ainsi que son langage nous paraît « naturel » : c’est normal, c’est le plus connu, puisque c’est le nôtre lorsque nous étions enfants, c’est-à-dire privés de langage. C’est notre langage lorsque nous n’avions pas de langage. S’opère alors à sa lecture une étrange libération souriante, inconnue, lointaine et désespérée, puisqu’il s’agit de notre bonne vieille colère.

Jours noirs

Il est difficile à l’approche des jours noirs, de garder sous ses cils la petite joie qui chantonnait tranquille en avril, en juillet, sans qu’on y pense. On la portait aux jours de fête, elle était à tous, il suffisait de lever le regard. Les pupilles étaient autant d’étoiles au manteau du jour et les nuits sûres, nocturnes élégants, se berçaient toutes seules.
Et puis voilà l’avalanche du noir poisseux, les yeux en berne. La machine à songer se grippe à chaque pas. Que faire? Il va falloir arracher les jours un à un comme à l’éphémère,et, dans le silence du chemin qui se cherche, chanter, histoire de traverser ce lourd désert de flaques et d’ombres.

Octobre: la loi du corps

Quand octobre bascule sous le jaune perché des nuages, chaque aube mouillée me semble autant de crépuscules. Rien ne parle plus que le vent et le fouet des nappes entortillées dont quelques gouttes glissent parfois jusqu’à ma nuque. Ma main fièvre hésite à recueillir les fruits des rosiers nains. Mon dos lance sa rouille contre mes omoplates. La loi du corps dit qu’elle commande et que je ne suis plus libre de ressaisir ni la rose en survie ni le jour qui s’incline. Vers le soir j’ai de la peine à dire oui.

quand même

les octobres ont toujours de ces mauves
qui basculent là-bas sous la pluie
les obliques jaunes ironisent
insistantes il est tard
les horizons bafouillent
-l’immobilité d’août
avait inscrit les cimes contre le ciel –
et voici que contre les coups d’ouest têtus
mille brindilles se replient comme elles peuvent
comme si la rotation de la terre ne suffisait pas
ah j’ai dû lâcher ta main
j’ai beau chanter les vieux jours
et surtout les nuits graves d’été
un long sourire
va s’étaler dans ces glissades floues
on s’y perd on oublie
le souvenir des doigts serrés
et des mains de juillet
quand pures les étoiles se mêlaient à la rue
que tout était un
et non cet étalage mouillé
où s’entassent les tissus
imperméables capuches foulards
et phrases jetées contre la pluie pour consoler
pour dire que c’est beau
et que c’est bien quand même

placette

mes paupières s’alourdissent tranquilles
les trains de Paris resifflent
dans les nuées rampantes
qui s’accrochent aux prêles aux bruyères
nostalgie aux épaules
je glane les plumes des rapaces
et les dépose près de la lampe
où elles luisent longtemps
jusqu’à ce que la poussière de novembre
les enduise de la neige des jours
mais ce n’est pas demain
octobre m’ouvre encore les pupilles
il fait joie dans les roses froides
et je m’émerveille que ça tienne
comme mes joues ton amour et la vie
je note la raideur un peu des gazons
les ris amusés des soleils au rideau
et les parfums forts des terres délivrées des récoltes
on dirait un désert
or ce sont cent richesses
entassées dans les granges

sous mes pas encore verts
les feuilles tardent à tomber
je les attends debout sur la placette
plein vent

les souterrains de Laon 5 (la nuit)

La butte témoin s’ouvre aux quatre horizons et donne à notre présence sur la terre un souffle inhabituel, la géante cathédrale multipliant par cinquante notre corps vertical. Le monde coloré passe sous notre regard, l’aventure du plateau est un arc-en-ciel et même bouchée (les nuages, balourds visiteurs) la trompette de lumière azurée module ses innombrables mélodies de nuances éblouies. Dignité, fierté, exaltation, rêve de puissance, tout se mêle lorsqu’on se prend à songer aux siècles, aux oeuvres et à notre vive présence, modeste et capitale.
Que dire alors des souterrains? Lorsqu’on s’enfonce sous le plateau, c’est une nuit de pierres, le monde se fait noir et blanc, les galeries s’élancent, bifurquent, se croisent pour le plus grand plaisir des spéléologues, las d’avoir été arrosés par la lumière du jour. Je crois qu’ils cherchent à animer un peu la peur de vivre à cru qui est l’autre nom de la peur de ne plus vivre. Le savant aussi bien que le touriste y entend en effet son coeur battre, le silence est tel qu’on se sent plus directement vivant, le corps remue comme la nuit du poète, le pas fait vibrer les dalles: on ne ment plus, c’est bon. La nudité de l’existence fait l’excellence des lieux et nous attire comme si c’était la vérité enfin de notre vie.
Ces rocs entassés, percés, creusés, évidés par l’eau et la main de l’homme offrent un tombeau vivant à explorer, ainsi peut-on peut-être imaginer par avance, lampe au front, une image de notre vie après la vie.
Les souterrains angoissent et rassurent, ils sont notre émoi perdu sous les pas des piétons du parvis. Les emprunter est une autre promenade qu’en ville haute. Elle est hors temps, hors climat, et à condition de s’habituer à la fragilité des lumières, elle offre du passage accidenté vers le paradis une représentation saisissante, étouffement mimé sous le poids des pierres. Il est vrai qu’avancer c’est risquer: l’explorateur peut se perdre à chaque détour, choisissant la galerie de gauche au lieu de la droite qu’il croit connaître puis, la panique aidant, rebrousse chemin par aspiration à retrouver le connu. Marcher ainsi à la presque aveuglette, c’est mettre en valeur son courage, son flair, son savoir aussi. Tel grès des parois, telle argile du sol en disent autant à l’explorateur que la nature du sol et des plantes pour un agriculteur.
Il est vrai qu’il en va des souterrains comme de nos pays où la main de l’homme a glissé partout, les découvreurs d’antan sont devenus fonctionnaires et les précieuses balises du tourisme courant ont remplacé les errements du hardi pionnier qui, une lampe sourde à la main, s’est élancé pour la première fois dans la découverte du mystère des lieux d’où la vie semble absente.