l’oiseau la vie 

il se souviendra du nid

d’osier croisé 

de paille tressée

fragilité des corps pressés

nus

berceau pour l’oiseau

vite il s’habille de duvet

des jours de piaillements

des nuits de rêves 

tendus vers le bec

comment boire 

la pluie peut-être

ou la rosée de l’aube

puis un jour ils se désincarcèrent 

l’un tombe pour les autres

il meurt à deux pas

au milieu des coquilles

mai les voit tous se brouiller

les aurores les envoient 

se remplumer ailleurs

ils sont toujours pressés

au bord du nid de bois

les griffes mordent

puis l’envol non voulu

folie d’écouter son corps

souvent les ailes disent oui

trop d’air soudain libre

l’oiseau s’enivre au vent

où aller sans retour

acrobaties puis la pose

courbes graves

il becquette au hasard

respire sur une brindille

rien n’arrivera plus

manger puis pondre

un nouveau nid

à bricoler comme

la vie sur l’instant

une vie abandonnée

au vent pur

fantôme 

ce qui frémit au jardin appelle le chant 

les oiseaux guillerets câlinent les aigus 

et la voix revient à travers la source 

heureuse qui bouillonne là-bas 

c’est un trop plein de vie bloqué ce printemps 

je me demande ce que tu fais 

où tu manges à quoi tu penses 

si tu as accroché les rideaux

et si la haie bien taillée désormais

permet de deviner l’océan là-bas 

je t’envie d’avoir les fausses notes des mouettes 

à portée de tympan 

si je ferme les yeux sur cette douleur 

je n’entends plus que tes pas 

sur les lattes fraîchement posées 

les remous de ta robe

et les accords d’une symphonie abandonnée 

dans le bureau où gisent les microsillons 

je te vois livre en main dos au jardin 

c’est de la poésie je crois 

le grand miroir du salon 

où nous avons longtemps souri 

de nos vêtements ajustés et de nos colères domptées 

voilà qu’il me revient 

avec son cadre doré au trumeau peint

à la mode d’autrefois

  • un loup cerné par les chasseurs  – 

soudain le rappel des oiseaux 

le vent du soir 

puis plus rien 

on dirait que la source au jardin 

a cessé de couler 

et le miroir de refléter

flot

laissant la barque

à l’attache derrière moi

où de sa pointe elle désigne l’aval

de sa féroce insistance coutumière

je m’engage sur la berge vers l’amont

mes pas sont si prudents que les semelles

semblent-ils craquent et gémissent un peu 

je furète de mes yeux éperdus 

j’entends des cris 

il s’est passé quelque chose

les éclats des eaux mille feuilles de lumière

crépitent sur le lit tortueux

antique silencieux 

rien ne résiste au courant chante le flot

mon pas dit le contraire songé-je

et je rêve cet avril poison 

je veux revoir tranquille 

la série éphémère des cytises et des lilas

le présent me console tant et l’autrefois un peu 

la rivière peut bien emboucher le deuil final 

mes pas eux papillons incontrôlés

remontent et se posent 

en ce silence mérité 

page blanche très présente 

sur laquelle je demeure sans souci 

souriant d’activités

candide je choisis l’aube

je n’oublie pas la barque du couchant 

mais elle ignore que les naïfs sont braves

et que les poèmes s’écrivent contre elle 

en dépit des poisons

Une écharpe

quand je peine à respirer 

égaré 

au désert populeux

errant invisible au marché de la rue

soudain un visage neuf

allumant une douceur de prairie

(sa joue est colline)

le regard vert aspire les rayons

l’azur suit

et c’est un bonjour qui me surprend

aventure d’être

je reconnais que sa beauté sel de mer

a une voix

je songe que je voudrais être sur l’océan

elle serre son écharpe

et le geste et le tissu m’emportent par surprise

nuage vif

me voilà saisi par le souffle limpide

un rêve s’avance

je le creuse et continue à parler

du soleil réel

tandis que le voilier s’enfuit là-bas

je suis à la proue

je parle encore longtemps salades radis

carottes poireaux 

les éventaires courbes chargés de leur poids terreux

résistent un peu 

mais je suis loin envolé aux îles tendues

de sable roux

tout cela à cause d’une écharpe d’une belle

où j’ai lu une voile

Laon, les bœufs

Il est naturel que les bâtisseurs aient voulu placer les bœufs en haut de la cathédrale. On dit que les hommes du temps  ont ainsi voulu saluer les animaux qui tirèrent les pierres depuis le Chemin des Dames. Je me suis amusé dans La Cité Intérieure à rêver autour de cette présence : les bœufs sont des modèles d’édification ; bœufs, ils expriment l’idéal religieux de l’abstinence sexuelle ; juchés là haut, ils sont lestés d’une symbolique simple : plus je monte plus je m’éloigne du monde, c’est le retrait chrétien ; ils deviennent ainsi des intercesseurs entre le ciel et la terre, prêtres, moines, chamanes, etc.

Ces jongleries cependant ne suffisent pas. La simple observation me convainc d’autre chose. Comme l’a parfaitement rendu Villard de Honnecourt dans son dessin bien connu et que mon éditeur imprimeur (inoubliable Jean Le Mauve) a reproduit dans mon petit livre, les bœufs sortent leurs têtes de l’alignement des tours et cette « charmante fantaisie » (Proust) donne aux animaux placides, balourds, des allures de concierge intrigué, bêtes curieuses qui semblent passer leurs têtes par l’embrasure de fenêtres que les dentelles des tours ménagent au milieu des nuées. Très vite, je sens qu’ils se gonflent de toute mon ironie, grenouille qui devient aussi grosse qu’eux, leur prêtant par retour un sourire qu’ils n’ont peut-être pas, mais que leur col tordu suscite cependant. Il me vient soudain que l’anormal est là : loin d’avoir des cous de taureaux, ces animaux poussent leurs têtes au-dessus du vide de leur col longiligne comme en a peut-être le dragon des contes ; je vois ces bœufs qui un matin du XIIème siècle secouèrent leur joug par la grâce d’un sculpteur et qui libres enfin d’observer, eux qui avaient toujours courbé la tête, avancèrent leurs cous désormais libérés au-dessus des agitations de la cité et des plaines vallonnées. De bêtes de somme elles devenaient bêtes d’éveil, de guet, d’ironie, heureuse moquerie du monde d’en bas, clin d’œil du sculpteur qui se voit à travers eux avec son modeste statut de tailleur de pierre, mais qui SAIT. Au fait, que sait-il ?

Les artistes n’ont pas de reproches à adresser au monde : ils décrivent ce qu’ils voient. De tout temps les vrais artistes ont su d’un savoir ésotérique ce qu’il en était de la création, c’est-à-dire de Dieu (mythe presque universel). Jusqu’à une époque récente, ils ne l’ont jamais dit explicitement, mais ils ont tracé des pistes, envoyé des signaux. Comme les bœufs dépassent de l’alignement des tours, ils ont signalé leur présence dans l’œuvre. Rousseau offrant son prénom au lecteur, Kafka sa belle lettre initiale (un homme marchant debout), Dante tendant sa main à Virgile qui la tend lui-même à Homère, Proust contant comment il devint romancier, Cézanne laissant des pans de toiles non peints… autant de signes, d’appels, de tendres coups de coude, affaires de présence au beau milieu de notre monde.

Ils étaient seuls.

Aucun des seize bœufs ne croise le regard de l’autre. On dirait nous aussi au plein des fadaises, dans nos rues, dans nos transports en commun, jouant l’absence de l’autre alors qu’on le voit parfaitement, solitude posée en haut, hissée sur les plaines où, pauvres gaulois, nous allons ahanant nos tâches fatiguées. Les cornes accrochent bien ici ou là les nuages qui passent mais cet isolement, ce murmure meuglé, n’est pas un hasard, notre sculpteur savait ce qu’il en est de nos destinées à chacun réservées, pose observatrice… et leurs touchants regards… Ami, sais-tu la solitude, les bœufs en troupeau c’est vrai, et cependant chacun par devers soi ? Il faut traverser les nuages du temps, écorner l’azur et manger le foin des plaines lointaines ; figurant un quotidien hanté par le désir de dire, ils renvoient en seize miroirs la platitude de la répétition du semblable : lever, déjeuner, coucher et l’ensemble des tâches, bœufs aux mille pas entre étable et boucherie, la peine de mort au plein du col très curieux. La tête tombe, la bête d’ombre toujours, foin des querelles, retour sur le va et vient des yeux artistes, musique d’orage peut-être (Gracq) plus sûrement ce sel qui pimente nos jours, car sans les artistes et les bœufs que serions-nous ?

Il faut ce regard oblique, point méchant, vrillé sur nos vacations ; ils ont la voix posée des errants qui savent, eux, bêtes d’obscur labeur, artisans du vide, et sa main qui les sculpte et ma main qui va devisant, devinant leurs oraisons et les saisons qu’ils abritent de loin comme on le fait au soleil lorsque posée sur le front, du haut de notre moi, nous attirons l’ombre de nos doigts serrés sur les paupières de l’aube.

grenier

quand je me lasse de l’instant 

j’emprunte l’escalier

qui mène au grenier gorgé d’objets

jouets valises araignées balconnières

ça danse là ça dort là confus et honteux 

astiqués ça pourrait revivre

mais pourquoi ces voyages au pays des regrets

à quoi bon ravauder les robes fanées par les étés féroces 

tout refluerait 

et mes arguments en faveur de leur résurrection 

crèveraient en bulles de sourires brefs

le corps un peu cru

se ferait plus gauche encore

je pense soudain aux araignées

elles bien actives

tissant dans la poussière 

un empire de fils serrés

elles revisitent nos objets sur le métier du temps

nos petits gestes nos grandes amours

et couvrent le passé devenu ici présent

d’un tissu apprêté presque collant

les souvenirs en tête font si vite retour

quadrillages compliqués

dont on ne s arrache qu’à peine

Gulliver était moins prisonniers des fils 

que nous de nos toiles

sous lesquelles s’agitent les fantômes qui pèsent sur la maison 

berge

il me rôde un chemin

qui tourne souplement

mes vrais et faux pas

y sont recensés tant joyeux

cascadant au long de la vieille rivière

j’ai parcouru gravier nu 

les avals cruels du flot

où le lit parfois chante ou se fourvoie

sentier herbeux où les poissons sérieux 

luttent à contre courant 

en un sur place merveilleux 

où l’effroyable cours semble un instant défait 

où faire consiste à résister

j’ai maraudé ici et là 

les fruits de mes réussites

c’était un pas puis deux 

puis des flots ont englouti les champs

j’y ai jeté un oeil 

et toujours les quelques pas 

cette pente qu’enfant j’adorais 

à cause des poumons qui débordent 

mon chemin s’ouvre encore là-bas

mais je ne cours plus j’ai appris 

que la joie ma foi n’était rien d’autre 

que le chemin de l’instant

petite berge grave 

longeant chaque seconde 

printemps

la pure glace ne brûle plus mes bronches

l’air attiédi me fait oublier la gorge encore piquée

se mêle au vent léger le ramage des oiseaux bâtisseurs

ma voix s’efforce de chanter claire – finies les vapeurs aux lèvres

le manteau garde l’hiver suspendu au silence de l’entrée

cathédrale

les pierres empilées

foncent vers le plus chaud 

on peut dire dieu si l’on veut 

toute parole est bonne si elle rassure 

et la cathédrale est du feu pour le fragile 

le petit homme(moi) invente des flèches 

tours nefs sourires boeufs maternants 

il lui faut des rouges lances aiguisées 

obliques et loyales 

qui nous font un seul chant 

tandis que les ombres simulent la sûreté 

je voudrais tant que l’on revienne 

en cathédrale où tout se tient 

les vivants seraient liés par le bonheur 

comme les vers d’une élégie 

où les mots s’entremêlent longtemps en mémoire 

de manière à faire des miracles

une cathédrale de feu bien sûr 

l’ardeur fiévreuse des bâtisseurs 

je l’entends je l’entends 

et mes mains les mêmes mains 

s’essaient à l’hommage chanté 

pour se rassurer des poisons du printemps 

je vois bien que les flammèches 

minaudent au regard des couchants 

qui faisaient les rosaces 

la gigantesque maison verticale où méditer 

sidère toujours les vivants 

mais ce sont les géants qui hélas font défaut 

au pied du parvis stupéfiant 

où les regrets empressés 

s’effilochent en tourisme rapide

après mai

lorsque la fenaison s’avance 

au coeur des piquetis enchantés 

qui font de mai l’exception pour les yeux 

les herbes dansent une dernière fois en robe lentes

leurs grâces s’inclineront sous les roues

des grillons cachés craqueront en syncopes

dans le juillet des chaumes menacés

puis les sillons finiront par accueillir goulûment

sous la terre neuve que l’acier dévore 

les restes rasés des miracles engloutis

 il y a toujours un mai

lorsque les fruits poindront

il sera toujours temps

de croquer l’essentiel

mais le mois qui compte 

est celui d’aujourd’hui

quand tout est à venir

lumières chants poussées folles

rien de pire alors que les orages

de pluies de vents

qui punissent le sol d’avoir donné 

jonquilles coquelicots déjà

et bourgeons éclos de blancs poudrés

tout est à terre

c’est le deuil de mai

ne prenons pas le temps de gémir

de faire non en secouant la tête

les repousses ne cessent pas

ce sont mille appels

il était peut-être bon de renaître

un chant plus fort s’annonce alors

l’aigle est au futur

dit le poète

la recroissance vaut bien cet amour

on se fait tendres soudain

attentifs à la brise qui ne mord pas

nous sommes les enfants d’après l’orage

je vous l’ai toujours dit

la vie peut se faire douce

vous ne me croyez pas

vous allez voir

mai

ce mois s’éparpille en or

il s’égosille avec le coucou

et fait presque bleuir le colza

tant les jaunes cassent tout

de leurs rires étalés 

soulerie serrée contre la terre

leurs champs font pièce au soleil

la magie dure peu mais la trompette

éclatante effraie la mer des blés

symphonie de cuivres briqués

dont les graves reflets posés

alentour jusque sur le chemin

me remémorent les dames

en robes rouge et or

et les messieurs sinistres

en uniformes gris morbides

le colza devait être triomphe

c’est une tombe folle

les corps défaits ont nourri

la belle terre friable noire qui

comme si elle n’avait pas été labourée

par les obus dérivants de nos rages

humaines trop humaines

pouvait du fond de son humus 

dire à une humanité pareille

non je ne donne plus

je garde mon colza mes blés

faites la paix une seule fois

je vous promets des moissons

de l’huile et des prés charitables

une seule fois

un seul printemps

une écharpe

quand je peine égaré à respirer

au désert populeux

errant invisible au marché de la rue

soudain un visage neuf

allumant une douceur de prairie

(sa joue est colline)

le regard vert aspire les rayons

l’azur suit

et c’est un bonjour qui me surprend

aventure d’être

je reconnais que sa beauté sel de mer

a une voix

je songe que je voudrais être sur l’océan

elle serre son écharpe

et le geste et le tissu m’emportent par surprise

nuage vif

me voilà saisi par le souffle limpide

un rêve s’avance

je le creuse et continue à parler

du soleil réel

tandis que le voilier s’enfuit là-bas

je suis à la proue

je parle encore longtemps salades radis

carottes poireaux 

les éventaires courbes chargés de leur poids terreux

résistent un peu 

mais je suis loin envolé aux îles tendues

de sable roux

tout cela à cause d’une écharpe d’une belle

où j’ai lu une voile

glycines

drapé solennel de bleu vieilli

elles désignent en suspension 

le sol d’entrée où claquent mes pas 

je vois vibrer en lanternes serrées

les grappes qui ponctuent mes allers et venues 

de leurs fragiles oscillations 

comme autant de NON qui se moquent 

de mes farcesques vacations

lilas

froissements tendres contre la croisée

les trilles des passereaux

se mettent à gloser

sur l’aube et les lilas

on efface des brumes quelque part

le parfum partout 

glisse au lever ses violines bleuissants

grappes en route vers la survie

engoncées dans leurs tricots serrés

|Chez nous les lilas, c’est deux semaines de foisonnements parfumés. Un jardin sans lilas c’est la moue assurée du passant; ils forment un unique fil invisible qui court les venelles et s’envole avec les hirondelles revenues.

Ils sont à notre septentrion l’équivalent froid des mimosas du sud, ces larmes du soleil qui réchauffent le cœur.]