passage (février mars 2024)

au bout du tunnel hiver

ce long temps

aux cahots imprévus

flaques boue et soleil rougeaud

 je vais entrer en forêt

 adossé à ce passé 

l’éclat du jour m’éblouira

j’irai par les sentiers de givre mince

j’aurai le souffle aux lèvres 

  j’attendrai ce moment où

les oiseaux facilement admiratifs 

louangeux et forcément joyeux 

nids de notes essaims d’aigus

recouvriront le gel de leurs étincelles

mais on n’y est pas encore

la nuit va d’abord se faire diminuendo

après le fracas des bois perclus d’hiver

qui s’agitèrent au vent funèbre

alors la vie va revenir

février est ce passage 

la fièvre terrestre remonte doucement 

on l’entend aux brindilles collectées des becs 

enfin naît la tiédeur fragile

le ciel en pâlit un peu 

il est des bleus mêlés de plumes

qui viennent à hauteur des oiseaux

et s’ouvrent distraits dans l’azur

qu’on croyait disparu 

je comprends pourquoi les merles 

n’ont cessé de trouer le silence des jours

pourquoi les corbeaux partaient vers le levant 

quand le soir venait 

ce sont eux qui épuisèrent les aubes anciennes

le noir leur va si bien

leur désolation finit un jour par fatiguer la nuit

sous leurs pattes

il faut faire confiance

à la rotation de la terre

à son axe généreux qui nous bascule

 contre la vague première et douce

nous ramenant ainsi vers l’équinoxe de mars

en pleine lumière

sentier

crissant le sable approuve l’empreinte 

puis un bleu ciel glisse entre deux bouleaux 

qui oriente mon pas ce négatif au plein du chemin 

ça bifurque main droite 

l’appel du geai crie ses fausses notes

un danger s’affirme avec ma présence 

je rêve de m’absenter

pour ne pas gêner  

des brindilles sifflent sur mon passage 

confirmant le rappel de l’oiseau

dont la tache azurée me revient

alors que je ne l’ai pas vue

le beau redoute le danger

une bruine se mêle aux pas 

le chemin se fait ancien ruisseau 

qui polit ses grès dans la bruyère 

mon avance me perd 

bonheur de l’inconnu

futur qui m’échappe

nul ne sait ce qu’il en est 

des pas des instants

un très vieil air me revient 

qui parle de perte et de pluie

de sourires et de joie

une main là-bas très loin

me signifie

que le sentier ne mène nulle part

qu’il vaut la peine pourtant 

de l’emprunter

VA

fleur vaguement brune 

je cueille le corps de l’oiseau 

il tiédit ma paume 

j’ouvre encore mes doigts 

son coeur bat une chamade folle

risquant tous les rythmes

il n’ose pourtant pas l’envol

pris dans l’antique terreur des proies 

ses plumes se serrent 

il sait les griffes qui le guettaient en silence 

ma main brise la loi de la nature

me voilà sauveur 

je siffle sur ses plumes 

une musique minuscule 

ivresse des matins légers 

où il fait bon s’envoler 

va

n’aie pas peur chanté-je

il n’y a pas que les chats tigrés

il est aussi tu vois des paumes refuges

qui protègent les passereaux perdus 

j’ai tant besoin de vos visites

j’envie je l’avoue l’élégance de vos envols

et tes affolements précipités me sont si proches 

ami va colporter cette paix des phalanges

qui furent un moment ta maison

porte leur là-haut le message

d’un monde d’en bas

où la chair palpite

et réchauffe  

et sauve un peu parfois

à ras de terre

baume rouge

quand l’an neuf pénètre

dans le tunnel glacé des hivers de chez nous 

je me souviens de la peur au corps d’enfant 

et du retour des rhumes 

frissons mouchoirs j’éternuais contre le vent 

mon visage éclatait aux chemins forestiers

aux avenues éclaboussantes

infamie des voitures obscures

j’allais à l’abri truqué de l’église frisquette

qui devait protéger le chrétien

mais en vain

la nef glaçait jusqu’aux semelles 

et pourtant 

j’ai toujours admiré

la déchirure de l’aurore

qui s’en venait soigner les ciels pathétiques

baume rouge pour matins désolés 

la peur d’un coup changeait de camp

je renaudais furieux contre notre espèce

donnais des coups de pied 

contre les gouttières qui crachaient aux trottoirs

jurant comme jamais qu’on ne me reprendrait plus 

à la fatalité subie

et c’est ce qui s’est réalisé

quand rabattant l’écharpe sur mon cou

je serre les poings dans les poches du manteau

libre du froid 

je souris de cette peur qui me figeait au sang

et se dissout au regard de toute beauté

adossé aux saisons 

le carnaval bouscule le présent 

on pousse des cris on se jette des oranges

les oripeaux sortent des armoires

pour moquer les stylistes 

et les archevêques qui ne rassurent plus personne 

se gardent bien d’évoquer l’éternel

lors des éphémères célébrations 

des joyeusetés sortent des corps désengourdis 

de leurs frissons d’hiver 

pierrot s’avance en tapinois sur son char coloré

février accourcit l’an à force de cabrioles 

les crêpes miment les soleils

dans les cuisines encore grises

on s’active autour des oeufs frais pondus 

pièce en main on rêve robe dorée

les sans dieu adorent le soir

les incendies du ciel

février se moque du monde

il rit dans le même temps qu’il glace

tandis que Valentine et son compère

se gavent au restaurant 

en plein carême

c’est le monde à l’envers

février

fouettés de vent 

les jours avancent de hardis museaux 

la glèbe de ce mois s’apprête 

elle écoute les nuits noires 

guette le qui vive

qui prépare les envols 

blés et perdreaux dévaleront les collines

cela se sent 

ce temps est le sourire crispé qui précède l’effort 

il y eut des gels 

ils se cachent un peu 

mais dès l’aurore

la lumière neuve allonge le pas 

quelque chose se passe

quelque chose est en train

avant tout

février est avant tout 

il rumine son attente

la beauté s’apprête

au miroir des ciels crème

saison en gésine où dénudées 

les branches content les vieilles batailles

gloires vaines amours décolorées 

et ta main qui jette au feu 

les branches tombées jadis 

au combat contre le vent 

champ d’honneur pour arbre mort 

joie du feu qui éclaire tes yeux 

et rejoue la chaleur de nos embrasements

sauvetage

Il s’interrogea

sur son silence

qui tremblait sur ses lèvres

lorsqu’elle avait avoué contre le vent du large

qu’il n’était plus dans sa vie

qu’elle le chassait 

qu’elle ne l’aimait plus

il se souvint des vaguelettes à ses pieds

du ressac aux frissons ironiques 

qui ponctuait son geste

des deux bras elle l’avait repoussé vers le flot 

tout l’océan l’approuvait

ses je t’aime s’étouffaient contre le sable froid

elle criait 

il n’avait aucun argument

son corps presque nu 

dégoulinait d’eau salée

la mer par chance l’appela au secours 

tout l’orchestre des eaux soudain s’était tu 

une voix une seule exigeait de l’aide

il tourna le dos à celle qui le chassait

aperçut un corps en déveine 

pieds bras et longs cheveux mêlés sur l’horizon

depuis la crête déferlante

elle allait se noyer

il fut pris de bravoure

s’élança contre le creux des flots

cueillit le beau corps secoué d’épouvante 

la serra dessous la vague atlantique

elle respirait

les yeux encore clos

nouvelle née

hurlant crachant murmurant

elle mordit longtemps son bras porteur 

qui la déposa sur la plage

les estivants admiratifs

se dispersèrent bientôt

ne me remerciez pas lui souffla-t-il à l’oreille

c’est vous qui me sauvez