souffle 5 et 6

trop entendus ils se sentent mal compris

elle ne chante plus annonce-t-il mélancolique

il repousse alors les quémandeurs du plat des mains

en pleine poitrine

amis laissez-nous respirer

et les villages le soir subissent le vide des réverbères

les rues déversent le bleu imagé qui mime la paix des ménages

l’ immobile des langues dans les palais

que chantait Magdala en forme de protestation

revient inexorable

la carriole grince Dactyle à trois pas souffle

ils oublient ils oublient ils oublient

leurs corps prisonniers s’ouvrent au vent du soir

les violettes de mars préparent leurs effluves

Souffle 6

vers le printemps des vertiges s’organisent

le pays où fleurit l’oranger se pomponne

la mer sans marée chuchote à peine

il sent obscurément que l’avance est trop fluide

le silence menace de revenir

ses mains tremblent de n’avoir que les rênes à tenir

ou la bâche à tendre en manière de toit

notre vie peut s’effilocher Magdala risque-t-il un jour

le paradis s’offre dans le bain salé les fruits le pain

et la longue sieste de l’idylle rejouée

angoissés ils regardent l’horizon verre en main

les voiles vont disparaissant

l’ombre de la dune dialogue avec les vagues

c’est sombre tout à coup un éclair et puis l’orage

souffle 3 et 4

la pensée d’une automobile

leur fait horreur

ils dénichent une carriole bleue chez les gitans

l’achètent il la rebricole elle panse le cheval

elle lui parle évoque son pas et les vagues

le régulier des syllabes plaît à la bête qu’elle nomme Dactyle

c’est un rythme qu’elle lui donne il fait oui

Dactyle calque son pas sur les chants qu’elle murmure

les lavandes bordent leur avance

la mer se blottit contre les rocs

où ils campent à l’écoute du premier temps

ils vont par les villages aux fontaines de pierre

boivent rêvent serrent les pauvres gens dans leurs bras

bourrent de pain les poches des petits

Souffle 4

ivres de vent ils s’endorment sous les platanes

refusent en souriant les lits de hasard

la carriole est si douce disent-ils

pensant à la peau de l’aimé

la belle étoile habille nos rêves dit-il

c’est ma liberté arrachée à la nuit du temps dit-elle

sous la tramontane ils se serrent sous la bâche voile

ce sont des enfants étonnés d’être vivants encore

habillés de hâte et de sourire

ils se réjouissent d’être célèbres certes

mais rêvent qu’on oublie leurs chansons

pour respirer sans passé

elle songe que les pauvres gens feraient mieux d’emprunter

le chemin mouillé de l’estran où l’on renaît au présent

Souffle 1 et 2

la montagne les cerne

elle s’arrime au bras du musicien

l’étoffe grince

je suis épuisée mon amour 

il serre sa main chargée de bagues pour lui dire qu’il la suit

ils nous oublieront dit-il ne pleure pas 

ton cœur musette a trop chanté

toi et moi où étions-nous passés

arrêtons tout mon amie 

je mesure nos peines dit-elle 

en poussant la neige du bout du pied 

il nous faudrait autre chose à chanter

ces montagnes sont l’enfance aux abîmes

allons à la mer pour avoir un horizon

Souffle 2

ils apprennent à remarcher côte à côte

esquissant de minuscules étapes

 ils se perdent en janvier dans les criques du pays bleu

où le soleil les console des courtes nuits d’antan

les je t’aime refleurissent 

dans les mimosas où ils s’enfouissent

la poudre rajeunit leurs cheveux

essaime sur leur peau ce sont deux étoiles vives

elle sourit de leurs affaires passées 

avoue que chanter n’était pas son destin 

ni se vendre

il laisse filer le silence

 frémit dans février en fleur

 il espère dans les routes qui mènent loin