Présence / Gegenwart (déc.17)

Ce poème de Raymond Prunier a été traduit par Helmut Schulze et illustré par E. Detton.

Présence

Ce pain que je mords
Le temps où je meurs
Ce vin que je bois
Le sang que je verse
Ce cri que je lance
Dans l’effroi du feu nourri
Et ma chère lointaine aux caresses si longues
Jambes bras visage cœur lieux de mon corps exposé
Qui pourrait l’être à la folle espérance des jupons et des lèvres
Et sont offerts à la mitraille rationnelle d’un crachat de hasard

Connais-tu le Chemin où fleurit la grenade
Et les Dames dis-moi où sont-elles en allées

Il expire le temps des couleurs
Il n’est plus que le bleu à mon âme immature
Les pansements aspirent le sang inexorablement
Je vois monter le rouge de la terreur
Quelque aube vient
Ultime point là-bas peut-être
Dents serrées sur mon brûle-gueule
Fou du siècle sorti de ses gonds
J’attends la verte insouciance des choses
Pousse la porte du jour
Et vois encore le fil du ciel qui lève
Sur la brève évidence du blanc présent
Où je survis

Gegenwart

Das Brot, das ich beiß’
Die Zeit, wo ich sterb’
Der Wein, den ich trink’
Das Blut, das mir fließt
Der Schrei, der entfährt
In der Angst vor dem schweren Feuer
Meine ferne Liebe, endlos lang ihre Liebkosungen
Beine, Arme, Gesicht und Herz, Körperorte, entblößt
Wer könnte das sein, törichtes Hoffen auf Unterröcke und Lippen
Dargebracht dem rationalen Kugelregen einer Zufallsspucke

Kennst du den Chemin, auf dem die Granate blüht
Und die Damen, sag, wohin sind sie gegangen

Es läuft die Zeit der Farben ab
Nur noch das Blau für meine unreife Seele
Die Verbände saugen unaufhaltsam Blut
Ich sehe das Rot des Grauens aufsteigen
Irgendein Morgengrauen naht
Der äußerste Punkt dort vielleicht
Zähne, dich sich festbeißen an der Tabakspfeife
Dich macht das Säkulum zum Narren, dem der Kragen platzt
Ich warte auf die grüne Nachlässigkeit der Dinge
Öffne die Tür des Tages
Und sehe immer noch den Himmel aufsteigen
Über der kurzen Spur des jetzigen Weiß
Wo ich überlebe

Présence – E. Detton

L’ennemi / Der Feind (déc.17)

Ce poème de Raymond Prunier a été traduit par Helmut Schulze et illustré par E. Detton.

L’ennemi

Les minutes à vivre entre deux attaques
Sont dangereuses
Que fait l’ennemi dans le temps où je rêve où je mange
Ce pain que je mords est-il si différent du sien
Lui aussi songe
Mort blessure faim tabac amours
Les photos sur lesquelles il passe son pouce
Adossé à l’argile des boyaux
Ont de semblables sourires
Sur ce champ jonché de cadavres de casques d’uniformes
L’ennemi et moi pourrions
C’est le Chemin des Dames après tout –
Bâtir un podium de bois blanc
Où nous inviterions nos familles à danser verre en main
Lui la valse moi la java
Histoire de parler par gestes
Puisqu’il semble que leurs mots soient si différents
Des nôtres
Que c’est finalement le vrai motif de la guerre
Ma baïonnette s’enfonce dans tes tripes pour une pauvre affaire de syllabes
Obscures barbares grossières
Mais je ne l’entends pas de cette oreille
Il rôde dans l’air de drôles de mensonges
Mein Freund
Le Rhin ne justifie pas la mort de l’autre
Ni de l’un

Der Feind

Die Minuten, zwischen zwei Angriffen zu leben
Sind gefährlich
Was macht der Feind,während ich träume oder esse
Ist dieses Brot, in das ich beiße, so anders als das seine
Auch er träumt
Tod Verletzung Hunger Tabak Liebe
Die Fotos, über die sein Daumen streicht
Angelehnt an den Lehm der Gräben
Wie sich das Lächeln ähnelt
Hier, auf diesem Feld, die Saat der Leichen Helme Uniformen
Der Feind und ich, wir könnten
Es ist ja noch immer der Chemin des Dames –
Ein Podest errichten aus weißem Holz
Samt Einladung zum Tanz, nicht ohne Glas in der Hand
Er den Walzer, ich den Java
Einfach nur gestikulieren statt reden
Ihre, scheint’s, so ganz anderen Worte
Als unsere
Hier endlich das Eigentliche des Krieges
Mein Bajonett in dein Gedärm – Silbenstecherei
Obskures Barbarengelall
Mag lieber taub sein auf diesem Ohr
Im Geschwirr der seltsamen Lügen
Mein Freund
Le Rhin ne justifie pas la mort de l’autre
Ni de l’un

L’ennemi – E. Detton

Confidences / Vertraulichkeiten (déc.17)

Ce poème de Raymond Prunier a été traduit par Helmut Schulze et illustré par E. Detton.

Confidences

Des cris des cris des cris
La haine aux cordes aux voyelles
Tu vas revenir gros d’habitudes détestables
Cracher boire fumer vitupérer les femmes
Une éducation européenne
Ensanglantée misérable
Tous les chemins mènent à l’erreur
C’est pitié
Les boyaux arpentés
Qui devaient être la voie royale vers la vertu
Cette antique graisse qui fit Rome

Et voici ton squelette ami mâchoire ouverte
Je me souviens de nos chuchotis hachés
Dans la tranchée
Des liquides rouges basculés dans la gorge
Verse encore
Jeunesse ivresse
Qui contera désormais les aveux de ta femme
Vos fols souhaits d’étreintes entre les draps
Je me souviens des cheveux de ta dame
Des tics de langage de ta belle
De ses rires pointus imités sous les balles
De celle qui allait t’épouser te disant
– Je revois son écriture que tu soulignais de ton doigt –
Tu sais je t’aime tant
Ravi tu riais tu riais tu riais
Ta voix ensuite revenait au murmure
Je l’aimerai tant disais-tu entre tes dents

Dussé-je en crever

Vertraulichkeiten

Schreie sind Schreie sind Schreie
Im Haß sich verstrickende Selbstlaute
Heimkehren voll widerwärtiger Gewohnheiten
Spucken Trinken Rauchen Frauen Beschimpfen
Eine europäische Erziehung
Erbärmlich und blutig
Alle Wege führen in den Irrtum
Schade drum
Die vermessenen Därme
Die der Königsweg zur Tugend sein sollten
Das antike Fett, das Rom gewesen

Und hier, Freund, dein Skelett, offener Kiefer
Ich erinnere mich an unser abgehacktes Flüstern
Im Schützengraben
Rote Flüssigkeiten, die in den Hals eindringen
Immer noch fließen
Jugend Trunkenheit
Wer soll jetzt erzählen die Bekenntnisse deiner Frau
Laken umarmen und Phantome liebkosen
Ich weiß noch die Haare
Die Sprachmacken deiner Schönen
Ihr scharfes Lachen, das im Kugelhagel imitiert wurde
Derjenigen, die dich heiraten wollte und dir sagte
– Ich erinnere mich an seine Handschrift, vom Finger unterstrichen –
Du weißt, ich lieb’ dich sehr
Entzückt lachtest du und lachtest und lachtest
Dann geriet deine Stimme wieder ins Murmeln
Dich lieben würd’ ich ungemein, zwischen Zähnen herausgepreßt

Und sollt’ ich dran krepieren

Confidences – E. Detton

En Silence / In aller Stille (déc.17)

Ce poème de Raymond Prunier a été traduit par Helmut Schulze et illustré par E. Detton.

En Silence

Une fois dans mes meubles rentré
Je vendrai à la foire les armes exaspérantes de mes ancêtres
J’empoignerai la poêle et nous ferai des œufs
Je t’aimerai
J’apprendrai le maniement du fer à repasser
Tu m’apprendras
Tandis que je lisserai chemises et robes de lin
Tu me liras les livres des rois
Il était une fois
Tu seras ma marquise
Je prendrai le temps de toucher nos peaux à travers les tissus
A défaut d’arpenter les boyaux de la terre
Nous marcherons de conserve à travers les craquelures de l’hiver sur les hauteurs rouges
Sans rien dire nous nous découvrirons là-haut
Tu oublieras tes peurs
Au vide du silence
J’enfoncerai mes terreurs
Au plein du silence
L’horizon au bout des bras nous irons cueillir les violettes de mars et d’avril désarmés
Tu murmureras
Ne marche pas si vite
Je ferai comme tu dis
Je ne dirai pas un mot du canon
Des bottes des couteaux des crimes de la boue
Je serai sage
Te serrant la main toujours marchant j’écouterai ton cœur
Paris aux chansons militaires et triviales
S’endormira sans nous
Et nous irons vers l’étoile miroir
En silence
Jusqu’au bout du silence

In aller Stille

Wenn ich dann wieder bei mir bin
Trag’ ich zu Markte, was mir an Waffenschrott die Vorderen gelassen
Ich schnapp’ mir die Pfanne und mache uns Eier
Dich lieben werde ich
Lernen werde ich zu bügeln
Du wirst es mir beibringen
Wenn ich dann Hemden und Leinenzeug plätte
Liest du mir vor die Bücher der Könige
Es war einmal
Du wirst meine Marquise sein
Die Zeit mir nehmen, daß Haut und Haut durch Stoffe sich berühren
Oder auch: die Eingeweide der Erde vermessen
Gemeinsam wandern, wenn der Winter kracht, auf den roten Höhen
Ohne etwas zu sagen, uns dort entdecken
Deine Ängste dann vergessen
In der Fülle des Schweigens
Meine Schrecken versenkt’ ich
Dahinein, wo Stille wohnt
Am Horizont unserer Arme fingern nach waffenlosen Frühlingsveilchen
Du wirst sagen
Geh nicht so schnell
Ganz wie du willst
Kein Wort mehr über Kanonen
Stiefel Messer Gemetzel im Schlamm
Ich werde klug sein
Immer die Hand dir drücken, gehend hören, wie dein Herz schlägt
Paris, seine Chansons so zwischen soldatesk und trivial
Wird auch ohne uns einschlafen
Und wir werden gehen zum Spiegelstern
Schweigend
Bis ans Ende der Stille

En Silence – E. Detton

Imprécations / Verwünschungen (déc.17)

Ce poème de Raymond Prunier a été traduit par Helmut Schulze et illustré par E. Detton.

Imprécations

Quand j’emprunte le Chemin des Dames
Je mets des semelles légères
Je leur demande l’autorisation de poser mes pas sur le champ
Je redoute en effet d’effacer les traces
En mettant mes pas dans les leurs
– Mes amis
Si vous saviez comme on vous aime cent ans après
– Merci dit une voix on a déjà connu ça au début
Les fleurs les corps féminins les baisers qui se pressent vers nous
Des promesses d’amours éternelles
Dont aucune ne fut tenue
Des mains des bagues de fiançailles
Le long feu a tout tordu et brûlé
Si tu savais
Les folies des attaques ont fait leur crevant travail de sape
L’épouvante grava ses tornades grises au fond des crânes
Les piques grondées des acouphènes ne nous ont plus jamais laissés en paix
Pas d’armistice pour les bousculés
Je n’ai pas signé dit encore la voix
Je n’ai pas signé
– Tu ne sens pas comme mes pas se font aimables
La douceur de mon chant est à toi dis-je
– Garde ta tendresse hurle la voix en s’éloignant
Ma haine brûle toujours intacte
Rêve debout dans ta paix ivre et grasse
Moi je reste auprès du feu dans l’enfer des vallons
Entretenant les braises jusqu’à la nuit et l’envol de mes cendres
sous le vent de l’histoire

Verwünschungen

Für den Chemin des Dames
Sind mir leichte Sohlen lieber
Ob ich, frag’ ich sie dann, übers Feld gehen darf
Es könnte ja sein, daß ich Spuren verwische
Wenn meine Schritte in die ihren geraten
– Mes amis
Ihr ahnt nicht all die Herzen, in denen ihr wohnt, hundert Jahre sind’s
– Das Merci einer Stimme, die hatte man schon gehört
Blumen, Frauenkörper, Küsse, drücken sich an uns
Verheißungen ewiger Liebe
Hielten so lange wie an den Händen
Die Ringfinger die Verlobungsringe
Lang’ aber hielt das Feuer an, verbrannte alles
Ach, wenn du wüßtest
Im Irrsinn der Angriffe das aufreibende Ausheben der Laufgräben
Orkanartig bohrte sich Schrecken tief in die Schädel
Das Ohrensausen, ein ewiger Donner, das uns nimmermehr ließ
Kein Waffenstillstand für solche, die’s eilig haben
Und ohne meine Unterschrift, sagt die Stimme
Ich, sagt sie, hab’ das Ding nicht unterzeichnet
– Merkst du nicht, wie meine Schritte freundlich werden?
Mein sanftes Lied, ganz dir zugewandt
– Ach, laß den Schmu, so laut die Stimme, die sich entfernt
Mein Hass brennt unversehrt
Träum nur fort in deinem behäbige Frieden
Ich bleibe beim Feuer in der Hölle der Täler
Halte die Glut bis zur Nacht bis zum Flug meiner Asche
Im Wind der Geschichte

Imprécations – E. Detton

Vers le front / Zur Front (déc.17)

Ce poème de Raymond Prunier a été traduit par Helmut Schulze et illustré par E. Detton.

Vers le front

Du grave au suraigu vive expiration verticale
Le train siffle dans novembre achevé
Et tu frémis au seul souffle de la vapeur
Alarme alarme
Tu relèves ton col
Mince protection contre les froids à venir
Tu écartes une escarbille fichée au coin de l’œil
Les doigts déjà noirs pressent les paupières
Soudain plus rien qu’une brume épaisse
Qui rampe bourrue contre tes bottes
Elle te monte au manteau
Te prend les tripes
Ton corps attend sur place que la vapeur se fasse filiforme
Des toux d’automne et de tabac se chevauchent derrière toi
On s’insulte en se passant par les fenêtres des sacs disputés
Rien ne t’échappe comme si – mémoire nuit noire –
Le train va partir il est parti
Tu restes un moment sur le marchepied face au vent
Qui noie le corps de toute sa glace rouge
La mécanique engendre un thrène baroque fatal
Vibrations d’un gigantesque insecte nocturne
Tu t’engouffres dans le couloir qui pue le tissu humide et les habitudes crasses
Et n’entends plus sur fond de craquements assourdis
Que les rames lentes de la barque
Qui de sa proue mord l’espace vague
– Cadence muette –
Et résigné
Tu baisses le front

Zur Front

Tief atmend, schrill ins Vertikale dann pfeift Im ausgehenden November der Zug Dein Schaudern beim bloßen Hauch von Dampf Alarm Alarm Du ziehst den Kragen hoch Dürftiger Schutz vor der Kälte, die kommt Reibst dir Flugasche aus den Augen Bereits schwarz geworden, die Finger Plötzlich nichts als dichter Nebel Macht sich mürrisch über die Stiefel her Zieht sich am Mantel empor Benimmt dir die Eingeweide Ausharren im Körper, dass sich der Schwaden verzieht Hinter dir Herbsthusten, Tabakhusten, das überlappt sich Rüpelworte, als man sich streitige Taschen durchs Fenster reicht Nichts entgeht dir, wie als wenn – schwarze Gedächtnisnacht – Der Zug fährt an, ist abgefahren Dann auf dem Trittbrett ein Weilchen noch im Wind Umschwemmt als roter Eisschwall Haut und Haar und alles Und die Mechanik singt dazu – barocke Threnodien Schwingungen eines gigantischen Nachtinsekts Du eilst in den Gang – Gestank nasser Kleider, schmutziger Gewohnheiten Vor dem Hintergrund dumpfen Knatterns sind nur noch Zu hören die langsamen Ruder des Bootes Die den Bug ins Vage vorstoßen lassen – Stumme Kadenz – Und resigniert Läßt du die Stirne sinken
Vers le front – E. Detton