Cette église miniature est un morceau de Jérusalem tombé du ciel. Les Templiers ont versé quelques sous de leur immense fortune pour l’édifier en souvenir du tombeau du Christ, octogone parfait; une lumière perce parfois en oblique à travers cette tombe; on ne sait plus où l’on est; c’est si doux, la mort vaincue, j’ai l’impression qu’il n’y fait jamais froid, ma propre chaleur fait sans doute une manière de feu intérieur. J’observe l’agneau qui sert de clef de voûte supportant le modeste troupeau des pierres assemblées avec soin. Je finis par songer que c’est un bijou. Le rempart s’arrondit à cent pas, peut-être est-ce le joyau de la couronne? Son étrange toit qu’on dirait de pierre, lauzes importées des pays du soleil, lui fait, tant c’est beau, un chapeau d’un gris inoubliable de solide mélancolie. La tragédie des Templiers résonne entre les murs où durent se tenir des réunions secrètes, condamnations, meurtres, toutes ces choses qui disent la vie éphémère et la passion du temps, fragilité des corps qui pensent l’éternité des pierres. Je m’y réfugie souvent; ce lieu est mien quand je le veux, quand, au bord de l’expression, mes lèvres consentiraient presque à émettre un texte littéraire attardé dans les limbes de ma cervelle; je crois retrouver l‘attitude méditative des chevaliers qui devaient penser la politique, alors que j’en suis à ciseler la mélodie pressante de mes phrases. Ce qu’ils taillent de l’épée, je le pointe de mon crayon. Un carnet coincé sur les genoux, voilà tout mon bagage; eux avaient le monde à portée de main, orient et occident assemblés sous la poigne du maître, et le crime en guise de fable utile. Le grondement lointain des voitures me rappelle l’enchantement des voyages vers l’orient, vite je suis là-bas, à l’écart, le jardin traversé me rappelle celui des amours enfantines, où l’on criait contre les murs pour mesurer sa voix. Des morceaux de statues disent de leurs voix éraillées les rêves qu’ils eurent… et les nôtres, qui ne sont guère différents: aimer, aimer et encore aimer. Je pense tout soudain à ce qui se dresse à l’intérieur de la chapelle, dont personne ne parle et qui pourtant marque un tournant dans notre civilisation; ce sont deux prophètes, armés de leurs phylactères illisibles qui sont à la fois colonnes et statues (ce sont les seules qui nous restent des statues de la cathédrale d’origine). Je ne comprends pas pourquoi on ne porte aucune attention à ces austères. Ils sont notre espérance, tous ceux qui les ont vus disent mon dieu en secret, étouffent des larmes de joie, de voir sortir l’humain de la pierre avec cette audace élégante; les artistes eux-mêmes peuvent y prendre de la graine. Que l’on considère la position de leurs pieds et l’on comprendra l’avance, le premier pas de notre modernité. On se défait de la masse des pierres pour oser la sortie et à partir du bloc, nous voici pensants, libres, ouverts et droits. Cette chapelle est un joyau qui dans son chaton recèle davantage encore: la joie de vivre, la joie pure, la joie d’être vivant. Nos prophètes dessinent nos destins; et ils se tiennent là discrets, presque souriants. A l’affût de notre courage à venir, ils nous attendent.
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Une citation de Goethe?
“Un jour l’angoisse frappa à la porte. Le courage se leva, ouvrit, il n’y avait personne”
On notera l’extrême concision de l’apologue.
C’est tout récemment (début des années 2000) que cette anecdote a été extraite des limbes de l’écriture. Et c’est plus récemment encore (au moment du covid!) qu’elle a été attribuée à Goethe.
On ne prête qu’aux riches et il est vrai que ce ton allégorique correspond à l’idée que l’on se fait de Goethe.
C’est une pure invention, magnifique, qui a des origines complexes.On sent que le fond est religieux et les premières (?)traces se trouvent en Angleterre. Dans la version anglaise c’est la foi qui tient le rôle dévolu ici au courage: “”Fear knocks at the door. Faith answers. No one is there”. Elle s’est répandue aux Etats Unis depuis une centaine d’années. On l’a ensuite attribuée à Martin Luther King. Son origine demeure inconnue. C’est seulement en 2020 qu’elle l’a été à Goethe (covid oblige!); ainsi faisait-elle une entrée prestigieuse dans la pensée de chez nous.
Dans une première version anglaise de 1919 des chercheurs ont décelé un détail malicieux: lorsque la foi (courage) ouvre la porte, on voit disparaître les semelles de l’angoisse au dernier moment.
Des chercheurs en ont trouvé la trace au-dessus de l’entrée d’une auberge, et dans quelques ouvrages religieux aux Etats Unis. Curieusement, alors que l’anecdote est attribuée faussement à Goethe, les chercheurs ont repéré son apparition tardive en langue allemande après l’an 2000.
Aux USA on prétend qu’elle vient des Amish.
En Allemagne on s’imagine qu’elle est irlandaise ou chinoise, c’est selon. Il faut attendre 2011 pour voir l’anecdote racontée sous la forme d’un proverbe chinois.
C’est seulement en 2013, sous la forme d’un tweet(!), que le mot “foi” est remplacé par “courage”.
Un blogger allemand a trouvé la citation très adaptée au covid et en a fait une manière de mantra contre la maladie (fingersblog.com).
Depuis, contrairement au covid, la citation s’est répandue partout et ma foi… pourquoi pas?
Je demeure persuadé que cette histoire en dit long sur notre temps, fait d’angoisses, de phrases toutes faites, où la culture sert de faire valoir. Il n’en reste pas moins qu’elle pourrait aisément être attribuée non plus à Goethe mais à Freud.
La porte qui ouvre sur le vide figure la guérison par le courage… et c’est ainsi que cet apologue ne cesse d’être actuel.
rivière
il fallut bien un jour traverser la rivière
dru grave heurtant mes jambes grêles
le flot crispait mes pas
un rire d’évidence dessus sa robe fraîche
s’élança depuis l’autre rive
résonnant contre les berges
elle m’indiqua le pont qu’on franchit en dansant
laine
à l’invite des oiseaux qui se tutoient
vos doigts tapotent en rythme
vos yeux errent sur la nappe d’été
là-bas sous les glycines éteintes
m’approchant soudain je vous dis tu
après quelques mots sur le soir qui vient
et la nécessité d’une petite laine
la pluie et les bœufs de laon
prise entre deux fois deux bœufs
chaque face des deux tours du parvis
projette les ruminants dans les nues
trente deux cornes percent les nuages
s’il pleut c’est largement de leur faute
bateaux de papier
les esquifs de papier que je délivrais en amont
resurgissaient vifs hors des piles du pont
pantins sur vaguelettes ils filaient loin
en route vers l’horizon j’interroge désormais l’océan
dis-moi où sont passés mes vaisseaux
fétus
l’âme de l’été en bleu adorable
laisse mon regard filer
jusqu’aux abîmes d’infini
la chaleur enivre mais le vent m’inquiète
un froid se glisse au long des os
qui tremblent comme fétus
sous la lame des moissons
Mozart vu par Pascal Quignard
“Mozart composait au lit. Il travaillait dès le réveil, dans le silence du matin jusqu’à dix ou onze heures. Après, il se levait, sa journée était faite, il s’apprêtait, il se frisait, il se poudrait. Sa femme Constance étant encore à dormir, il lui laissait un mot: ”Je souhaite que tu aies bien dormi, ma chérie. Prends garde de ne point prendre froid. Évite toute occasion de chagrin au cours de la journée. Je serai à souper auprès de toi à 9 heures. Je ne vois rien de si doux que ta joue.””
( P. Quignard ”l’homme aux trois lettres” ed. Grasset p.116 )
Prodigieux érudit, Pascal Quignard est aussi un styliste hors pair. Sans doute l’écrivain le plus cultivé de France, il sait varier les approches comme on le voit ici, mêlant l’anecdote à la profonde connaissance des génies du passé. Je ne cesse de le lire et de le relire; il est un enrichissement permanent pour notre plus grand plaisir. Il paraît tant de livres que nous ne mesurons pas la chance d’avoir Pascal Quignard bien vivant, écrivant, parmi nous.
hirondelles
elles n’ont eu de cesse de bricoler leur nid
cent générations à manier galets et gadoue
toute ma vie j’ai vu les mêmes et différentes pourtant
hirondelles qui se suivent et se couvent en secret
dans le castel où sous mon toit elles miment l’éternité
ne suis-je pas tout compte fait leur locataire provisoire
vache
vache j’eusse aimé brouter les coquelicots
qui errent éblouis au flanc des blés
les ruminant j’eusse meuglé contre le couchant
de mon écharpe tragique et du bout de ce mufle
écarlate ralentir le déclin des vives soirées de juin
réveil
les trames du matin au fond du lit
esquissent des espérances miraculeuses
une fois debout chaussons aux pieds
je traverse hésitant la brume du salon
croise le miroir et me souhaite un bonjour quand même
abandon
sous mes doigts le soir s’éteint au chevet
j’abandonne la terre à l’univers
mon corps consent à s’absenter
joues et rêves s’échangent sur l’oreiller
puis vient l’embaumement familier de la nuit
déclin
le déclin se lit à l’horizon sur le visage
il a débuté ses ravages
balayant la joie d’été
feu d’artifice de ce qui fut
et le printemps au sourire lisse
s’enfonce lentement sous le tain du miroir
hibou
un hibou dans la nuit
c’est un assaut velours
contre le vertige des étoiles
rempart d’échos
qui protège les rêves
éclairs
cette allumette craque en rêve
souvenir des bords de l’âtre
qui enflammèrent mes nuits de neige
l’orage d’été a ces mêmes éclats
et je souris du retour complice
du couple des solstices