éduquer et instruire

éduquer/instruire … la vision de Condorcet

Rousseau voulait les éduquer les hommes, Condorcet voulait les instruire.

C’est Micheline Blangy (maison de Condorcet à Ribemeont)qui a lancé le débat et elle a eu raison.

On peut penser que l’un et l’autre sont équivalents. Rien de plus faux.

EDUQUER c’est enseigner du haut de la chaire; c’est diriger le savoir vers celui qu’on prétend élever(élève) et qu’on rabaisse forcément. Dans éduquer il y a un haut et un bas; l’être humain est d’emblée placé dans une position inférieure par rapport à celui qui prétend apporter le savoir. Il y a le “duce” à l’intérieur, brutalité morne de celui qui pratique le “ducere” (le “conduire” latin). C’est que Rousseau, admirable penseur, a au cœur une pensée rigoriste protestante (celle de Genève) et qu’il nous parle en manière de principes, comme le fait un philosophe profond de type XVIIIème, impérieux et robespierriste. Eduquer c’est dire à celui qui apprend : laisse moi parler, toi tu ne sais rien. Il y a dans éduquer tout un mépris que nous Français connaissons bien puisqu’il rôde encore en sous main dans toutes nos institutions, de la présidence de la république (les Français sont ingouvernables) à l’institutrice qui s’exaspère: ils ne veulent rien entendre, en passant par le sous chef de service qui a fait du mépris l’essentiel de son métier. Ces éducateurs ont bien du mérite (!) car c’est ainsi qu’ils furent formés ou qu’ils le sont encore maintenant. J’y vois un discours papal, catholique, sans considération de la personne humaine. Sous prétexte de faire le bien du peuple, ils veulent l’élever (élève)car ils savent mieux qu’eux. L’enseignant qui entre dans la classe dit: “taisez-vous” et il commence par réciter, par “faire cours” c’est à dire “très long”. Il tue d’emblée la relation humaine. Les syndicalistes, les élus, fonctionnent sur ce même mode de celui qui sait et qui considère que les citoyens qu’ils représentent sont INFERIEURS. Ils sont là répètent-ils à l’envi “pour nous”, c’est-à-dire que ce sont eux qui dominent, qui pensent pour nous, qui agissent pour nous. Grèves et gilets jaunes sont les manifestations des citoyens contre cette détestable habitude de représenter qui cache l’irresistible esprit de donneur d’ordre, de commandement. Représenter ce devrait être modestement être un parmi d’autres et non pas le chef élu d’une étroite coterie.

INSTRUIRE c’est évidemment le contraire exact d’éduquer! Instruire, “Struere” en latin, c’est construire de l’intérieur, disposer, arranger. En bref, éclairer l’esprit de celui auquel on enseigne. Condorcet savait cela mieux que tous les éclaireurs du XVIIIème. On peut aisément le faire parler de notre temps à partir des principes qu’il a énoncés: nous souffrons d’un manque de clarté à tous niveaux. On dirait que la société marchande de notre temps a intérêt à brouiller les esprits pour fonctionner. Son mode de domination est dans le désordre le plus individualiste possible. Ne reste alors qu’un seul remède: instruire, c’est-à-dire pratiquer le respect réciproque, ouvrir les esprits non en enseignant doctement mais en dialoguant en égaux, en respectant l’autre aussi bien celui qui est porteur du savoir que celui que l’on veut enseigner; car l’un est un jour porteur du savoir un autre jour ce sera l’interlocuteur qui pourra produire de la clarté. La clarté se construit, elle ne s’impose pas de l’extérieur par un prétendu éducateur. Comment sommes-nous depuis l’enfance devenus des citoyens respectueux de l’autre? Qui nous a formés? Comment avons-nous été instruits? En écoutant et en parlant. Tout éducateur (prof ou parent) qui dit: “tais-toi” prépare un révolté, c’est-à-dire un empêcheur de respecter en rond ! Le respect ne s’enseigne pas en disant: “tu dois respecter ton prochain”, car ce ne sont que des mots vides, à la limite du ridicule; le respect qui est la clef de la société ne peut venir, comme dans l’enfance, que d’un respect réciproque. S’il y a respect, il y a possibilité de dialogue, s’il ya possibilité de dialogue il y a démocratie possible.

Il est amusant de constater que dès que l’on fait des recherches sur l’instruction publique c’est le nom de Condorcet qui surgit. Il avait compris que l’éducation est de l’ordre de la famille et que l’instruction relevait de l’école. Il en fut le théoricien et le législateur. Croyant bien faire, la République a mêlé les deux, choisissant le terme le plus large qui – typique de notre temps! – a brouillé les notions, l’état n’ayant par ailleurs jamais renoncé (dans son appétit sans limites) à éduquer les enfants comme à Rome à Sparte ou à Moscou. Cessons d’utiliser le brouillard de “L’éducation nationale” et revenons à des choses plus modestes et plus ambitieuses: “l’instruction publique”, ainsi que Condorcet l’avait formulé officiellement les 20 et 21 avril 1792 dans son décret.