équinoxe de septembre

I

tout est fraîcheur 

ruisseau et soleil 

la rosée et mon pas 

au creux des herbes

les parfums s’effacent 

laissant place au souffle rougi

des vignes vierges

ce sang d’automne 

qui fait comme des barrières

éventaires de bouchers 

s’il n’y avait alentour 

la joie des merles subtils 

avides des baies éclatées

qui ornent les halliers repus des jours

mûriers églantiers ponctuant 

les hautes pentes des bas côtés 

je chéris le ru cavaleur 

aux miroitements noirs 

des micas bousculent 

l’anarchie des feuilles de hasard

qui pleuvent au coeur des eaux 

j’aime l’odeur surtout 

cet humus mou et lourd 

qui cède sous la semelle 

oh soudain le souvenir

des hirondelles ingrates 

qui fuirent trop vite 

tant pis pour elles 

elles ne sauront jamais 

la fraîcheur crue des aubes 

ni la mer des nuées douces au ciel 

qui arrosent les corolles 

encore chaudes un peu 

l’ombre vive des haies 

s’allonge partout 

sous l’inclinaison caresse 

des après-midis brûlants 

encore un peu sur nos épaules 

cette joie cette joie 

que le déclin nous offre 

déprise des jours filant 

à une allure folle

on ne sait plus on ne sait plus 

nuits et jours sont égaux

les peines de l’an cicatrisent 

et s’effacent hors douleur 

balayent les vents 

qui animent les premiers feux 

avec les dernières branches

qui se consument sans effort 

fumée abondante 

volutes humides des jardins

elles s’envolent

les plantes ont donné leurs fruits 

elles vont avoir droit au repos

se pavanent alors 

les coulures graves du lierre

griffes vert bouteille 

qui étouffent pour croître

poursuivant la lutte d’été 

contre les buissons amicaux

qui protègent naïfs 

nos jardins nos prairies 

du voisinage inconnu

II

quelque chose parle

dans la palpitation des brindilles 

c’est de l’ordre du vent 

c’est de l’ordre du temps 

une haleine ne cesse 

même en plein midi  

de mêler du froid au souffle 

les mésanges éternelles bâtisseuses

prolongent leurs affaires de rameaux 

devinant entre les feuilles 

que le léger souffle

qu’elles éprouvent en vol 

est habité de glace

déjà l’automne déjà l’automne 

et un avenir très secoué

pour leurs nids bientôt sous zéro

et leurs plumes en pèlerines bleues

rabattues sur les yeux 

je songe qu’elles pourraient nicher 

dans ma boîte à lettres 

je ne reçois plus d’humain courrier 

les cartes postales c’était avant 

avant les mails avant l’automne 

je me souviens je me rappelle 

automne et souvenir sont le même

un fond de gorge remonte du silence

j’ai dû dire des paroles vraies

à propos de la plage au soleil contre la mer 

des mots jaunes ensablés et doux 

des mots jeunes nostalgie et cris 

de joie surtout de joie 

elle ne me quitte pas non non 

cette jolie compagne des heures fruitées 

mais très âgée elle rôde au présent

elle habite sous la peau

aux commissures elle s’excuse 

les feuilles dit-elle les ridules les écorces

la joie glisse doucement vers l’intérieur 

les lèvres à l’avant garde

parées au miroir 

elles se font belles sourient contre le gel 

c’est vrai que l’automne rend beau

il est fier de ses obliques 

qui finement dorent l’arbre

sa lumière et le visage

frottés de soleil courbe

ont des langueurs malignes

vocalises mezzos en tons mineurs 

ce bruissement des feuillus

en fait foi cette allure grave

des nuées vers le soir

et l’ouest explosif larmes de joie

monde radieux à étouffer

c’est trop d’ocre automnal

alors me caressant les paumes 

je  songe au plaisir du vin chaud

la porte grince cliquetis de serrure 

et je rêve d’aller voguer 

sous les voiles d’octobre

vers les îles heureuses 

le vent est un ami qui résiste 

et me pousse et me meut 

j’aurai des nuits de rivages

couverts de bois flottés

c’est si doux au toucher 

on dirait une peau

je me vois vêtu de mouton 

arpentant la plage morte

avec pour seule musique 

ce ressac insaisissable

rien ne finit rien ne finit