une aube

l’aube bouge
cri étouffé
il est déjà question de joie
je sais
le filet du rêve déchire les mailles
c’est blanc doré
les doigts serrés sur le battant
j’imite le lever en ouvrant un peu la fenêtre
un flot de fraîcheur déferle
la lumière de la chambre jaunit
un rayon s’arqueboute sur l’horizon
puis escamote la nuit à son seul appel
c’est un poing qui se ferme sur l’obscur
il écrase sans pitié mes imaginations
et me projette en plein bleu
sans que ma gorge ait vibré
sans que j’aie eu le temps d’articuler
un bonjour que je voulais
urbain bienveillant
et qui soufflerait dans mes poumons le grand présent
une vie pure s’accroche aux secondes qui cliquètent
chantant une mécanique
lyrique à force d’écoulements lumineux réguliers
j’y crois comme au premier jour
mille précautions en ouvrant le battant au plus large

je m’allonge épuisé et me rendors longtemps
sur l’oreiller de juillet

nids

tiens revoilà l'unique symphonie d'été

folies du regard appuyé

on reçoit on subit

allègres parfums

qu'on regrettait au long de l'an sans le savoir

jasmins troënes

et leur poivré joli

écume des moments d'amour

où les romans jouent au passé

tous ces présents imaginés

le tiède des brises défait les cols un peu

par quel bout saisir cet été

où le corps est omniprésent

la saison essore la terre jusqu'à l'os

on moissonne vite par peur de l'orage

le bercement des tiges grasses inquiète

qu'ai-je fait pour mériter pareille douceur 

ma candeur fait vaciller les cimes

habillées et drôles

peu de paroles 

ça craque dans les os des sous-bois 

cliquetis énervés des eaux rares

il me semble que les poissons aussi veulent l'eau 

ils bafouillent leurs appels de glace jusqu'à nous 

le soleil dirigeant n'autorise pas les gazouillis

il y faut pour cela le soir de l'abandon

quand le feu périclite orange puis vert puis rien 

et que les paroles sur l'homme aggravent les vies 

alors les oiseaux embrouillent les fils des mélodies

pour retisser des nids d'été

aux harmoniques troubles

l’héroïne

je suis assis sur une borne qui fait face à la villa
à travers ses persiennes
mi-closes
je surprends une dame d’autrefois
elle arrange son foulard du bout des doigts
une musique de piano quelque part fait des gammes
je ferme mon livre
la pianiste m’est connue
je lis les traits de son visage à travers le profil de sa mère
souligné à l’instant par le foulard
elle a l’air satisfaite
déplace encore d’un index léger le tissu de son front
puis disparaît
je l’attends
cognant mes talons contre la borne de grès

la porte cochère s’ouvre lourde d’ombre
surgit un cheval noir qui me salue
en baissant la tête
tandis que sur la calèche frôlant le haut du porche
le visage encadré de son foulard
s’avance (la robe caresse les roues)
je songe en serrant le roman contre moi
que je ne saurais dire si c’est la mère
ou la fille
celle qui jouait tout à l’heure du piano
tandis que je lisais
tandis que je rêvais
et comme pour ajouter à la confusion
elle me fait en passant un signe de la tête
et je comprends alors à son clin d’oeil
qu’elle est l’héroïne du roman que je lis

le merle

régularité du merle
inépuisable ponctuation
notes très aiguës tout le jour
large vol du corps de nuit
les ailes froissent le gazon
puis un trille de deux notes éloignées

  • véloce solitaire –
    vrille longuement l’air stupéfait
    c’est la nuit
    je me demande
    si ce n’est pas lui qui commande sa tombée
    et si pour le remercier
    l’allumeuse de polaire et suivantes
    ne lui a pas confié sa noirceur ambiguë
    c’est qu’entre terre et ciel
    les oiseaux suscitent les avions et les rêves
    et les navires eux-mêmes doivent beaucoup aux mouettes
    qui les appellent
    le merle
    c’est clair
    a pour tâche de nous rappeler
    l’obscure destinée du jour
    et celle plus sombre de nos jours
    reste qu’ayant trempé son bec dans le soleil
    chaque vol
    a sa petite lumière

la source

ce que j’entends
c’est ce lieu unique
où je ne fus jamais avec mon pas sonore
c’est un coin enfoncé
entre palpitation et impalpable
où s’écoulent les bons les mauvais mots
je le retrouve dans mon crâne
le monde réel n’y peut fourrager
j’y écris je n’y vis pas
il me semble que le monde peut crouler
sous le glacis des siècles
je relèverai les ruines
et j’inventerai à partir de lui
un souple monde
seconde nature
miroir de bric et de broc
volutes qui vont vers le chant

ce que j’entends est une source secrète
je n’en sais guère davantage
il y pleut sur la craie
et les cris de juillet ont de grises verdeurs
là dorment les syllabes
paroles que j’éveille de la main
chance azurée souvent
où mon corps se retrouve au présent
c’est la joie
c’est peu
c’est beaucoup

début juillet

ce qui s’est accroché aux branches de juin
va nous servir d’apaisement
je note les échanges tremblés des jeunes
et des anciennes feuilles
qui jour et nuit habillent nos haies
ça virevolte drôlement depuis le solstice
depuis que l’obscur l’air de rien
remord sur les bonjours
elle a resurgi la vieille ombre où l’on va deviser
recoudre les vies ravauder les ratés
à force de petits mots
de sourires entendus de nous seuls
l’auvent secoue son drap sous l’ouest
pour nous dire de faire vite
et j’objecte à cette folle allure des souffles rageurs
la lenteur de l’écriture au bord de l’eau
ce chant
frêle esquif au bord de juillet
j’entends nettement les fraîches sonnettes des vélos
qui préviennent le présent
et chantent à l’étrave du texte qu’il fait bon clapoter
que l’eau et le sourire c’est même humeur

la barque sera chaude bien des jours
et ses flancs palpiteront sous la lumière
longtemps encore

les murmures et la mer

se sussure souvent
entre le drap et l’oreiller
entre la vague et l’estran
un chuchotis secret
qui dit notre origine
les enfants sont l’écume
de cet horizontal fécond
où la mer et les mains
ne cessent au flanc des vagues
au bord des lèvres
de se donner la vie
la marée vers l’avant
le reflux au passé
s’échangent l’éternité
pensées et roulis
étreintes et ressac
se donnent au langage
chuintements qui s’apaisent
parfois par amour pur
sorte de sel fin
où les paroles virent alors au refrain
mantras d’une foi portative
réservée aux deux fidèles
à l’exclusion du monde parlant
nous voici prêtre et prêtresse
posés sur l’eau étale des draps
et méditant la vague
nous trouvons le silence

sans fin

et je m’en vais garder
paumes serrées
l’eau petite et comptée
quelques gouttes à peine
cueillies sur les fleurs en corolles
tu plonges dans mes mains
j’aime ta peau dis-tu
(le soleil cogne dur
fenêtre sur le vide)

l’été décidément
c’est l’attente d’un drame
or à noircir ce temps cru
nos ombres je crois vont s’effacer
je compte sur mes doigts
les années décennies
le corps fut à peine chanté
la peau est devenue friable
et la vie intouchable

je sens tes joues
contre mes phalanges mouillées
je voulais te sculpter
et c’est moi que j’évide
ces mots sont les notes risquées
qui sèmeront contre le temps
des germes d’engendrement
sorte de lutte finale
qui n’en finit jamais

jeunes vies

le repli de sa voix assourdie
m’indiqua une peur très lointaine
je pris sa main
ses longs doigts étaient autant de questions
posées dans ma paume
je sus d’emblée qu’il y allait de sa jeune vie
mon rire avait son âge petit
et ses regards dorés visèrent ma peau
c’était tout mon langage en fait de profondeur
à vingt ans le futur m’est si vaste – je m’en souviens –
qu’il miroite à l’infini
et les je t’aime y sont repris
avec toujours la même largeur de timbre
les cordes vocales violoncellent
on va loin tout compte fait quand on va vers le grave
qu’on est au printemps
et qu’il y a des crises de juin
désamours grisâtres où le soleil s’arrête
(la cendre l’emporte sur le feu de saint jean)
l’affaire de vivre exige
chose impossible à livrer
ce calendrier d’aimer et de vivre
mélange explosif
où je t’aime et je suis
demeurent asservis
au maëlstrom de chaque aube

l’allée

il me semble qu’au bout de l’allée
s’engrave un château minuscule
malcommode inaccessible
or le chemin gravillonné a ses attraits
des chant profonds y couvent leurs doigtés
ça travaille en sous main bonne allure
des langueurs des siestes des sables
je médite mon avance souriante
bonjour madame le château n’est plus si loin
des mains se serrent élégantes
on s’effleure les joues baisers vides
j’entends la pluie qui se perd en route
le gravier pourvoit au souvenir des eaux
des galets égarés sur la place
content des histoires vécues
que j’écoute dans le crissement du crêpe
je me rappelle les visages d’Emma
Claudine Bérengère Alice
Et soudain il est là tout proche je me ressaisis
misère de l’allée qui s’achève
je vois le château agrandir son ombre
revoltant deuil des toitures
ça taille des chapeaux de carnaval
ce sont d’obliques verticales amidonnées de noir
je perds mes pas je perds mes pas

brusqueries

la brise porte en son souffle tout un monde
de branches frémissantes
qui aspirent hors sol
le juin limpide
on entend les étoiles du jasmin qui se frôlent
au cru des tiges
une enfant siffle au coin de la rue
l’histoire d’une amour mélancolique
et d’un qui n’en peut mais de vivre
puis le solstice des angoisses
se dissout bientôt au noir des frondaisons
le vent léger expire une joie de rêve
ça y est ça y est
il se passe quelque chose

la brise redouble son fouet
les nuées d’ouest affluent
la pluie s’effondre
le jardin à peine sec
réinterroge ses racines
tout est bien tout est beau
miracle
les miroirs d’azur soudain écartent les blancs frissons
les troënes frottent leurs tiges au soleil
un poivre amer et pur
monte en poussières mouillées
longtemps l’aventure d’être sera cet unique parfum
paradis des pavillons de chez nous
calés contre de gris et bleus bosquets engazonnés

corolle

corolle de l’aube
je te devine ce jour en robe vive
à l’instant où tu paraîtras tout à l’heure
au lointain de la rue
tes lèvres emprunteront à l’ombre des murs
la gravité du ton
et ta voix reprendra le rythme des branches
qui craquent sous mes sandales
humectées de rosée
je verrai s’amincir et se dissoudre l’enveloppe d’effroi
qui me tenait lieu de coeur battant

je marcherai à tes côtés
visité du matin doux
je crois bien que soudain feront défaut
les mots
leur suspend devenant qualité
(ils ne briseront plus l’air)
fraîcheur du silence
qui ne demande qu’à monter

chaque jour soit ainsi
le temps peut ronger les sangs
nous ne céderons pas

vertige

il fallait que je ne bascule pas
vers l’arrière
je m’adosse à la bibliothèque
mots pages volumes
paumes plaquées verticales contre les tranches
je m’accroche aux étagères
c’est ta vie
il n’est pas de rechange à ta vie
l’urgence est au présent
je tourne le dos à l’antan des romans
là-devant au travers des baies mille voies
ombragées croissant folles
frondaisons noires de juin

ça ne va pas demande-t-elle
si si un peu le vertige
tant de choix dis-je ce n’est plus un choix
vertige du monde
l’univers est transparent
plus de nuit tu comprends
lourde est la lumière du jour
éclaboussant les recoins
ce jour ce jour de juin
je comprends tout c’est trop

on pourrait commander une pizza
dit-elle en souriant
je fais oui de la tête

voix

des voix montent parfois
de l’intérieur de la placette
elles chantent crient parlent aussi
j’essaie d’en capter la joie
pour la reverser dans ma vie
car tout cet étranger que sont ces rires
qui enflent entre les demeures
signent la présence de l’autre
et je sens que mon corps approuve
l’appel très cru des paroles
surtout lorsqu’elles sont lointaines
vague murmure incompréhensible
qui est la vraie rumeur du monde

j’y entends la chaleur de l’instant
les voix sont des êtres de chair
la vie les meut
contre la peur joie d’être ici et maintenant
on y parle du temps qu’il fait
contre celui qui passe
éclats de voix comme des entraves aux horloges
les gorges graves aigües disent
je suis là je suis là
tu m’entends tu m’entends
et chacun n’a de cesse de monter sa voix
contre l’autre
bribes d’écume qui sont de chacun
le cri de naturelle fierté

et ce concours murmuré durera
autant que la terre habitée

un duo

quand les amis s’assemblèrent
sous le tilleul de la place
à deux pas du kiosque à flonflons
où nous avions sévi

-tous ces sons énormes
allèrent derechef à la rivière –
je m’esquivai
affirmant que je serais bientôt de retour
j’avais serré sa main elle avait fait oui
je revois encore sa peau velours pâle
et ses pupilles graves de brun doré
ma peur tendresse palpite à ce seul récit
j’entends son pas proche
elle vient en effet
du fond des obscures charmilles
sa robe vibre au vent de juin
ce sont des notes de piano
qui donnent le tempo
de notre éloignement
c’est une mélodie par une fenêtre ouverte
je ne sais plus si nos mains se rejoignent
à la fin dans la nuit
ma mémoire trébuche

un peu fous
les musiciens s’inventent ainsi des mains des duos
qui n’existent sans doute qu’au noir des partitions