elle

elle remercie partout où elle passe
ses yeux brillent
ses robes dansent selon les jours
j’aime parfois les grises
tout compte fait
elle me salue toutes les aubes
son regard me demeure en mémoire
il est vert il frissonne
ses cheveux sont au vent
je ne sais dire s’ils imitent les cimes
des chênes ou des hêtres
car son rire est le même
une fois vue on ne l’oublie plus
ma mémoire dans la glace de nuit
la cultive et son visage me bouge
de partout me couvant
me bousculant aux instants
où le temps file en mélancolie
elle a beau dire qu’elle est insaisissable
il lui suffit d’apparaître
pour que le corps entier me batte
elle m’illumine de l’intérieur
je demande tout sourire aux passants
s’ils l’ont vue
mais (surtout s’il pleut)
leurs imperméables me tournent le dos
je rayonne dans le vide
à sa seule évocation
je m’étonne de sa splendeur évanescente
qui la fait si emballante
elle est folle
mais c’est elle
c’est la vie

à l’affût

les gouttes ou les mots c’est tout comme
j’essaie de m’y glisser
mais les mots commandent
et la pluie trempe ma capuche
toujours je devrai m’abandonner aux vocables
le musicien aux tonalités le peintre aux nuances
on ne peut sortir des tons ni des teintes –
et les mots rapetissent et enclosent
(les je t’aime eux-mêmes butent aux lèvres
paroles jetées qui n’existent qu’aux gestes
bras et corps donnant chair à la voix)
mais les mots comptent moins
que les vibrations du poème alentour
qui font passer le souffle
puisque la suite des mots est seule mélodique
ils s’engendrent entre eux en mille échos
qui tombent au silence
et leurs cercles croissants s’en viennent vers ma rive
où je les attends recroquevillé
le corps à l’affût

le sentier

avec ses ornières habitées
le sentier épineux
qu’on laisse derrière soi
sinue entre les décennies
on se souvient du vert temps
années graves (peu nettes finalement)
on file alors vers l’ocre
et la recontre mûre
où l’on laissa des plumes
des enfants des peurs
puis nos pas entre les arbres
clairsemés solitaires
corps déçus êtres sauvages
qu’on croise qu’on quitte
cette joie intranquille des jours
liberté du temps de béton
qu’on nomme quotidien
grevé d’habitudes
tout compte fait
il est des joies
qui peuvent sembler monotones
elles ne le sont pas
reste à vraiment les vivre
et à défaut d’amour toujours
quand le sentier se perd
prendre les raccourcis
hantés de folles écritures

les migrateurs

je chercherai en mars
un chemin mauve
qui passe par les lilas
au calvaire du carrefour
campé contre les prés
les grappes expédieront
leur présence vers le ciel
les oiseaux de passage
iront sur l’azur blanc
et leurs froissements
pages qu’on tourne
porteront leur mystère
vers le futur

l’apesanteur des cigognes
dira le suspens du temps
frémissement fécond
vers le septentrion glacé
ma voix déverrouillée
murmurera par devers soi
cet air des forêts
où les fumées finissent
le soir à bicyclette
dans la caresse de l’asphalte
je me conterai en secret
l’aventure des migrateurs
vers le futur

les pas de mars

quand le déchirement arrivera
fleurs écorces chants cris
je guetterai la sortie de ton corps
de sous les draps tièdes
l’éclat bleu du tissu fera chavirer
au plafond l’ombre légère des persiennes
mon pas te devancera en cuisine
clapotis des orteils en fièvre encore
et alors banalement feu vif
je nous frirai quatre oeufs
sur le métal obscur de la poêle
tendrement

nous irons ensuite nous dérouiller
sur la falaise drapée de craie
le pied me pèsera peu
(mars est l’augure des présences)
et mon pas et le tien
craqueront la pierre du promontoire
tu voudras ma main moi tes lèvres
alors figés dans la tièdeur du vent
passant l’index sur ton front
j’écarterai tes mèches
et souriant au secret de ton visage
j’écouterai tes pupilles

de retour d’escapade le four actif
gonflera la pâte pieusement levée
et la brioche oeil rouge
sortira du moule sous le pur couteau
j’irai droit dans l’odeur
en retrait de toi en retrait de tout
une tranche en main vers la fenêtre
non pour voir mais pour oublier
les yeux vers l’intérieur
un tourbillon vaste oreiller océanique
me sera le manège qui endort
les peurs

le lac rêvé

j’attends pied léger le retour des éclats
lumière et rires sonnettes des vélos
battement sec des shirts sous la peau ventilée
et la mémoire des amours il était une fois
mon lac est un songe pour la saison du jeune âge
quand les bourgeons bricolent et que les paumes
se cherchent dans le vide

le désir ne cesse pas et j’avance écrivant
mots et rêves se mêlent la mine s’enfonce au papier
et le pas au chemin boue et chants d’oiseaux
la joie de patauger entre deux âges
entre deux strophes quelque chose manque
des voix lointaines répercutent mon prénom
sans doute regret du lac

âgé j’entends les appels du désir demeuré désir
j’ai rêvé mille fois de marcher sur un lac argenté
ce songe a fait long feu
il aurait fallu plonger le corps entier puis nager
et j’aurais pu sentir sur ma peau la joie
de vivre et de risquer aux vagues tièdes
la mélodie du présent

la vie intérieure

longtemps attardé aux porches des églises
(ni dieu ni diable)
j’ai cultivé tendrement le souffle solide
et glacé s’abattant sur les épaules
qui donnait à mes songes
un socle tombal
et où le passé ramassé
creusait ma présence
enluminant ma joie
d’une grâce folle
il me laissait digne de mon rêve
au contraire de cet effroi nu
qui me saisit dans la galerie marchande

les soleils teignaient de mille feux
les Marie et autres idoles
fignolées du bout de doigts
parfois malhabiles
(l’adresse est affaire de décennies
or on mourait jeune en ce temps-là)
mais j’entends encore leurs chants
le rythme des ciseaux des marteaux
inconcevable force intérieure
qui les vit se contenter
de pain gris
et de piquette rosée
attentifs au calme des jours et des nuits

je m’en vais retrouver les piliers
pour éveiller la majesté absente
des mots trop rapides de notre temps
du monde gras où nous vaquons
et à la fontaine de la place
je veux me rebaigner le front
le visage et les bras
loin des tronçonneuses
perceuses ponceuses
(le présent décidément vibre trop)
je songe que nous manque le lent secret
de ce silence qui redonnerait
quelque dignité à notre nature

(cette rêverie est une manière de tombeau de Baudelaire)

l’ouest

les toits de chez nous
chantent à tue-tête
sous l’éclat fracassant
des inlassables vents d’ouest
machinerie furieuse souvent
qui porte les mouettes
et les crachins salés
jusqu’à nous
avec pour tout chant cette rumeur
de feuilles froissées
ce ressac qu’on perçoit aux cimes
souvenir de la mer
bouleaux pressés de rires
qui se frottent là-haut
bataille comique d’épées de bois
branches en partance
vers les nuages très loin

le chemin de forêt
fut animé de nos corps
marcher alors n’était pas rien
témoins de l’ouest éternel
vigoureux et plaintif
nous avons cru à tout
amour enfants égalité couchant
à l’air libre des balades aussi
et autres croyances superbes
joyeusetés du pataugeage
ce je t’aime des sentiers embusqués
cheminant aux sylves d’autrefois
nature folle nivelée sous les pas

la lumière

une fois les fenêtres refleuries
je t’inviterai
la vie entrera avec toi
l’aube de mars augurera
le cortège rouge des fruits
quand les destins s’éclairent
le passé compris
le ruisseau des rayons
emportera les ombres
et cours d’école en écho
ça criera les enfances
sur les graviers d’avril

tu me tendras la main
je te tirerai au seuil
les bonjours afflueront
tu riras de me voir
de te voir dans mes yeux
une vapeur volera dans l’entrée
ta robe brûlante
celle qui dormait oubliée
se froissera sous mes mains
j’entends les fibres glisser
et ta voix et ton rire
dans les pièces rajeunies

le dégel

cela croule aux gouttières
par masses franches
au-delà même des ardoises
qui remiroitent tranquilles
dans leurs robes savemment marquetées
et les meulières jalouses du grand manteau
recupèrent leur fringant solide
frissonnantes maisons d’après gel

clapote alors sous les pas
l’argumentaire joyeux de la vie
on dirait un vibraphone tout neuf
qui s’essaie à réveiller le monde
les perce neiges jouent les clochettes candides
et les crocus sérieux ajoutent
la protestation claire des couleurs avouées
(nous les attendions depuis si longtemps)

ces discrets encravatés inaugurent le programme
pétales lèvres qui s’ouvrent rouges
ça souffle le tiède contre l’air bleu
le moindre rayon comme un doigt
vient toucher les pollens fragiles
on entend des cris de nouveau nés
chats qui vers le soir troublent les seuils
où le couchant souvent allume de futurs étés fous

la chandeleur

l’éveil des oiseaux
se suscite sous la glace des flaques
au lieu de creuser le silence
leurs étincelles piquent
sur le velours des tourterelles
fond lancinant basse obstinée
main gauche du ciel qui s’ouvre

la peau elle-même se fera pèche
mais elle a hâte de croustiller
sous le hâle du soleil bienveillant
les avant-bras se troussent
joyeux énergiques hâbleurs
tandis qu’aux decolletés
les hardiesses font des heureux

la lumière charge le nuancier
aux palettes des amateurs
qui pinceau à la main
s’impatientent de mettre au net
les exubérances flatteuses
des halliers en folie
où les verts croulent de partout

tu exagères s’exclame
alors la chandeleur
foin des exaltations
oui février a sa fièvre secrète
mais les crèpes sont lunes de neige
et à vouloir presser le temps
il pourrait te pousser dans la nuit déclinante

trois temps

à force d’aller en barque
je domine les remous de l’eau claire
ses lents clapotis
avec cette joie des muscles du dos
qui s’assouplissent à chaque coup de rame
l’espérance monte
habileté à vivre
à respirer vraiment
au-dessus du temps

plus tard l’ennui s’en mêle
l’eau coule sombre vive
rivière contre rocs
l’esquif menace sous la rame crispée
il faut lutter
où le flot me porte-t-il
difficile de gagner la rive
refus du corps
il faut allèger la barque

le lit s’élargit soudain
mélancolique enfin j’aborde
un cavalier souriant
sur la rive opposée
me fait un signe de la main
je ne suis pas pressé dis-je
ses mains en porte-voix
il crie en écho
moi non plus

des sabots à la crinière son cheval frissonne

chanson

dans le pays lointain
j’aperçois du haut des collines doubles
une cité hantée de mots
où il fait bon tarder
j’échappe au gris vertical
qui fatigue nos rues

dans le pays lointain
je niche à la source chaude
mes draps touchent la nuit
à travers la croisée les moineaux
déguisés en feuilles mortes
me babillent des aubes

dans le pays lointain
je me retire attentif au texte
les mots y font leur miel
légers à la voix
je les essaie et rature
à loisir

dans le pays lointain
je danse un peu
selon les jours je côtoie
le monde sur la pointe des pieds
je me tais
j’écoute le mumure de l’enfance

dans le pays lointain
j’invente une musique
où je salue mes prochains
avec respect
leur brûlure me plaît
nous vivons tous au même présent

les couples

c’est une danse
le violon est à l’impalpable
le pas cogne contre l’essence du bois
ainsi se forment les couples
sous l’égide imaginaire des sons
et le croisement bien réel des pieds mêlés
toute une vie s’y bâtit
souvent – parfois –
j’aime aux yeux des couples
cette assurance d’éternité
ils se serrent les mains
pour lutter contre la terre qui tourne
horloges saisons années
c’est alors qu’ils sont splendides
candides et purs
hors temps

les damnés du ciel
n’y croient pas
haussent les épaules
la rime amour toujours les fait rire
la poussière du temps les fera déchanter
songent-ils en refusant la danse
ce sont pourtant eux les pauvres
les immobiles les clos
car ils se jouent l’oubli
de l’ivresse épiphanie
qui brûle les corps
aux jours des verts printemps

une rencontre (2)

adolescent je me souviens de lui
les rênes en main
au creux du vallon où il nichait

-je m’étais égaré entre deux villages –
il avait sauté de cheval
pour me dire où j’étais
m’avait décrit en peu de mots
les mûriers forts les pentes souples du mont
je m’étais cru au moyen-âge
ou dans l’antiquité
aucune antenne aucun fil
à peine un chemin

et soudain sa parole
-je n’ai jamais cru à la banalité de la vie –
sa voix solidement souriante
son regard transparent
où l’intime et l’extime se touchent
me trahirent en lui l’enfant
qui dormait là encore
je fus effarouché de sa franchise
et comme il me désignait
un raccourci
je m’enfuis à toutes jambes

son éclat de rire résonne encore