la vie intérieure

longtemps attardé aux porches des églises
(ni dieu ni diable)
j’ai cultivé tendrement le souffle solide
et glacé s’abattant sur les épaules
qui donnait à mes songes
un socle tombal
et où le passé ramassé
creusait ma présence
enluminant ma joie
d’une grâce folle
il me laissait digne de mon rêve
au contraire de cet effroi nu
qui me saisit dans la galerie marchande

les soleils teignaient de mille feux
les Marie et autres idoles
fignolées du bout de doigts
parfois malhabiles
(l’adresse est affaire de décennies
or on mourait jeune en ce temps-là)
mais j’entends encore leurs chants
le rythme des ciseaux des marteaux
inconcevable force intérieure
qui les vit se contenter
de pain gris
et de piquette rosée
attentifs au calme des jours et des nuits

je m’en vais retrouver les piliers
pour éveiller la majesté absente
des mots trop rapides de notre temps
du monde gras où nous vaquons
et à la fontaine de la place
je veux me rebaigner le front
le visage et les bras
loin des tronçonneuses
perceuses ponceuses
(le présent décidément vibre trop)
je songe que nous manque le lent secret
de ce silence qui redonnerait
quelque dignité à notre nature

(cette rêverie est une manière de tombeau de Baudelaire)