longs cheveux
(vanité du vent qui vient de loin
pour les peigner longtemps)
c’est une cascade figée
que la brise fatigue de son flot
j’embarque dans les brindilles
ombre et verdure comprises
ça siffle l’été gris du souvenir
balancées en rythme les plaintes s’oublient
ça chuchote dans les nids
mon pouls prend des allures de ruisseau
l’aventure des vingt-quatre heures cavale
je suis seul
pas le temps d’essuyer mon front
les papillons miment les secondes
les lunes les mois
et mon amour se plaint de n’être pas chéri
et les voitures au boulevard défient les feux
sous les feuilles la musique des sphères
le saule universel
a de ces flous mélancoliques
la saison déchantera
en attendant juillet prend de la gîte
et l’arbre du vent
un pont d’Avignon
le pont déchiré
s’ouvre sur le Rhône
(verte présence croulant en gravité)
je me dis que ce travers cet espace est ma vie
l’autre rive m’est menace de tout son bleu
je suis debout face à l’ineluctable
je ne fais pas le bravache
le pont me rapproche mais il me retient me garde
je pourrais presque toucher de l’autre côté la bête pathétique
tandis que le fleuve va
je constate que son eau émeraude n’est rien d’autre que le ciel
refleté
il y scintille des micas gris merveille
autant d’oliviers balayés du courant
autant de feuilles qui se froissent en murmures
je suis en vie
il est bon d’être à deux pas de l’abîme
sur le pont d’enfance
à danser à chanter à vibrer
avec derrière soi les belles dames
les beaux messieurs
et ma présence qui fait comme ça
et ma présence qui mesure mes pas
ces jours ces mois ces années
ai-je vraiment vécu
sans saluer comme il aurait fallu
tous ceux qui furent mes vivants
(j’ai trop pensé en rond)
mais c’était autrefois
c’était comme ça
une aube
l’aube bouge
cri étouffé
il est déjà question de joie
je sais
le filet du rêve déchire les mailles
c’est blanc doré
les doigts serrés sur le battant
j’imite le lever en ouvrant un peu la fenêtre
un flot de fraîcheur déferle
la lumière de la chambre jaunit
un rayon s’arqueboute sur l’horizon
puis escamote la nuit à son seul appel
c’est un poing qui se ferme sur l’obscur
il écrase sans pitié mes imaginations
et me projette en plein bleu
sans que ma gorge ait vibré
sans que j’aie eu le temps d’articuler
un bonjour que je voulais
urbain bienveillant
et qui soufflerait dans mes poumons le grand présent
une vie pure s’accroche aux secondes qui cliquètent
chantant une mécanique
lyrique à force d’écoulements lumineux réguliers
j’y crois comme au premier jour
mille précautions en ouvrant le battant au plus large
je m’allonge épuisé et me rendors longtemps
sur l’oreiller de juillet
nids
tiens revoilà l'unique symphonie d'été folies du regard appuyé on reçoit on subit allègres parfums qu'on regrettait au long de l'an sans le savoir jasmins troënes et leur poivré joli écume des moments d'amour où les romans jouent au passé tous ces présents imaginés le tiède des brises défait les cols un peu par quel bout saisir cet été où le corps est omniprésent la saison essore la terre jusqu'à l'os on moissonne vite par peur de l'orage le bercement des tiges grasses inquiète qu'ai-je fait pour mériter pareille douceur ma candeur fait vaciller les cimes habillées et drôles peu de paroles ça craque dans les os des sous-bois cliquetis énervés des eaux rares il me semble que les poissons aussi veulent l'eau ils bafouillent leurs appels de glace jusqu'à nous le soleil dirigeant n'autorise pas les gazouillis il y faut pour cela le soir de l'abandon quand le feu périclite orange puis vert puis rien et que les paroles sur l'homme aggravent les vies alors les oiseaux embrouillent les fils des mélodies pour retisser des nids d'été aux harmoniques troubles
l’héroïne
je suis assis sur une borne qui fait face à la villa
à travers ses persiennes
mi-closes
je surprends une dame d’autrefois
elle arrange son foulard du bout des doigts
une musique de piano quelque part fait des gammes
je ferme mon livre
la pianiste m’est connue
je lis les traits de son visage à travers le profil de sa mère
souligné à l’instant par le foulard
elle a l’air satisfaite
déplace encore d’un index léger le tissu de son front
puis disparaît
je l’attends
cognant mes talons contre la borne de grès
la porte cochère s’ouvre lourde d’ombre
surgit un cheval noir qui me salue
en baissant la tête
tandis que sur la calèche frôlant le haut du porche
le visage encadré de son foulard
s’avance (la robe caresse les roues)
je songe en serrant le roman contre moi
que je ne saurais dire si c’est la mère
ou la fille
celle qui jouait tout à l’heure du piano
tandis que je lisais
tandis que je rêvais
et comme pour ajouter à la confusion
elle me fait en passant un signe de la tête
et je comprends alors à son clin d’oeil
qu’elle est l’héroïne du roman que je lis
le merle
régularité du merle
inépuisable ponctuation
notes très aiguës tout le jour
large vol du corps de nuit
les ailes froissent le gazon
puis un trille de deux notes éloignées
- véloce solitaire –
vrille longuement l’air stupéfait
c’est la nuit
je me demande
si ce n’est pas lui qui commande sa tombée
et si pour le remercier
l’allumeuse de polaire et suivantes
ne lui a pas confié sa noirceur ambiguë
c’est qu’entre terre et ciel
les oiseaux suscitent les avions et les rêves
et les navires eux-mêmes doivent beaucoup aux mouettes
qui les appellent
le merle
c’est clair
a pour tâche de nous rappeler
l’obscure destinée du jour
et celle plus sombre de nos jours
reste qu’ayant trempé son bec dans le soleil
chaque vol
a sa petite lumière
la source
ce que j’entends
c’est ce lieu unique
où je ne fus jamais avec mon pas sonore
c’est un coin enfoncé
entre palpitation et impalpable
où s’écoulent les bons les mauvais mots
je le retrouve dans mon crâne
le monde réel n’y peut fourrager
j’y écris je n’y vis pas
il me semble que le monde peut crouler
sous le glacis des siècles
je relèverai les ruines
et j’inventerai à partir de lui
un souple monde
seconde nature
miroir de bric et de broc
volutes qui vont vers le chant
ce que j’entends est une source secrète
je n’en sais guère davantage
il y pleut sur la craie
et les cris de juillet ont de grises verdeurs
là dorment les syllabes
paroles que j’éveille de la main
chance azurée souvent
où mon corps se retrouve au présent
c’est la joie
c’est peu
c’est beaucoup
début juillet
ce qui s’est accroché aux branches de juin
va nous servir d’apaisement
je note les échanges tremblés des jeunes
et des anciennes feuilles
qui jour et nuit habillent nos haies
ça virevolte drôlement depuis le solstice
depuis que l’obscur l’air de rien
remord sur les bonjours
elle a resurgi la vieille ombre où l’on va deviser
recoudre les vies ravauder les ratés
à force de petits mots
de sourires entendus de nous seuls
l’auvent secoue son drap sous l’ouest
pour nous dire de faire vite
et j’objecte à cette folle allure des souffles rageurs
la lenteur de l’écriture au bord de l’eau
ce chant
frêle esquif au bord de juillet
j’entends nettement les fraîches sonnettes des vélos
qui préviennent le présent
et chantent à l’étrave du texte qu’il fait bon clapoter
que l’eau et le sourire c’est même humeur
la barque sera chaude bien des jours
et ses flancs palpiteront sous la lumière
longtemps encore
Juillet
juillet est une fleur
qui déploie chaque jour ses pétales
pour faire voir en son cœur
la révolution
les murmures et la mer
se sussure souvent
entre le drap et l’oreiller
entre la vague et l’estran
un chuchotis secret
qui dit notre origine
les enfants sont l’écume
de cet horizontal fécond
où la mer et les mains
ne cessent au flanc des vagues
au bord des lèvres
de se donner la vie
la marée vers l’avant
le reflux au passé
s’échangent l’éternité
pensées et roulis
étreintes et ressac
se donnent au langage
chuintements qui s’apaisent
parfois par amour pur
sorte de sel fin
où les paroles virent alors au refrain
mantras d’une foi portative
réservée aux deux fidèles
à l’exclusion du monde parlant
nous voici prêtre et prêtresse
posés sur l’eau étale des draps
et méditant la vague
nous trouvons le silence
sans fin
et je m’en vais garder
paumes serrées
l’eau petite et comptée
quelques gouttes à peine
cueillies sur les fleurs en corolles
tu plonges dans mes mains
j’aime ta peau dis-tu
(le soleil cogne dur
fenêtre sur le vide)
l’été décidément
c’est l’attente d’un drame
or à noircir ce temps cru
nos ombres je crois vont s’effacer
je compte sur mes doigts
les années décennies
le corps fut à peine chanté
la peau est devenue friable
et la vie intouchable
je sens tes joues
contre mes phalanges mouillées
je voulais te sculpter
et c’est moi que j’évide
ces mots sont les notes risquées
qui sèmeront contre le temps
des germes d’engendrement
sorte de lutte finale
qui n’en finit jamais
jeunes vies
le repli de sa voix assourdie
m’indiqua une peur très lointaine
je pris sa main
ses longs doigts étaient autant de questions
posées dans ma paume
je sus d’emblée qu’il y allait de sa jeune vie
mon rire avait son âge petit
et ses regards dorés visèrent ma peau
c’était tout mon langage en fait de profondeur
à vingt ans le futur m’est si vaste – je m’en souviens –
qu’il miroite à l’infini
et les je t’aime y sont repris
avec toujours la même largeur de timbre
les cordes vocales violoncellent
on va loin tout compte fait quand on va vers le grave
qu’on est au printemps
et qu’il y a des crises de juin
désamours grisâtres où le soleil s’arrête
(la cendre l’emporte sur le feu de saint jean)
l’affaire de vivre exige
chose impossible à livrer
ce calendrier d’aimer et de vivre
mélange explosif
où je t’aime et je suis
demeurent asservis
au maëlstrom de chaque aube
l’allée
il me semble qu’au bout de l’allée
s’engrave un château minuscule
malcommode inaccessible
or le chemin gravillonné a ses attraits
des chant profonds y couvent leurs doigtés
ça travaille en sous main bonne allure
des langueurs des siestes des sables
je médite mon avance souriante
bonjour madame le château n’est plus si loin
des mains se serrent élégantes
on s’effleure les joues baisers vides
j’entends la pluie qui se perd en route
le gravier pourvoit au souvenir des eaux
des galets égarés sur la place
content des histoires vécues
que j’écoute dans le crissement du crêpe
je me rappelle les visages d’Emma
Claudine Bérengère Alice
Et soudain il est là tout proche je me ressaisis
misère de l’allée qui s’achève
je vois le château agrandir son ombre
revoltant deuil des toitures
ça taille des chapeaux de carnaval
ce sont d’obliques verticales amidonnées de noir
je perds mes pas je perds mes pas
brusqueries
la brise porte en son souffle tout un monde
de branches frémissantes
qui aspirent hors sol
le juin limpide
on entend les étoiles du jasmin qui se frôlent
au cru des tiges
une enfant siffle au coin de la rue
l’histoire d’une amour mélancolique
et d’un qui n’en peut mais de vivre
puis le solstice des angoisses
se dissout bientôt au noir des frondaisons
le vent léger expire une joie de rêve
ça y est ça y est
il se passe quelque chose
la brise redouble son fouet
les nuées d’ouest affluent
la pluie s’effondre
le jardin à peine sec
réinterroge ses racines
tout est bien tout est beau
miracle
les miroirs d’azur soudain écartent les blancs frissons
les troënes frottent leurs tiges au soleil
un poivre amer et pur
monte en poussières mouillées
longtemps l’aventure d’être sera cet unique parfum
paradis des pavillons de chez nous
calés contre de gris et bleus bosquets engazonnés
corolle
corolle de l’aube
je te devine ce jour en robe vive
à l’instant où tu paraîtras tout à l’heure
au lointain de la rue
tes lèvres emprunteront à l’ombre des murs
la gravité du ton
et ta voix reprendra le rythme des branches
qui craquent sous mes sandales
humectées de rosée
je verrai s’amincir et se dissoudre l’enveloppe d’effroi
qui me tenait lieu de coeur battant
je marcherai à tes côtés
visité du matin doux
je crois bien que soudain feront défaut
les mots
leur suspend devenant qualité
(ils ne briseront plus l’air)
fraîcheur du silence
qui ne demande qu’à monter
chaque jour soit ainsi
le temps peut ronger les sangs
nous ne céderons pas