un pont d’Avignon

le pont déchiré
s’ouvre sur le Rhône
(verte présence croulant en gravité)
je me dis que ce travers cet espace est ma vie
l’autre rive m’est menace de tout son bleu
je suis debout face à l’ineluctable
je ne fais pas le bravache
le pont me rapproche mais il me retient me garde
je pourrais presque toucher de l’autre côté la bête pathétique
tandis que le fleuve va
je constate que son eau émeraude n’est rien d’autre que le ciel
refleté
il y scintille des micas gris merveille
autant d’oliviers balayés du courant
autant de feuilles qui se froissent en murmures
je suis en vie
il est bon d’être à deux pas de l’abîme
sur le pont d’enfance
à danser à chanter à vibrer
avec derrière soi les belles dames
les beaux messieurs
et ma présence qui fait comme ça
et ma présence qui mesure mes pas
ces jours ces mois ces années
ai-je vraiment vécu
sans saluer comme il aurait fallu
tous ceux qui furent mes vivants
(j’ai trop pensé en rond)
mais c’était autrefois
c’était comme ça