I
tout est fraîcheur
ruisseau et soleil
la rosée et mon pas
au creux des herbes
les parfums s’effacent
laissant place au souffle rougi
des vignes vierges
ce sang d’automne
qui fait comme des barrières
éventaires de bouchers
s’il n’y avait alentour
la joie des merles subtils
avides des baies éclatées
qui ornent les halliers repus des jours
mûriers églantiers ponctuant
les hautes pentes des bas côtés
je chéris le ru cavaleur
aux miroitements noirs
des micas bousculent
l’anarchie des feuilles de hasard
qui pleuvent au coeur des eaux
j’aime l’odeur surtout
cet humus mou et lourd
qui cède sous la semelle
oh soudain le souvenir
des hirondelles ingrates
qui fuirent trop vite
tant pis pour elles
elles ne sauront jamais
la fraîcheur crue des aubes
ni la mer des nuées douces au ciel
qui arrosent les corolles
encore chaudes un peu
l’ombre vive des haies
s’allonge partout
sous l’inclinaison caresse
des après-midis brûlants
encore un peu sur nos épaules
cette joie cette joie
que le déclin nous offre
déprise des jours filant
à une allure folle
on ne sait plus on ne sait plus
nuits et jours sont égaux
les peines de l’an cicatrisent
et s’effacent hors douleur
balayent les vents
qui animent les premiers feux
avec les dernières branches
qui se consument sans effort
fumée abondante
volutes humides des jardins
elles s’envolent
les plantes ont donné leurs fruits
elles vont avoir droit au repos
se pavanent alors
les coulures graves du lierre
griffes vert bouteille
qui étouffent pour croître
poursuivant la lutte d’été
contre les buissons amicaux
qui protègent naïfs
nos jardins nos prairies
du voisinage inconnu
II
quelque chose parle
dans la palpitation des brindilles
c’est de l’ordre du vent
c’est de l’ordre du temps
une haleine ne cesse
même en plein midi
de mêler du froid au souffle
les mésanges éternelles bâtisseuses
prolongent leurs affaires de rameaux
devinant entre les feuilles
que le léger souffle
qu’elles éprouvent en vol
est habité de glace
déjà l’automne déjà l’automne
et un avenir très secoué
pour leurs nids bientôt sous zéro
et leurs plumes en pèlerines bleues
rabattues sur les yeux
je songe qu’elles pourraient nicher
dans ma boîte à lettres
je ne reçois plus d’humain courrier
les cartes postales c’était avant
avant les mails avant l’automne
je me souviens je me rappelle
automne et souvenir sont le même
un fond de gorge remonte du silence
j’ai dû dire des paroles vraies
à propos de la plage au soleil contre la mer
des mots jaunes ensablés et doux
des mots jeunes nostalgie et cris
de joie surtout de joie
elle ne me quitte pas non non
cette jolie compagne des heures fruitées
mais très âgée elle rôde au présent
elle habite sous la peau
aux commissures elle s’excuse
les feuilles dit-elle les ridules les écorces
la joie glisse doucement vers l’intérieur
les lèvres à l’avant garde
parées au miroir
elles se font belles sourient contre le gel
c’est vrai que l’automne rend beau
il est fier de ses obliques
qui finement dorent l’arbre
sa lumière et le visage
frottés de soleil courbe
ont des langueurs malignes
vocalises mezzos en tons mineurs
ce bruissement des feuillus
en fait foi cette allure grave
des nuées vers le soir
et l’ouest explosif larmes de joie
monde radieux à étouffer
c’est trop d’ocre automnal
alors me caressant les paumes
je songe au plaisir du vin chaud
la porte grince cliquetis de serrure
et je rêve d’aller voguer
sous les voiles d’octobre
vers les îles heureuses
le vent est un ami qui résiste
et me pousse et me meut
j’aurai des nuits de rivages
couverts de bois flottés
c’est si doux au toucher
on dirait une peau
je me vois vêtu de mouton
arpentant la plage morte
avec pour seule musique
ce ressac insaisissable
rien ne finit rien ne finit