le verdict

au pays où l’on babilla
et s’emplit de joies floues
quand des cris brisaient le fil des songes
l’encre bleue de mélancolie coulait longtemps au lit sec du corps figé là

puis la peine faisant ses gammes
le cœur s’est ressaisi le sang bat désormais dans sa chambre particulière
je songe aux autres qui dansaient dansent danseront
et j’aperçois – j’en ai vu des choses –
des figures fluides d’enfants qui font mine de fuir
une main mélodise en mineur là-bas des sonates crépitantes
et la bonne vieille peur
appuyée sur son bâton
s’avance familière et usée
la voilà qui se redresse souriante
paume sur les reins
ne t’effarouche pas dit-elle de me voir revenir
je sais bien le silence et le monde qui s’éloigne
je suis venue du fond des ans pour partager
ton petit univers
ce souci des syllabes comptées – poèmes –
minuscule logique de modes négligées
où tu humes et rôdes et soupèses

haussant la voix elle ajoute
je te condamne à continuer

l’éphémère

douze ans
les chemins dévalés coeur battant
on filait au loin
aucune peine vive n’équivalait alors
la vaste douleur présente

le tragique haché insiste sur chaque seconde
sur chaque pas
ce négatif qui me fait avancer
l’écoulé de l’adulte
n’en finira plus jamais de fuir
et ta main qui me lâche
et mes lèvres qui s’ouvrent
(excuse-moi)
désormais loin de l’autre
pour dire quoi pour dire quoi

et la barque et la barque
dont la proue craque au vent
les tolets grincent
j’entends là-bas des ailes qui battent
on reclaque en hâte les persiennes folles
je rentre ma tête au creux du blouson
acheté trois sous l’hiver dernier

le col seul m’abrite

l’éternelle

sorti de la tanière
où d’ordinaire on végète trois cents jours et plus
j’allai sur les bruyères avant l’aube
et penché sur mon pas
attentif à la floraison grise et rose
je l’entendis glisser sur les feuilles de mai
grave au sourire
majeure en son aura
et son parfum futur
m’entoura vite de son orient privé
longtemps une lumière très neuve monta
sous son regard fabuleux
un vitrail frissonna
(que j’aménage désormais largement en ma mémoire)
ne restèrent bientôt que les poussières des rayons de midi
il fallut la nuit et mes bras pour que l’ombre me la ramène en son allure
dans ce rêve qui court depuis la première entraperçue là-bas
il y a bien des siècles

Novembre

quand le pas broie du noir
quand la mer dès l’aube – paupières cireuses –
charrie des masses d’encre voilées
à peine inspirée
l’iode de novembre
se fait fièvre aux poumons
les cimes dépouillées
charmes ormes chênes xylophones affairés
s’entrechoquent dans la brume fatigue
l’affaire de vivre
en plein doute
fait de novembre un où es-tu entêté
c’est à peine si l’on avance aux halliers glacés
le corps dépose les armes
au bout des alarmes maximales
la onzième saison sonne derrière la mort

et c’est alors
au bout de l’an ou presque
que remonte facile la mélodie des doigts
dans le filet des jours
la pluie joue du piano
le vent souffle ses symphonies improvisées
l’époque affolée bascule
dans la saison des œuvres chaudes
le noir rédige enfin
sur le blanc silence des brumes qui se lèvent à volonté
le chant joyeux des enfants de la vie

La Visiteuse

ce qui grandit avouait-elle
– j’entends encore son soprane velours –
c’est sur la placette
votre saule qui chante sur ses mobiles feuilles d’or
elles seules font le rire cru de novembre
vous l’entendez demandait-elle
et ce silence de mai cet écrin des oiseaux
vous l’entendez je le sais

je revois à travers les décennies
sa silhouette inchangée venue de l’horizon
j’aurais aimé sa main dans ma main
mais rien n’aurait pu la toucher

ponctuant chaque saison de ses fruits nouveaux
prenez disait-elle prenez
fleurs fraises pommes et noix sur un lit de paille
la corbeille semblait légère
comme ses robes en ma mémoire
allez ajoutait-elle enfin
enclose dans votre palais
la chair des framboises explosera sur commande
et l’éphémère parfum des poires de juin
montera dans la fuite des jours

étrange visiteuse
reviendrez-vous
autant que vous vivrez rit-elle
je veux dire
longtemps

Une Faiblesse

merci dit la femme aux paupières papillon
ticket d’adieu à la main
je suis hors boutique
et retrouve à l’asphalte l’apocalypse des âcretés carburées
tenant le pantalon payé au bout du bras
j’anticipe l’usure et les mille plis
puis les soleils et les pluies
tout se débine soudain
ce dépit ce dépit
le sac de plastique danse son sarcasme
je dois arracher ma présence à la foule
ils sont tous là
obstacles rêches odeurs fortes appels parapluies semelles
et moi et mon petit pincement d’aimer
à peine apaisé
(désir de forêt)
voix fuguées des passants aux cent pas
ils vivent mieux
dans leurs fièvres complices
éblouissements
monte d’eux un secret dont je ne sais rien
dont je rêve
empruntant la bordure du trottoir
en équilibre
sur la rive du caniveau ressuyé
ma cheville dévisse aux pavés
choc des malléoles
panique qui me crie que rien
rien ne va

au réveil
chuchotis de paroles salivées
à deux doigts des tympans
je crois que je gis au-dessous des choquantes sirènes
cahots du brancard

Kleist : Sur le théâtre de marionnettes

Comme je passais l’hiver 1801 à M., je fis un soir, dans un jardin public, la rencontre de Monsieur C. qui était engagé depuis peu comme premier danseur à l’opéra de la ville et jouissait d’une immense faveur auprès du public.
Je lui confiai mon étonnement de l’avoir aperçu plusieurs fois dans un théâtre de marionnettes que l’on avait dressé sur la place du marché pour divertir le peuple avec des petites scènes burlesques entrecoupées de divers chants et danses.
Il m’assura que la pantomime de ces poupées lui procurait un vif plaisir et me déclara tout net qu’un danseur désireux de cultiver son art ne pouvait qu’en tirer le meilleur profit.
Sa remarque n’avait rien d’une boutade et elle était empreinte d’une telle conviction que je m’installai à ses côtés pour en apprendre davantage sur les raisons qui l’avaient amené à d’aussi étranges considérations.
Il me pria de lui dire franchement si je n’avais pas trouvé très gracieux certains mouvements des poupées, en particulier ceux des petits danseurs.
Je ne pus nier que c’était le cas. Un groupe de quatre paysans dansant la ronde sur un rythme endiablé n’aurait pu être rendu plus joliment par Teniers lui-même.
Je m’informai sur le mécanisme de ces personnages et j’étais surtout curieux de savoir comment on pouvait commander isolément leurs membres et leurs articulations sans que les doigts s’emmêlent dans une myriade de fils lorsque le rythme des mouvements ou de la danse l’exigeaient.
Il répondit que j’avais tort d’imaginer que pour chaque pas le montreur posait et tirait séparément les membres des marionnettes.
Tout mouvement, selon lui, avait son centre de gravité ; il suffisait de diriger ce point à l’intérieur du personnage ; les membres, qui n’étaient rien d’autre que des pendules, suivaient d’eux-mêmes de façon mécanique, sans qu’aucune intervention fût nécessaire.
Il poursuivit en affirmant que ce mouvement était des plus élémentaires ; quand le centre de gravité était tiré en ligne droite, les membres décrivaient des courbes et souvent, même en l’agitant sans le vouloir, l’ensemble était animé d’un rythme proche de la danse.
Cette explication me parut jeter quelque lumière sur le plaisir qu’il avait assuré éprouver au spectacle des marionnettes. Mais j’étais à mille lieues d’imaginer les conséquences qu’il allait tirer d’un tel constat.
Je lui demandai s’il croyait que le montreur qui commandait à ces poupées, devait lui-même être danseur, ou s’il estimait qu’il devait seulement être sensible à l’esthétique de cet art.
Il répliqua que le maniement avait beau être une mécanique simple, ce métier n’impliquait pas pour autant un manque de sensibilité.
La trajectoire que le centre de gravité devait suivre était certes évidente et il estimait que dans la plupart des cas elle était rectiligne. Lorsqu’elle était incurvée cependant, la loi qui commandait cette courbure semblait être de premier ou de second ordre ; dans ce dernier cas elle ne pouvait être qu’elliptique, et l’ellipse étant le mouvement le plus naturel des extrémités du corps humain (à cause des articulations), elle n’exigeait de la part du montreur aucune habileté particulière.
Vue sous un autre angle pourtant, cette ligne était très mystérieuse. Car elle n’était rien d’autre que le chemin de l’âme du danseur ; et il doutait qu’on puisse l’activer autrement qu’en se plaçant au centre de gravité de la marionnette, en d’autres termes, le montreur devait danser.
J’objectai que j’avais toujours entendu dire que cette activité était dénuée d’esprit : c’était à peu près l’équivalent d’un joueur de vielle qui tourne sa manivelle.
Absolument pas, répondit-il. Les mouvements des doigts ont au contraire un jeu assez subtil pour faire bouger les poupées qui leur sont attachées, et cette relation ressemble assez à celle des nombres envers leurs logarithmes ou de l’asymptote envers l’hyperbole.
Cependant il pensait que l’on pouvait aller jusqu’à supprimer des marionnettes cette intervention minimale de l’esprit, qu’il était possible d’abandonner leur danse au seul empire des forces mécaniques et qu’une manivelle, comme je l’avais suggéré, y parviendrait aisément.
Je ne lui cachai pas mon admiration de voir qu’il accordait à ce spectacle populaire une dignité égale à celle des beaux-arts. Il ne se contentait pas de constater que les marionnettes étaient capables d’évoluer vers un genre supérieur, mais il semblait aspirer à devenir l’artisan de leur promotion.
Il sourit et dit qu’il pouvait garantir que si un mécanicien acceptait de lui construire une marionnette selon ses instructions, il produirait grâce à cette invention une danse avec laquelle ni lui, ni aucun autre danseur talentueux de notre temps, y compris Vestris , ne seraient capables de rivaliser.
Avez-vous, fit-il, comme je baissais les yeux à terre sans dire un mot, avez-vous entendu parler de ces jambes mécaniques que des artistes anglais fabriquent pour des malheureux qui ont perdu leurs membres ?
Je répondis par la négative, je n’avais jamais eu l’occasion de voir de pareils mécanismes.
C’est dommage, répliqua-t-il ; car si je vous dis que ces malheureux dansent, je crains fort que vous ayez du mal à me croire. – Mais, que dis-je, danser ? Bien sûr leurs mouvements ont une amplitude réduite, mais ceux qu’ils peuvent effectuer, sont réalisés avec un calme, une souplesse et une grâce telles que toute âme sensible ne peut qu’en être émue.
Je risquai, en forme de plaisanterie, qu’à l’évidence il avait trouvé l’homme qu’il cherchait. Car l’artiste capable d’élaborer une jambe aussi remarquable, pourrait sans aucun doute lui fabriquer selon ses instructions une marionnette entière.
Comment, demandai-je, alors qu’à son tour un peu embarrassé il fixait le sol, comment se présenteraient les instructions que vous donneriez à cet artiste ?
Rien d’autre, répondit-il, qu’on ne puisse déjà voir ici ; harmonie, mobilité, souplesse – mais à un degré supérieur ; et je concevrais avant tout une répartition des centres de gravité plus conforme à la nature.
Et quel avantage cette poupée aurait-elle sur des danseurs en chair et en os ?
Quel avantage ?… ce serait surtout, mon excellent ami, un avantage négatif : elle ne serait jamais affectée. – L’affectation se manifeste en effet, comme vous le savez, lorsque l’âme (vis motrix ) se situe en un quelconque endroit du corps, sauf précisément au centre de gravité du mouvement. Le montreur, au contraire, avec ses ficelles ou ses fils de fer, ne dirige que ce point précis : tous les autres membres sont comme le veut leur nature, ils sont morts, ce sont de purs pendules, et ils obéissent à la seule loi de la gravitation ; c’est là une qualité éminente que l’on chercherait en vain chez la plupart de nos danseurs.
Observez objectivement P…, poursuivit-il , lorsqu’elle joue Daphné et que, poursuivie par Apollon, elle se retourne vers lui ; son âme loge alors dans ses vertèbres dorsales, elle plie son corps et on a l’impression que, telle une naïade de l’atelier du Bernin, elle va se briser. Observez le jeune F…., lorsque dans le rôle de Pâris, il se dresse au milieu des trois déesses et tend la pomme à Vénus : l’âme est alors (spectacle effrayant) dans son coude.
De tels errements, jeta-t-il abruptement, sont inévitables depuis que nous avons goûté au fruit de l’arbre de la connaissance. Mais le paradis est verrouillé et le Chérubin est derrière nous ; il nous faut faire le voyage autour du monde et voir si le paradis n’est pas ouvert, peut-être, par derrière.
Je ris. – Il est certain, fis-je, que lorsque l’esprit est absent, il ne risque pas de se tromper. Mais je m’aperçus qu’il avait encore bien des choses à me confier et je le priai de continuer.
De plus, dit-il, ces poupées ont l’avantage d’être antigravitationnelles. L’inertie de la matière, ennemie impitoyable de la danse, leur est indifférente, car la force qui les élève dans les airs est supérieure à celle qui les tire vers la terre. Songez à notre bonne G…, que ne donnerait-elle pas pour être plus légère de soixante livres ou pour être portée par une puissance équivalente lorsqu’elle effectue ses entrechats et autres pirouettes ? Les poupées, comme les elfes, n’ont besoin du sol que pour l’effleurer et freiner un instant l’élan de leurs membres, ce qui les relance de plus belle ; le sol est au contraire pour nous une nécessité absolue, nous devons nous reposer et souffler après l’effort : ce moment, à y regarder de près, ne fait pas partie de la danse et l’on ne peut rien en faire que de l’escamoter au mieux.
Je dis qu’il aurait beau pousser ses paradoxes à leurs extrémités, il ne me convaincrait jamais qu’il pouvait y avoir plus de grâce dans un pantin mécanique que dans un corps humain.
Il répliqua qu’il serait totalement impossible à l’homme d’approcher jamais le niveau du pantin. Seul un dieu pourrait dans ce domaine se mesurer avec la matière ; et c’était à cet endroit précis que les deux extrémités du monde circulaire se retrouvaient.
Mon étonnement allait croissant et je confiai que rien ne me venait plus face à d’aussi étranges considérations.
Prenant une pincée de tabac, il me répliqua que visiblement je n’avais pas lu avec assez d’attention le troisième chapitre du premier Livre de Moïse ; et si l’on ne connaissait pas cette première période de la culture humaine, il allait de soi qu’on ne pouvait échanger sur les suivantes et encore moins sur la dernière.
Je dis que j’avais une idée très précise des désordres occasionnés par la conscience dans la grâce naturelle de l’homme. Un jeune homme de mon entourage, à la suite d’une banale remarque avait pratiquement sous mes yeux perdu son innocence et il n’avait jamais retrouvé le paradis où elle se déployait, et ce, malgré tous les efforts imaginables. – Mais, ajoutai-je, quelles conclusions pouvez-vous en tirer ?
Il me demanda de lui préciser l’événement auquel je pensais.
Je lui racontai qu’il y a trois ans, je me baignais en compagnie d’un jeune homme dont le corps rayonnait à l’époque d’une grâce merveilleuse. Il devait aller sur ses seize ans et, éveillé par la faveur qu’il recueillait auprès des femmes, on voyait de loin en loin miroiter ses premiers éclats de vanité. Le hasard avait voulu que peu de temps avant, à Paris, nous avions vu l’éphèbe qui extrait une écharde de son pied ; le moulage de cette statue est connu et se trouve dans la plupart des collections allemandes. Au moment où il posait son pied sur un tabouret pour le sécher, il jeta un regard dans un grand miroir et le souvenir lui revint ; il me confia en souriant la découverte qu’il venait de faire. Pour tout dire, j’avais fait la même constatation à l’instant ; mais sans doute pour tempérer la grâce éclatante dont il débordait, ou peut-être pour atténuer légèrement sa vanité et le faire revenir sur terre, je me mis à rire et répondis… qu’il devait avoir des visions ! Il rougit et leva une deuxième fois son pied pour m’en faire la démonstration ; mais sa tentative, comme on pouvait facilement le prévoir, fut un échec. Troublé, il leva son pied une troisième, une quatrième fois, jusqu’à dix fois de suite, en vain ! Il était totalement incapable de reproduire le même mouvement, et pire encore, les mouvements qu’il faisait étaient si comiques que j’eus du mal à ne pas éclater de rire .
A partir de ce jour, de cet instant précis, ce jeune homme connut une métamorphose incompréhensible. Il se mit à se regarder toute la journée dans le miroir ; et l’un après l’autre, ses charmes l’abandonnèrent. Une force invisible, insaisissable, sembla comme un corset de fer entourer le libre exercice de ses gestes et un an plus tard, on ne trouvait plus en lui aucune trace de cette aura qui autrefois avait ravi son entourage. Je suis demeuré en relation avec un témoin de cet événement aussi étrange que malheureux et cette personne pourrait confirmer mot pour mot le récit que je viens de faire.
Puisque nous en sommes là, dit aimablement Monsieur C., je me vois obligé de vous raconter une histoire dont vous comprendrez aisément le lien qu’elle entretient avec notre propos.
Lors de mon voyage en Russie, je me retrouvai sur la propriété de Monsieur de G. , noble livonien dont les fils étaient à l’époque des passionnés d’escrime. L’aîné en particulier, frais émoulu de l’université, jouait les virtuoses, et un matin, alors que je m’attardais dans ma chambre, il me tendit une rapière pour échanger avec lui. Nous nous battîmes ; mais il se trouva que je lui étais supérieur ; sa passion n’arrangeait pas les choses ; presque chaque coup que je portais, touchait son but et sa rapière finit par atterrir dans un coin de la pièce. Partagé entre l’amusement et la colère, il me dit en ramassant sa rapière qu’il avait trouvé son maître : mais il ajouta que sur cette terre tout homme trouvait le sien et prétendit immédiatement me conduire vers le mien. Les deux frères éclatèrent de rire et en criant : allez ! allez ! en bas, dans la remise à bois ! il me saisirent la main et m’entraînèrent auprès d’un ours que Monsieur de G., leur père, faisait élever dans la cour.
Quand, étonné, je me présentai devant lui, l’ours était dressé sur ses pattes arrière, le dos appuyé à un poteau auquel il était attaché, la patte droite levée, prête à riposter, et il me fixait dans les yeux : c’était sa position de d’escrimeur. Je crus d’abord que je rêvais de me voir confronté à pareil adversaire ; mais non : attaquez ! attaquez ! dit Monsieur de G. Essayez de lui donner une leçon ! Un peu remis de mes émotions, je me ruai sur lui, la rapière à la main ; l’ours fit un très bref mouvement de la patte et para mon attaque. J’essayai de lui proposer quelques feintes ; l’ours ne bougea pas. Je me précipitai de nouveau sur lui avec un coup où la dextérité et la rapidité auraient pu toucher à coup sûr n’importe quelle poitrine humaine : l’ours fit un très bref mouvement de la patte et para le coup. C’était à moi maintenant d’être presque à la même place que le jeune Monsieur de G. Le sérieux de l’ours fit également son œuvre et perdant tout sang-froid, j’effectuai une série d’attaques et de feintes, j’étais couvert de sueur : rien à faire ! Ce n’est pas seulement que l’ours, comme le meilleur bretteur du monde, parait tous mes coups, mais c’est qu’il ne voulait pas (contrairement à tous les escrimeurs de la terre) entrer dans mes feintes : droit dans les yeux, comme s’il lisait directement dans mon âme, il se tenait devant moi, la patte prête à frapper et lorsque mes attaques étaient feintes, il ne bougeait pas d’un pouce.
Croyez-vous cette histoire ?
Evidemment ! m’écriai-je en approuvant joyeusement ; je la croirais de quiconque, tant elle est vraisemblable, à plus forte raison venant de vous !
Eh bien, mon excellent ami, dit Monsieur C., vous êtes désormais en possession de tout ce qui est nécessaire pour me comprendre. Dans le monde organique, nous constatons que plus la réflexion est obscure et faible, plus la grâce qui en surgit est souveraine et rayonnante. – Comme l’intersection de deux lignes de part et d’autre d’un même point, après leur traversée dans l’infini, se retrouvent soudain de l’autre côté, ou que l’image d’un miroir concave, après s’être éloignée dans l’infini, revient soudain juste devant nous, il en va de même pour la connaissance qui, après avoir traversé l’infini, retrouve la grâce ; si bien que dans la même structure corporelle, l’homme apparaît le plus pur lorsqu’il n’a aucune conscience ou lorsqu’il a une conscience infinie, c’est-à-dire lorsqu’il est soit pantin, soit dieu.
Par conséquent, dis-je un peu distrait, nous devrions goûter de nouveau à l’arbre de la connaissance pour retomber dans l’état d’innocence ?
C’est tout à fait ça, répondit-il ; tel est bien le dernier chapitre de l’histoire du monde.

Goethe et le Faust

Le Faust et Goethe c’est tout un, qui comprend le Faust comprend Goethe. Il souffre dans les pays de langue allemande d’une réputation scolaire qui nuit à sa réception. Il n’y a pas un Faust, mais deux : le Faust I et le Faust II… sans compter le Urfaust, ou Faust primitif, qui est inspiré de Shakespeare et possède une énergie de jeune homme étonnante. Chronologiquement les choses se présentent ainsi : Urfaust vers 1775 Goethe a 25 ans, Faust I ensuite jusqu’en 1808, Faust II jusqu’à la mort du poète en 1832… C’est l’œuvre de toute une vie. Le lire dans la traduction de Nerval (au moins le Faust I) c’est donner toutes ses chances de comprendre le projet fabuleux de cette œuvre protéiforme. Eckermann (le familier du poète) raconte que Goethe travaillait encore dans ses derniers jours à en écrire les fabuleux derniers vers. C’est là où l’on trouve la très belle formule souvent mal comprise :

« L’éternel féminin nous attire vers le haut » (vers 12110 et 12111 ; ils terminent le Faust II).

La traduction du Faust par Gérard de Nerval est pour nous une chance énorme. Le poète français l’a traduit alors qu’il avait vingt ans (ce qui paraît assez incroyable) et le vieux Goethe lui-même confiait plaisamment à Eckermann qu’il préférait lire la version française de Nerval plutôt que la sienne propre (cas unique dans la littérature). Berlioz et Gounod ont élaboré le livret de leurs œuvres sur le Faust I à partir de la version Nerval.

Le Faust est une pièce de théâtre écrite en vers pour la plupart des scènes ; elle demeure de l’avis de tous les metteurs en scène à peu près injouable.

Le Faust I peut se résumer en une formule simple : c’est la tragédie de Marguerite. En réalité, c’est l’histoire du Urfaust, Faust primitif. L’idée du Faust est venu à Goethe à partir de la pièce de Marlowe, mais il a croisé la figure trouble de cet alchimiste avant, étant lui-même un passionné des recherches alchimiques (et chimiques). Le Faust « réel » est un alchimiste du moyen âge qui a recherché le rajeunissement en signant un pacte avec le diable selon la légende (conte populaire allemand). C’est ce que l’on va voir à l’œuvre plus ou moins dans le Faust I.

Au préalable ceci qui paraît capital : Goethe a passé plus de temps – c’est lui qui le dit – à étudier les sciences qu’à lire ou à étudier la littérature. Son esprit encyclopédique a suscité chez ses commentateurs l’idée que Goethe était un homme plus proche des esprits universels de la fin du moyen âge (Paracelse) que des penseurs de son temps. Mais dire cela est déjà réduire sa portée ; Goethe est au courant de tout, il est parfaitement informé de tout. Il a par exemple inventé-découvert un os de la mâchoire inférieure vers 1780 qui porte son nom (aujourd’hui oublié) et qui devait être le chainon manquant entre l’animal et l’homme. Mais il a également étudié les nuages, la gravitation, la météorologie (voir ma traduction du texte de Goethe sur la météorologie, paru dans la NRF), il a été un spécialiste très recherché de l’évolution avec Lamarck (Il défend contre Cuvier les théories de Geoffroy de St Hilaire), il était un géologue passionné, un collectionneur de pièces antiques, de bustes, de statuettes… on n’en finirait pas de décrire le monde de Goethe. Jusqu’à quarante ans il a hésité entre la peinture et la littérature. Il a écrit une théorie des couleurs que Schopenhauer, un parent éloigné, défend encore dans ses dernières années. Sa théorie des couleurs jamais reconnue – une vraie vexation publique – l’a fait souffrir bien davantage que le mauvais accueil parfois de ses pièces ou de certains recueils ou romans.

Cet homme, véritable encyclopédie vivante, ramène forcément à la figure de Faust. Au début du Faust I, le héros il veut se suicider (très beau monologue) ; il a tout étudié et il éprouve le savoir comme superflu ; grave dépression qui motive chez le vieil homme (il renonce au suicide car c’est le jour de Pâques) l’idée d’un pacte avec Méphistophélès, nom du diable de la légende. Il est rajeuni par Méphisto puis fait un pacte qui va courir jusqu’à la toute fin du Faust II… Voici quel est le contenu du pacte : lorsque Faust dira qu’il a connu un moment merveilleux le diable pourra l’emporter aux enfers. La formule est : « Arrête-toi, instant, tu es si beau ! » Si Faust dit cela, il est damné. Il  va chercher le bonheur de toutes les manières. Mais d’abord dans l’amour évidemment ; il rencontre Marguerite, la séduit, elle tombe enceinte, elle tue son enfant ; elle est condamnée à mort (c’était le sort réservé aux femmes qui tuaient leurs nouveaux nés). A la fin du Faust I, il tente de revoir Marguerite en prison à l’aide de la magie de Méphisto mais elle le chasse. Elle est devenue folle de désespoir et Faust doit renoncer à la sauver. Toutes ces actions sont entremêlées d’autres scènes qui donnent une vaste profondeur à la tragédie : scène du pacte évidemment, scène où Faust lit la Bible et change le texte : « Au début était l’action », scène de la taverne etc.

On a même au tout début une scène entre Dieu et Méphisto où des paroles précieuses sont prononcées qui élargissent le propos ; il est question de Faust, et Dieu indique au diable qu’il peut bien tenter de séduire Faust, il n’y parviendra pas et devra reconnaître à la fin qu’il est perdant. Méphisto accepte le pari. Dieu dit : « un homme dans ses plus sombres aspirations est toujours conscient du droit chemin ». C’est à l’occasion de cette confrontation qu’apparaît une notion clef, le « Streben », l’aspiration à quelque chose, notion difficilement traduisible, que Goethe emprunte sans doute à Spinoza et qui est au centre de sa réflexion : il faut que l’homme ne renonce jamais. Il doit toujours « aspirer à », tendre vers quelque chose, avoir un but, un dessein ; il ne doit pas errer dans le vide et renoncer dans un à quoi bon mortifère. Même si « l’homme se trompe aussi longtemps qu’il aspire à quelque chose »(vers clef du Faust), cela n’empêche pas qu’il doit le faire ; il faut agir même si on se trompe. Et Faust va aller d’erreur en erreur mais au bout du compte, il va se sauver en trouvant le bonheur. La tragédie de Marguerite est une affreuse erreur du Faust rajeuni, puis les erreurs vont aller s’accumulant dans le Faust II : il fait fabriquer du papier monnaie à la cour du roi et provoque la banqueroute, il fait construire des digues pour gagner des terres sur la mer mais un raz de marée détruit tout, il fait apparaître Hélène de Troie, a un fils avec elle (un enfant éprouvette), mais l’enfant meurt et Hélène redisparaît etc… le Faust II est une accumulation très actuelle des malheurs causés par les hommes dans la nature, la biologie, l’économie, l’amour, l’esthétique etc… c’est très impressionnant. L’esprit faustien est là : tout ce qu’entreprend l’homme est un échec et pourtant la réussite attend l’homme sur la longue durée. La clef est ici précisément : le mal – Méphisto – est nécessaire à l’homme,  à Faust, pour qu’il agisse, c’est son aiguillon, sinon il se morfond.

La tête tourne à celui qui essaie de synthétiser ces thématiques croisées dont les relations entre l’homme et la nature forment le centre. Goethe par ailleurs  – en dehors de toutes les activités que j’ai décrites –  était le bras droit du Duc de Weimar et il a dû mettre la main à la pâte lorsqu’il s’est agi de changer l’économie du pays, d’améliorer l’arrivée d’eau de la petite ville, de construire tel bâtiment devenu indispensable etc. faits concrets qui sont ainsi évoqués dans le Faust II.

Nous n’avons pas en France l’équivalent d’un écrivain d’une pareille envergure. Il est en outre extrêmement troublant de songer que l’idéal de sérénité de Goethe, son côté jupitérien, l’homme du calme intérieur ait figuré si longtemps l’Allemagne à lui tout seul, alors que pour nous l’Allemagne fut très longtemps le pays des excès, des brutalités inexplicables, et de l’agitation. Faust représente très bien cette polarité : la forme de la pièce (mais est-ce bien une pièce ?) est d’un classicisme shakespearien affirmé, les vers sont admirables d’équilibre et la fin sereine chante littéralement la gloire des « mères » avec un ton d’évidence qui éblouit. Quant à « l’éternel féminin » qui « nous attire vers le haut » disons ceci : Goethe avait une grande méfiance envers les actions des hommes et donnait aux femmes une place première pour tout ce qui est de la vie. Grand lecteur des anciens, il devait penser comme Caton l’ancien : « Si les femmes étaient nos égales, elles nous seraient supérieures ».

Il est inépuisable. Nous le rangeons par commodité dans les romantiques mais il n’en a pas du tout les traits habituels ; il les détestait, affirmant dans ses « Conversations avec Eckermann »  qu’ils étaient des êtres fragiles et malades.

Le maire de Düsseldorf recevait un jour Cocteau et comme il évoquait Goethe, le maire confia au poète français : «  Goethe est si grand qu’on ne voit que ses pieds ».

Proust écrit (4)

[J’ai tenté de circonscrire l’écriture à partir de Proust, intrigué surtout par le lieu de cette écriture, recherche qui a produit un texte sans ponctuation véritable, car l’imagination n’a pas de point final. J’ai abouti à quelques définitions rêveries dont je ne livre ici que quelques extraits, ce sont des recherches abstraites (comme on parle de peinture abstraite) guidées par la seule imagination des mots qui s’auto engendrent et semblent ne pas trouver de repos. J’insiste sur la nature du lieu: un ruban, une bande, quelque part entre le conscient et l’inconscient et qui ne cesse de se dérouler, comme la vie au présent.]

ce ruban d’écriture peut finalement être nommé, c’est l’autre nom du présent, que fais-tu présentement, j’écris comme je respire, non pour mentir, diable non, j’écris pour divertir ma psyché qui s’en va au ruisseau, au ruban d’eau courant, charriant ses mots comme d’autres exagèrent, c’est charmant ce courant, ce français courant qui procède âpre et léger, ça racle au fond du lit, le sexe comme un x barré, qui fut autrefois multiplié, ah les enfants, les enfants, mes enfants dont je ne peux me résoudre à penser qu’ils sont mortels comme moi alors qu’ils viennent à peine d’entrer dans la loi, leurs sourires à travers mes propres guenilles, grilles, grilles, je vais revenir au ruisseau, mes amis dit la voix enfin ferme ceci est un lieu, il s’appelle le présent, mais vos tympans doivent frémir d’entendre présent puisqu’il n’est aucun présent, si je le serre comme le sable, il fuit, rire crissant, cela vit de peu le sable poigne, des millièmes de seconde que l’on froisse pour imiter le présent pour lui donner une ombre, un tas de sable à mes pieds projette une ombre, sable, sable, eau qui miroite noire sous la pression éclatante des vaguelettes argentées que le saule, triste sire, parodie en ses feuilles à jamais grises, tain du miroir, mes amis je dis comme les Grecs le proférèrent, le tain du miroir est la marque de Perséphone, pas seulement Narcisse aux yeux velours ocre, le revers du reflet est la mort, on le savait, on sait tout sur tout quand on écrit en ce lieu,

Aux origines du Petit Prince de Saint-Exupéry

Pierre Sudreau(1919-2012), ancien résistant déporté et ministre de la reconstruction du Général de Gaulle, confie à François George en 2003 ( « Sans se départir de soi » éditions Tirésias 2004) une anecdote tirée de ses années d’internat.

« … Mon père était mort(1923), ma mère travaillait, et j’ai été plusieurs années pensionnaire au lycée Hoche de Versailles.

Pendant cette période difficile ma mère m’a offert un des premiers livres de Saint-Exupéry, Vol de Nuit. Ce livre m’a enthousiasmé, alors que j’avais une douzaine d’années, et par l’intermédiaire des éditions Gallimard, je me suis permis d’adresser une lettre à Monsieur Antoine de Saint-Exupéry pour lui dire que son livre m’avait enthousiasmé, qu’il m’avait permis de m’évader, de voyager dans les étoiles et que je voulais être aviateur. Lettre d’un gosse enthousiaste. Ce qui n’était pas prévu c’est que Saint-Exupéry m’a répondu, il m’a envoyé une lettre très gentille. Depuis lors, nous ne nous sommes plus jamais quittés jusqu’à la guerre. Il venait, avec l’autorisation de ma mère, me chercher le jeudi, il m’invitait à déjeuner en me racontant des histoires,  et quel malheur, je n’ai pas gardé les nappes de papier sur lesquelles il dessinait, notamment les prémices du Petit Prince ».

En marge de ce récit Pierre Sudreau note négligemment qu’il avait durant toutes ces années l’habitude de porter une grande écharpe, dont on voudra bien admettre qu’elle était jaune.

 

L’Aisne, destin d’une rivière

Au début, l’Aisne se dirige vers le sud, mouvement naturel du nouveau-né qui tourne son visage vers la lumière. Mais plein sud, ce n’est pas raisonnable, car se laisser éblouir si jeune, c’est mourir à coup sûr. Le ruisseau ne lutte pas contre le feu et sauf le Rhône, flot délirant, tous les grands cours d’eau montent vers le nord : ils tendent les bras vers le ciel, appellent la pluie, ce signe limpide de la correspondance entre la vie des hommes et l‘existence des dieux. L’Aisne sait qu’en remontant la carte sous les nuages, tandis qu’elle décline vers la mer, sa vie est garantie par d’autres lits qui la croiseront dans l’affolement des pentes.

Elle se lance alors vers le nord avec une fougue qui laisse penser que tout est possible. Tant qu’elle n’a pas touché son havre, tant qu’elle n’est pas à la fin de sa vie, il semble difficile de dire si l’on va la nommer « rivière » ou « fleuve ». Certaines langues plus sages ou plus naïves, voulant préserver jusqu’au bout la chance d’une grande destinée, ne tiennent pas compte de cette opposition. L’Aisne peut par exemple se couler entre l’Escaut et la Meuse, il lui suffit de rêver. Elle va être le grand fleuve du nord qui caressera les glaces. Du côté de Sainte-Menehould elle se sent capable de faire lever des villes grasses et des ports élégants. Elle va porter les vins de Bourgogne au plus près des banquises scandinaves, troquer la chanson des blés contre la symphonique présence des eaux, relier les langues latines et germaniques, déjouer les frontières et dire l’évidence : tous les hommes sont embarqués sur le même fleuve du temps, il faut suivre sa pente en suscitant des prairies et en éveillant les oiseaux, saluer les hommes blonds, adoucir les sagas brutales, pour enfin relier la terre noire de France à la mer tendue des fjords.

Or, l’Aisne ne rêve pas longtemps : la terre est contre elle. La volonté ne suffit pas et puisque le calcaire accroche l’eau, l’agrippe, l’attire vers le bas, elle va devoir se résigner. En lutte contre la craie, l’eau ne peut jeter toutes ses forces dans le frayement du flot. Que faire si la glèbe colle, si le sol brûle l’aval, si la loi du pas empiète sur l’envol ? Ainsi, à peine sorti de l’enfance, le cours d’eau s’épuise sur la Champagne pouilleuse et, dès les premiers méandres, l’Aisne devine que son sort va être commun, que jamais elle n’aura le destin fabuleux des fleuves qui anoblissent les plaines.

Il y a Valmy, c’est vrai : le moulin et les hurlements, la liberté et les Prussiens dans la boue, le nouveau et l’ancien. C’est un départ dans l’enthousiasme et l’Aisne sera plus qu’un ruisseau, c’est sûr, mais la gloire d’être davantage qu’une eau sans nom, d’être déjà une cicatrice sur la carte, va se payer à coup de désastres. Ce n’est pas du flot que la célébrité va lui venir mais des morts qu’elle charrie : l’Aisne devient une vallée cent fois franchie par les hommes du froid, cent fois reprise par les Gaulois du cru et où les tueries répètent au monde le nom de la rivière féroce : « Axona !». Ce qui devait relier, ce qui allait être un mythe fécond, devient une frontière, un trait d’amertume qui perce notre mémoire. Au lieu d’être l’eau qui maintient vivace l’illusion des jours, l’Asine est submergée par le choc des corps et le grondement des canons, le ciel qui tremble avec la terre et les mots des morts que le brouillard étouffe dans le petit matin des batailles.

Il y a cependant de superbes répits : en Argonne par exemple la forêt rend à l’Aisne une vigueur médiévale sortie tout droit des chansons de geste. L’Aire, sa sœur jumelle, son affluent majeur, se mêle à la rivière encore jeune et elles s’ébattent ensemble avec une insouciance où tout est confusion, apprentissage : c’est vers Grandpré un unique allegretto où les branches alourdies de pluies et d’oiseaux s’inclinent vers les berges sauvages. C’est alors une seule rivière à mille bras qui frissonne parmi les troncs, longe les églises aux toits bleus et s’enroule autour des monts couchés derrière les maisons blanches.

En pleine joie, la rivière va subir le plus rude coup de sa petite existence. Tout se joue à Vouziers : elle éprouve au sortir de la forêt une fatigue terrible. Il y a encore des saules et des peupliers mais plus loin, à Roche, on entend soudain un enfant qui étouffe des malédictions le long de la rivière. Rimbaud et l’Aisne : à cet instant tous deux cessent de rêver. La présence des arbres amis n’y fait rien, la rivière est adulte, le poète aussi, il faut quitter l’étoile, accepter la réalité, et de même que l’Asine bifurque brutalement vers l’ouest pour rejoindre dieu sait quoi de plus fort qu’elle, de même Rimbaud écrit son dernier texte ici, las de creuser l’esprit et de rêver le sens. C’est l’automne déjà, il est tard, l’occident est là qui tire les hommes avec leurs marchandises et leurs profits, et les voilà qui s’inclinent vers le couchant.

Une fois ce cap passé, on est pour soi seul, on est mortel, c’est-à-dire que vaille que vaille il faut tenter de vivre. L’appel du grand idéal est abandonné au profit de la patience dans le désert. Pour le poète le sable de Harrar ; pour l’Aisne la craie de Rethel. C’est en bas, l’existence pas à pas, dans l’entresol presque vain des gestes de tous les jours. L’Aisne va border soigneusement son lit, oublieuse du torrent et des halliers qui palpitent derrière elle.

L’eau à Rethel est blanche comme le ciel, c’est un silence qui progresse et désormais à défaut de forêt, d’arbres à charrier, poussant vers l’ouest quelques brindilles qu’elle a glanées le long de la Promenade des Isles, elle ronge sa craie sans fin.

Au bord du Porcien elle envisage un moment de rallier l’acropole gothique de Laon. Mais le défi est trop grand et elle préfère glisser doucement vers Soissons et saluer au passage la coupole baroque d’Asfeld, souvenir en pleine brume d’une Italie de rêve.

Le passage d’un département à l’autre est spectaculaire. La terre, brutalement, vire au noir, les routes secondaires se défont de la boue blanche et retrouvent le bleu originel du goudron frais. En échange de son nom, l’Aisne reçoit du nouveau département des affluents à profusion. Très vite, elle devient parmi les rus, les filets d’eau et les ruisseaux inconnus la seule référence, celle pour qui tout le monde murmure, celle vers qui se tournent tous les cours d’eau. On aperçoit la cathédrale de Soissons et comme pour consoler la rivière de sa brève existence, une seconde façade lui fait des mines : Saint-Jean-des-Vignes, si atrocement veuve de nef si effrayante dans sa vacuité, devient alors une porte superbe, un pont gothique posé en l’air, dans les vignes qui surplombent la rivière. L’Aisne est enfin grande, large et riche, noire et tranquille.

Alors commence la vie douce à Soissons dans les feuilles et les bois frémissants. L’eau est évidence, l’existence coule pour tous au rythme normal du temps humain, loin des crimes et des gares qui enflamment les ciels de nuit, là-bas, vers le sud, Paris, terrifiante capitale toute en soubresauts. L’Aisne ne verra jamais la Seine. La province a cette sauvagerie : elle évite la gueule du loup, préfère la vie apaisée avec les femmes et les fleurs, à celle des gens qui croient savoir et babillent étourdiment sur les avenues haussmanniennes. Elle s’est résignée à devenir navigable, mais c’est qu’elle se moque désormais de ce qui peut lui advenir, elle prend son plaisir où il est, et voilà tout. Chaque instant, chaque méandre compte et jusqu’à Compiègne l’impériale tout est doux, tout est beau, lierre sur pierre, ciel bleu contre nuage blanc, et les noms enguirlandent la terre : Ambleny, Fontenoy, Sainte-Claire, La Treille, Choisy…

Enfin, il faut mourir. Annoncée par Rethel la sèche, la clairière de l’armistice à Rethondes est sa ponctuation finale. C’est ici que l’ennemi signa avant d’emporter le wagon de notre gloire qu’on ne revit jamais. Rethondes, pays des paraphes, signe la fin, c’est-à-dire la paix pour cette cicatrice béante qui vit tomber les jeunes gens par milliers. On a l’impression que les existences s’achèvent toujours dans le calme des confluents où les arbres frissonnent pour presque rien. Ainsi notre noire clairière, guettant le flot, pareille au passeur des Enfers, va guider doucement la rivière vers la nuit. Rethondes est la fin de notre histoire.

Notre destinée avait pourtant de quoi plaire avec ses maisons en pierre de taille, ses arbres immenses et ses plaines arrosées. Mais voilà, l’Aisne se jette à l’eau, à moins que ce ne soit l’Oise qui se jette dans l’Aisne tant notre rivière en cet instant est énorme, attentive aux regrets qu’elle fait naître chez les promeneurs égarés au confluent. Peut-être ne meurt-elle pas vraiment. Son nom seulement s’efface lentement dans le cours de l’autre ; mais à ce moment un nom ce n’est plus rien, seul importe l’eau, la vie prolongée jusqu’à la mer, source de toutes choses.

Laon ou la cité intérieure

Ce livre est une avancée poétique qui ouvre sur un monde de pensées et de rêves à partir de l’obsédante présence des traces de la
cité du moyen âge. Il y est question des bœufs, des vitraux, de l’ombre des remparts et pourtant ce n’est pas vraiment de l’histoire,
puisque je m’efforce de pénétrer dans le pays imaginaire qui court depuis l’intérieur du monde médiéval jusqu’à nos jours, rêveries où le
passé réfléchit notre temps, explorant nos existences en un miroir d’intimité qui nous renvoie constamment à notre fragilité contemporaine.

Le chapitre IV de Laon ou la cité intérieure a été publié en 1991 par la NRF N° 465.

Les loups (sont entrés dans Paris)

Cette chanson a plus de cinquante ans (1967). Son souvenir encore vif vaut la peine qu’on s’y attarde. Bien sûr c’est une figuration de l’invasion de la France en 1940, traumatisme majeur ; on oublie souvent que le baby boom se produit après la guerre la plus sanglante de l’histoire et que forcément, vingt ans après, l’inconscient des petits qui n’ont pas connu la guerre est hanté par les bombardements et l’occupation ; la chanson résonne alors jusqu’au tréfonds de ces enfants hallucinés par les récits tragiques de leurs parents, d’où le succès inaltérable et ambigu de ce tube enflammé. C’est l’effroi rétrospectif qui effectue son remuement radical.

L’auteur de la chanson, Albert Vidalie, est né en 1913 et la Germanie est directement évoquée. Cela dit, la géographie suggérée- les loups entrent par le sud de Paris – semble discutable. Mais Issy et Ivry sont faciles à retenir ; ces jumeaux restent en mémoire, ils affirment l’ « ici » de la figuration allégorique. C’est que dans une chanson tout est son.  On entend de même les loups hurler rien qu’à l’évocation de leur nom et Serge Reggiani en joue parfaitement. Il en va ainsi de l’Est qui envahit (« Krivoï », Croatie, Germanie) c’est l’hiver, le froid, la neige et on peut ressasser à loisir les envahissements successifs de notre pays : les Russes en 1815, les prussiens en 1870, puis la grande guerre, le nord de la France occupé par les Prussiens, puis l’occupation de 1940 ; toutes ces dates jouent leur jeu mémoriel.  Plus généralement, dans notre histoire française, l’invasion fait référence à l’arrivée des barbares par l’est et le nord, souvenirs qui s’égarent dans la suite des siècles passés (goths, vikings, nordmen).

La fable se termine par « l’amour et la fraternité » ; les loups : « ce mal qui répand la terreur », a-t-on envie de dire avec La Fontaine, ces loups de 1967 donc, ne sont rien d’autre qu’une plaie envoyée par une force supérieure pour punir les parisiens de leur individualisme égoïste(« Leur mère, leurs frangins, leur nana/ Pour eux c’était qu’du cinéma ») et pour faire pièce à la construction rapide d’immeubles grotesques (« Le béton bouffait l’paysage »). On entend la dépression de l’époque. Comme Vidalie est un proche d’Antoine Blondin (« Monsieur Jadis » évoque Albert Vidalie), on peut penser que l’auteur songeait à une mythologie anticommuniste (les Loups viennent de l’est et du froid). Mais les loups, finalement, sont facteurs de solidarité, leur invasion est bénéfique.

Elvire est une belle invention : elle est la rime à sourire ou à rire, donc le contraire des loups. Les loups terrifient et Elvire appelle la joie de vivre. C’est ça une chanson, ce sont des sons d’abord. De même Krivoï est une évocation par le son de toute la Russie (communiste bien sûr), le « mâle de Krivoï » étant presque une caricature du léniniste avec ses femmes, ses centaines d’enfants etc… folie du texte à images à partir de syllabes chantées (clichés aussi, mais parfaitement nécessaires dans le cadre d’une chanson). Vidalie mobilise sa culture et utilise toutes les ficelles pour faire marcher sa fiction glacée, poignante et (il faut bien le dire) follement paranoïaque.

Je me souviens qu’en 1967 on a senti une rupture de civilisation avec ruée sur les marchandises, multiplication des supermarchés, inondation de la publicité, poussée d’une jeunesse éberluée ;  Vidalie prétend  a posteriori qu’il avait « prévu » 68 dans cette chanson … c’est un propos d’homme de droite épouvanté par la révolte des jeunes. Gageons que ces jeunes loups ont provoqué en lui un effroi semblable à celui des loups de sa chanson écrite l’année précédente …

La musique enflamme tout par son rythme de marche irrésistible faisant de l’ensemble un petit chef d’œuvre qui racle dans la neige ; on imagine difficilement un autre chanteur que le dépressif Reggiani, formidable représentant du prophète de malheur de l’Ancien Testament avec sa voix au vibrato très appuyé, voile de crêpe pour temps de deuil.

Les loups sont le mythe récurrent de notre occident qui n’est devenu un territoire vivable qu’à partir du moment où les loups ont été chassés de nos villages. De très nombreux lieux évoquent dans leurs noms le souvenir des loups qui en effet durent terrifier les habitants de nos contrées. On peut imaginer que cette chanson si particulière doit également son succès à ce souvenir qui hante encore nos nuits (le Chaperon rouge) ; tout bien considéré, les enfants ne cesseront jamais de jouer au loup pour se faire peur.

Une chanson cela se chante puis s’envole dans l’oubli. La mode y fait son travail de deuil. Mais cette chanson-là, elle, demeure inoubliable, preuve que ces loups, s’ils ne sont pas vraiment entrés dans Paris, sont à jamais entrés dans notre mémoire.

Cette chanson, en 2018, redevient d’une actualité étonnante, mais ceci est une autre histoire.

Proust écrit (3)

quant à en savoir davantage sur cet homme sans opinion qui se targue d’être moi autant essayer d’arrêter la rivière, flot finalement sans rive, être tout compte fait sans nom réel sauf pour les autres il faut bien donner sa part aux lions du collectif mais là dans cet entre-deux au beau milieu et sans ponctuation, au temps de la détresse et dans l’intimité du moi je me laisse dissoudre je ne suis plus que toi et nous et Proust et Claude Simon et il faudra bien dire ce qu’il en est de notre présence en ce lieu, ce qui palpite palpite printemps deux mille dix-huit j’aimerais bien dire ce lieu, et bien sûr ce temps, mais c’est déjà moins intéressant, oui dire le lieu d’écrire au lieu de m’acharner sur moi sur cette chair de moi, le corps bien réel, c’est lui le lieu cependant, ce pendant qui semble bien moi et redit ma présence au milieu des ouailles du grand market, achète dit la violence amusicale qui nous entoure de cette vaste prose, de cette vaste prose éprise de soi, et de soi uniquement et je vais courant d’un étal à l’autre dès l’aube éperdu athée voici venir les temps des ciels d’ici-bas toujours brouillés, grande mélasse, voilà le lieu, voilà ce qui se passe derrière, le décor des vacations et tu voudrais que je sois moi mais je ne peux et que les choses soient claires mais je ne peux, j’entends bien la variété féroce du plus offrant par le meilleur vendeur ce Méphisto de luxe qui braille là devant sur les formes anciennes, voilà j’ai tout dit du temps, enfin je crois, je n’y reviendrai pas, c’est le lieu qui m’intrigue, le lieu, j’ai à peine commencé d’en parler, j’ai mis Proust écrit, il me fallait bien un appui, je n’allais quand même pas aller chercher le passé simple des récits paraphés paragraphés avec ce style bien connu des zola énervés par les fameux trop fameux problèmes dits de société qui oublient l’insistante présence affrontée à la pluie, à la dépression veux-je dire, du moi pour moi, problèmes qui délavent la crudité de la surexposition au temps d’ici et maintenant, qui eux n’ont rien à voir avec les hiérarchies d’antan et tendent leur mufle, ces temps, ce temps vers un avant sans fard sans avant, avec pour seul moteur ce que tu sais, i.e.rien, enfin si, trop de choses, l’amertume de celui qui ne sait répondre à la question du qui va là, car le moi je l’ai dit est au feu de la comète présente un souffle petit, certes insistant, mais si petit qu’il vole en étincelles dans un espace sans confins toutes directions, pépites folles, allons allons, je ne suis pas venu pour rassurer, et si j’écris Proust en bandoulière c’est pour oublier ma lenteur et la vive allure du plancher des vaches où je croyais être accroché si bien que je dirai sans cesse le pourquoi du comment du fleuve où j’essaie d’être, courant courant encore au ras du sol qui n’est que vague,

Kafka et la loi (Devant la loi)

L’homme de la campagne dont il est question (der Mann vom Lande) est un peu nous, tout un chacun. Les sociologues diront qu’à l’époque de l’écriture de cet apologue (1914), les hommes de la campagne parviennent aux portes des villes. Avant 1914, 80% étaient des gens de la campagne. Le ravage de 14-18 n’est peut-être que cette histoire des êtres qui apprennent la loi par la baïonnette, dans des tranchées sinueuses.

Pour le reste on voit que l’homme de la campagne ATTEND. (On n’est pas loin de Beckett…) Tous les héros antérieurs de toutes les fictions possibles et imaginables faisaient exactement le contraire : ils agissaient. Ce héros attend. C’est donc à peine un acteur, il n’agit pas. Je suis sûr qu’il a peur. On le serait à moins ; lui qui a toujours vécu au village, connaissant tout le monde, vivait sans se poser de question, tout était évident et là tout soudain on lui dit qu’il doit entrer dans la loi. Cette aventure a été vécue à la rupture du XXème siècle et ne cesse de nous hanter. Faut-il entrer dans la loi : avoir un métier une famille ou vaut-il mieux attendre devant la porte ? Il est évident que notre héros si peu héros est l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire. On entre dans la vie, dans la loi des autres et on ne se pose pas de questions : on entre dans la loi sans réfléchir longtemps, lorsqu’on est jeune et que – comme on dit – le monde n’attend que cela, que tu t’intègres, que tu marches avec les autres, que tu te fasses reconnaître.

Kafka docteur en droit s’occupait des accidents du travail (de 1908 à 1918 à peu près), il en a vu des mutilés de la vie, il en a vu des misères, il en a rencontré des pauvres ! Il connaît par cœur les problèmes de droit, de loi, mesure constamment la distance entre la vie et la loi. (Le nul n’est censé ignorer la loi qui est un commandement impossible.)

Mais c’est aussi l’homme du doute. Il n’ose pas parce qu’il est par exemple un artiste, un homme qui mesure toute la difficulté d’écrire ; car écrire c’est lutter contre des fantômes, affronter la loi commune qui considère que l’art n’est rien au regard de la vie. Alors que pour Kafka tout est littérature ; il dit : « Je ne suis et ne veux être que littérature ». Balzac avait écrit sur la canne de Rastignac « Je brise tous les obstacles » ; Kafka en référence à ce trait dit lui : « Tous les obstacles me brisent ». Il voudrait bien épouser une femme avoir des petits mais il voit bien que la loi l’en empêche, le chemin est barré. Entre sa chambre et la porte de l’appartement où il a vécu jusqu’à trente ans, il y avait la chambre de ses parents…

La thématique est autre encore : l’homme qui naît doit s’adapter à la loi et non fabriquer son petit monde de manies et d’obsessions. Il est requis par la loi au concours de la vie commune. Et il doit se justifier d’être un de ses membres: identité, métier etc. Notre homme de la campagne ne peut pas, ne sait pas ; il n’a pas le code. Le père de Franz Kafka était un commerçant énorme bruyant coléreux mal élevé. Il était dans la loi, il ETAIT LA LOI. La loi du père. Le fils subit cette loi, dans un milieu juif, on imagine la difficulté ; ce texte décrit aussi le statut des juifs dans nos sociétés, évidemment. Le juif est hors la loi. Le père cité plus haut fait tout (au grand scandale de son fils !!) pour être intégré et ne plus avoir affaire avec le monde juif dont il vient.

Je dois mentionner à propos de ce texte un phénomène troublant. Kafka qui n’aimait pas vraiment ses textes et avait demandé que l’on brûle tout ce qu’il avait écrit, a fait paraître ce texte avec d’autres dans son recueil de nouvelles intitulé : « Le verdict ». C’est le seul recueil dont il ait été assez content et surtout lorsqu’il parlait de ce texte « devant la loi » les témoignages concordent pour dire combien il était heureux de l’avoir écrit. Il savait qu’il avait écrit un chef d’œuvre. on sent bien la chose, cet humour étrange, cette distance, cette élégance grave et rieuse, cette manière très concrète d’écrire sur un sujet tout compte fait métaphysique, mais non philosophique, comme un texte rêvé, sorte de fausse légende talmudique, parodie de conte, INEPUISABLE. On dirait un texte religieux pour non croyants !

Kafka aimait tant ce texte qu’il l’a intégré au « Procès » dans le chapitre intitulé : « Dans la cathédrale ». Il en propose même une interprétation qui est intéressante mais c’est une vision énoncée par un prêtre, par un personnage et elle ne peut être rabattue mécaniquement sur la vision de Kafka. Au fil des jours, des décennies, des années, ce texte a pour moi pris les nuances de mes environnements successifs, ne perdant jamais cette part de mystère que l’on retrouve chez les peintres comme Vermeer ou les musiciens comme Chopin. Ce sont des interrogations splendides, des discours bien plutôt qui nous entourent comme des rayons éclairant chaque jour, des chants qui nous environnent comme des tourbillons de rêve à côté du temps et en son cœur pourtant.