fièvres 27 cathédrale VI (mars avril mai 2020)

27

cathédrale VI

je songe aux diamants d’autrefois
tout le monde en avait un chez soi
ainsi nommait-on le saphir
qu’on déposait sur le microsillon
la musique rivière coulait au salon
et par respect pour le précieux je n’écoutais
que des musiciens morts nostalgie oblige
ainsi ai-je appris à lever les yeux au ciel
car la rue bruissait de rythmes inaudibles
j’ai dormi hors des lits du tout venant
mes rêves étaient de pianos de quatuors
adolescent d’autrefois
surnourri de lubies musicales
et lorsque j’ai découvert la cathédrale
j’ai su enfin que la musique pouvait s’incarner
en évidence
les tours étaient des diamants
et la nef devenait résonateur du passé
il me suffit aujourd’hui de deux pas
et tout revient comme au Rechercheur
dans la cour de Guermantes
la cathédrale chante comme moi
elle aussi ressuscite le passé
chaque son de mon pas trouve son écho
les tours endiamantées mordent l’azur
accrochent les nuages (ces poussières)
et ne cessent jamais leur grandiose requiem
les passés s’entassent
les présents s’exaltent
et les futurs bravent solidement les nues
pierres précieuses inaltérables

Deux auteurs de: ” le chemin” (Editions Lumpen; Colligis 02):
Raymond Prunier et Elisabeth Dtn

fièvres 26 cathédrale V (mars avril mai 2020)

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cathédrale V

les pierres empilées
foncent vers le plus chaud
on peut dire dieu si l’on veut
toute parole est bonne si elle rassure
et la cathédrale est du feu pour le fragile
le petit homme invente des flèches
tours nefs sourires bœufs maternants
il lui faut des rouges lances aiguisées
obliques et loyales
qui nous font un seul chant
tandis que les ombres simulent la sûreté
je voudrais tant que l’on revienne
en cathédrale où tout se tient
les vivants seraient liés par le bonheur
comme les vers d’une élégie
où les mots s’entremêlent longtemps en mémoire
de manière à faire des miracles
une cathédrale de feu bien sûr
l’ardeur fiévreuse des bâtisseurs
je l’entends je l’entends
et mes mains les mêmes mains
s’essaient à l’hommage chanté
pour se rassurer des poisons du printemps
je vois bien que les flammèches
minaudent au regard des couchants
qui faisaient les rosaces
la gigantesque maison verticale où méditer
sidère toujours les vivants
mais ce sont les géants qui hélas font défaut
au pied du parvis stupéfiant
où les regrets empressés
s’effilochent en tourisme rapide

Deux auteurs de: ” le chemin” (Editions Lumpen; Colligis 02):
Raymond Prunier et Elisabeth Dtn

fièvres 25 éternel (mars avril mai 2020)

25

éternel

annoncées par les cloches d’avril
les petites blanches de mai au parfum doux
alimentent ma soif
même si en cette saison grave
toute fragrance est catastrophe
hormis justement celle du muguet
après Pâques les mois s’effacent
lumières crues aux aubes forcément neuves
l’avancée se fait dévoration
par le sourire
futur des aubépines à nos pieds
notre joie est enfin nature
pétales et pépiements s’élèvent sous les pas
il suffit de prendre
la main la fleur le fruit bientôt le baiser
tout est disposé sur l’étal du temps
les harengères baissent les cordes d’un ton
le marchand indulgent ouvre ses réserves
l’océan lui-même dispense ses crustacés
le glacé des eaux s’échangeant au feu du ciel
on s’en vient croquer tranquille les crabes fins
les orteils voient leurs traces s’effacer
très mollement au sable de juillet
j’aimerais tant que la trace d’été demeure
c’est là où je souris au plus juste
sur les miroirs des aubes
et je suis si reconnaissant d’être éternel
au moins quelques jours
bleu doux vibrant de l’intérieur
dilettante avisé
des mots noirs et des rouges passions

Deux auteurs de: ” le chemin” (Editions Lumpen; Colligis 02):
Raymond Prunier et Elisabeth Dtn

fièvres 24 rencontre (mars avril mai 2020)

25 

éternel

annoncées par les cloches d’avril 

les petites blanches de mai au parfum doux

alimentent ma soif 

même si en cette saison grave 

toute fragrance est catastrophe 

hormis justement celle du muguet 

après Pâques les mois s’effacent 

lumières crues aux aubes forcément neuves 

l’avancée se fait dévoration 

par le sourire 

futur des aubépines à nos pieds 

notre joie est enfin nature 

pétales et pépiements s’élèvent sous les pas 

il suffit de prendre 

la main la fleur le fruit bientôt le baiser 

tout est disposé sur l’étal du temps 

les harengères baissent les cordes d’un ton 

le marchand indulgent ouvre ses réserves

l’océan lui-même dispense ses crustacés

le glacé des eaux s’échangeant au feu du ciel 

on s’en vient croquer tranquille les crabes fins 

les orteils voient leurs traces s’effacer 

très mollement au sable de juillet 

j’aimerais tant que la trace d’été demeure 

c’est là où je souris au plus juste 

sur les miroirs des aubes 

et je suis si reconnaissant d’être éternel 

au moins quelques jours 

bleu doux vibrant de l’intérieur 

dilettante avisé 

des mots noirs et des rouges passions 

fièvres 23 flot (mars avril mai 2020)

23

flot

laissant la barque d’épidémie

à l’attache derrière moi

où de sa pointe elle désigne l’aval

de sa féroce insistance coutumière

je m’engage sur la berge vers l’amont

mes pas sont si prudents que les semelles

semblent-ils craquent et gémissent un peu 

je furète de mes yeux éperdus 

j’entends des cris 

il s’est passé quelque chose

les éclats des eaux mille feuilles de lumière

crépitent sur le lit tortueux

antique silencieux 

rien ne résiste au courant chante le flot

mon pas dit le contraire songé-je

et je rêve cet avril poison 

je veux revoir tranquille 

la série éphémère des cytises et des lilas

le présent me console tant et l’autrefois un peu 

la rivière peut bien emboucher le deuil final 

mes pas eux papillons incontrôlés

remontent et se posent 

en ce silence mérité 

page blanche très présente 

sur laquelle je demeure sans souci 

souriant d’activités

candide je choisis l’aube

je n’oublie pas la barque du couchant 

mais elle ignore que les naïfs sont braves

et que les poèmes s’écrivent contre elle 

en dépit des poisons

fièvres 22 la grâce (mars avril 2020)

la grâce

un jour que j’allais – guide oblige – 

sur les ruines d’un prétendu château

à l’aplomb discutable

j’entendis une jeune voix me héler

sous les frondaisons attenantes 

je lui fis comprendre que la saison 

l’épidémie mon âge et le sien 

rien ne pouvait aider au dialogue 

je fus charmé de son rire d’argent 

elle prétendit qu’elle errait 

dans l’ennui du confinement

et qu’un grand-père (moi) faisait l’affaire 

pour partager la pomme que j’avais en main 

j’en mordis une moitié lui tendis l’autre

elle refusa de loin en riant 

une blague dit-elle 

émouvant château dis-je 

vous n’y êtes pas du tout reprit-elle 

et me désigna des deux bras 

une trouée entre un tremble et un chêne 

je m’avançai 

un point posé sur l’horizon 

elle tendit son doigt

tenez fixez ce point avec vos jumelles 

ce que je vis était la plus belle chose du monde 

briques et meulières mêlées

cernées de cytises et de lilas 

toit gris miroitant soleil noir

château de l’éternel printemps 

il souriait très loin encadré de ses deux tours 

c’est le château de la grâce dit-elle ne le lâchez pas 

j’écartai un moment les jumelles 

elle avait disparu 

en les réajustant

je vis que le château lui aussi 

s’était évaporé

fièvres 21 maisons (mars avril 2020)

maisons

21

maisons 

je me souviens du jasmin délicat

qui croissait tranquille en ce mai d’élégance lointaine

contre le crépi ocre jaune 

nous obéissions au gravier du ruisseau 

qui mordait sous nos pas

l’hôte avait laissé la clef sur la porte

et le chemin mon dieu ce chemin

qui menait à la vie hélas quotidienne

il avait fallu songer au présent 

laisser au porche rouge de fleurs  les rêves

organiser penser futur entrer sortir

j’ai encore à l’oreille les grincements

des gonds de la serrure et des corps

les graviers basse continue du temps 

au fait où crissaient-ils

maisons saisons ont été traversées

de mes mots de mes pas de mes mains

parfois les persiennes paupières battaient 

soir et matin

le monde était loin nous étions protégés

et du fond du salon je rêvai mille autres vies

désormais l’épidémie s’enflamme 

d’ennemis invisibles 

alors je chante à tue-tête entre les murs 

j’oublie la vilaine folie d’avril 

j’attends le joli mai qui souffle au seuil 

le priant de faire mourir les poisons de l’air 

j’attends aussi qu’il me laisse

– c’est beaucoup demander – 

respirer le parfum du jasmin 

qui va s’élever sur l’échine du mur 

ami gorgé de mon passé 

invisible et suffocant de finesse

fièvres 20 fenêtre (mars avril 2020)

fenêtres

20

fenêtre

au delà de ma fenêtre aux rideaux rouges 

il y a le monde

empoisonné d’avril 

j’aime avec tes joues toucher le lila sombre

mais les chemins qui vont au bois 

le mal les rend affreusement barrés 

notre futur fuit par tous les jours tassés 

tes yeux m’échappent ma vie aussi 

je respire mal serrant le tissu écarlate 

je m’absente des jardins des toits des rires 

guettant les signes purs de la belle saison 

ma peur s’effiloche lentement 

j’entends la brise frissonner au peuplier 

ce sont les vagues de toujours 

qui calment le feu du temps   

une autre vie s’en vient 

elle s’avance sur des pas d’oiseaux

qui sautent sans bruit sur les branches 

là où les jeunes troënes s’interpénètrent 

éclairant l’intérieur des brindilles anciennes

ça pépie comme un cri le monde s’anime 

les envols s’éparpillent insoucieux

de nos misères provisoires 

je me tends pour les appeler

il me vient que je pourrais chanter 

tout pousse à la chansonnette murmure

par devers soi enrichie du léger 

de l’éther encombré 

et des siestes jolies où l’on rêva 

d’un monde meilleur un peu 

à l’instant où je ressaisis le rouge

le battant de la fenêtre

bascule miroir 

un visage me surprend suspendu 

il sourit

fièvres 19 cathédrale IV(mars avril 2020)

cathédrale IV

habitués de nos pays aux cieux crèmes

les croisés virent là-bas tout autre chose 

une lumière écrasante mille nuances 

à cause du désert des éblouissements 

qu’ils prirent pour une révélation 

le dieu ne pouvait être que lumière 

ainsi les vitraux ces micas du levant 

mirages fabuleux 

après mille et un jours au bord de la bleue 

ces expérimentés imposèrent les chatoiements 

et ce sont eux qu’on lit au pavement 

quand l’aube consent à naître hors nuages 

miracle des vitraux purs doublement orientés 

par l’est et le souvenir du tombeau de dieu  

et c’est Jérusalem qui éclate sur la pierre calcaire 

bonjour dieu autrement dit la nature 

et notre présence parmi les fleurs 

en plein printemps amie donne-moi la main 

la peine de vivre au poison de la saison

mars avril mai ensoleillés et pourtant tout couverts  

du deuil de la respiration 

sommes-nous trop nombreux

oh la vie la vie la vie 

quand pourrai-je librement cueillir 

bleuet muguet coquelicot 

une vilaine occupation virale attristant nos pas 

les vitraux pénétrés de nos rêves

donnent à notre présence une autre grandeur 

ma mie ma main ma peur murmurée 

se soigne aux accents des diaprures 

projetées au fond de cathédrale 

là où personne ne va plus 

chevet qui attend un signe depuis deux mille ans 

et que les poètes se transmettent de génération en génération 

fièvres 18 cathédrale III(mars avril 2020)

cathédrale III

ses formes géantes me dépassent

elle me rassure 

l’ombre d’aube

le porche rose du soir aux yeux cernés

sont à l’image des êtres majeurs qui m’engendrèrent 

je revois au parvis mon enfance petite

je trébuche aux pavés comme l’enfant qui s’essaie

l’émotion est aux hésitations que je reconnais

tel fut mon pas un jour

la pierre rugueuse est un peu leur peau d’adultes

contre laquelle j’eusse aimé parfois donner du poing 

mais qui fut tendresse sans doute et force

et reçut mes chagrins

cette sécurité qui me retint au bord du vide

à laquelle je m’accrochai

sur le balcon des bras là haut le promenoir

ce qu’on appelle la foi est tellement touchant 

l’enfant au parvis et la pitié de soi balbutiant des ave

ce vaste édifice me toise comme ils le firent 

aujourd’hui c’est lui qui me prie

il me demande d’être adulte

il me supplie de loin je l’entends

les neufs cents ans ce sont mes six décennies et plus

le passé de la cathédrale et mon passé c’est tout un 

le chant des tours c’est babel

c’est le rose des humeurs et des langues

les mille voix des vies croisées 

qui m’édifièrent 

vont comme vagues à travers la plaine

l’océan du temps j’en suis le maître

voilà ce que dit l’édifice

et les fameux boeufs mon dieu 

mais c’est pour me dire le travail

que vivre est une tâche

aussi dure aussi gracieuse que la pierre taillée

qui se dresse sous mes yeux jusqu’au vertige

fièvres 17 jardin (mars avril 2020)

jardin

jadis empli des aigus cabriolés des enfants

le jardin resplendit ce jour pour presque rien 

il ne se ressemble plus 

il a cette grâce un peu des anciennes gloires 

je cultive la prestance de ses arbustes 

qui cachèrent des visages malicieux 

mais les roses à foison disent les murs sans échos 

me reste cette brise un peu fraîche 

flot continu de consolation nord ouest

rappelant joies et peines du jour le jour 

c’était au temps où l’on naviguait à vue 

je crois que le silence épidémique qui m’y enferme 

lui donne des allures de royaume des ombres

il me leste la joie de vivre 

regrets souriants

tous les verts se rassemblent à la fenêtre 

où j’attends dans le silence le retour des échos du monde

qui miment si parfaitement

les diastoles systoles de mon corps vif autrefois 

une branche m’effleure en marchant 

c’est le bras de ma fille petite 

un caillou me fait trébucher 

c’est mon bambin en peine

je me penche je ne marche pas je glisse

courbé vers les ombres

ma voix dit dans la nuit

n’aie pas peur on verra demain 

je me redresse

le rire d’un merle en noir et blanc

a la mélancolie sûre d’un tissu qu’on déchire 

des soupirs rampent sous la haie

au milieu des tulipes graves et des crocus aigus

c’est dans cet antan toujours repris

que m’arrête le roucoulement des tourterelles 

rengaine recours qui dans sa chaude lassitude 

chante le présent résonne au passé

et je gage que ces notes rouleront dans cent ans 

si bien que l’instant est l’éternité 

victoire sourde d’un velours absolu

doux accents d’un flûté préhistorique 

amené à durer ce que durera la terre

fièvres 16 cathédrale II(mars avril 2020)

cathédrale II

quand j’y pénètre 

je ne peux m’empêcher de la nommer

je dis cathédrale 

et le mot soudain à lui seul 

imite l’écho des lieux où j’avance 

il emplit la bouche

résonne au bord des lèvres 

comme si je l’avais crié dans la nef

l’édifice est à la fois

le vide du vaisseau lumière 

et le plein gris de la pierre

la parole vive et son écho noir

elle est présence aux yeux et aux tympans

elle ne cesse d’être la star de nos terres

et de sonner grave corde de violoncelle

par la plaine qui nourrit les hommes

et lorsqu’on habite à deux pas

il nous semble – éternels superstitieux – 

que la maladie et la mort

tous virus confondus

en deviendraient presque acceptables

tant elle est devenue avec les ans les décennies

à force de vibrer dans notre imaginaire 

un prolongement de notre corps friable

impavide presque ironique

elle brave orages tempêtes épidémies

à son omniprésence 

nous voici réchauffés

ivres de pouvoir respirer dans son ombre

et ce qui se transmet à travers mille ans 

c’est la folle satisfaction qu’ils eurent à l’édifier

heureuse affaire d’audacieux maçons

leur rêve réalisé est encore chaud

nous en sommes les fragiles garants 

si bien que dire cathédrale 

c’est chanter la joie d’être ici maintenant

et vivants

fièvres 15 intermède (mars avril 2020)

intermède

il fut un printemps

où après la menace du feu d’enfance

je me sentis étrangement immortel

le ciel avait viré sauvage

pur de ses présences humides

il vacillait vers les jours

que l’on veut croire infinis

c’était juin et la lumière faste

quand le chant vient aux lèvres à la demande

mes dents faisaient éclater un fruit

  • brave pomme de l’automne lointain – 

des racines aux cimes

les arbres avaient les mêmes promesses

je crus un moment que les oiseaux

m’écoutaient

et nouvel Orphée j’empruntai

aux rengaines à la mode

une jolie mélancolie fluide

qui m’emplit de frissons fous

au long du chemin qui suivait la rivière

j’appris à calquer mon pas

sur les remous du courant

qui mourait à mes pieds

je me souviens avoir pensé

que j’avais tout

j’étais l’eau le feu l’air et le temps

ébloui

je me penchai sur l’eau

un visage trouble surgit

une femme cria derrière moi

tu vas pas te jeter à l’eau 

ému j’avançai d’un pas

et j’en fus quitte pour un bain de pieds

terriblement réfrigérant

fièvres 14 cathédrale I (mars avril 2020)

14 cathédrale

 

ce rêve de pierre 

hante la contrée depuis près de mille ans 

et les vitraux – autant de prismes – 

filtrent le blanc du ciel

pour dorer le pavement de cent couleurs 

de loin face à l’horizon elle s’intercale en majesté

oblitérant en magicienne souveraine 

l’angoisse de l’infini

elle est au temps empoisonné du virus 

l’incarnation de l’élégance qui dure

mais ses découpes savantes 

éclatent aussi comme autant de signes de notre pouvoir 

chaque jour où je la salue 

il me revient que l’on doit faire confiance

aux savantes élaborations de notre esprit 

ses flèches sublimes dirigées contre les maux du ciel 

font d’elle un arbalétrier venu du fond des temps 

la lutte pour la vie la projette 

défi robuste et joyeux loin devant  

son allure de lutteuse ramassée sur ses épaules 

confirme la résolution des blouses blanches

et ouvre la lumière sur la nuit des chercheurs 

preuve par la pierre posée que ce sera possible

elle se penche au dessus du rempart

sourit sans rien dire 

comme il sied à la sagesse 

qui toujours de son sourire distancié 

nous encourage à lutter

contre nos fols errements 

fièvres 13 bras (mars avril 2020)

13

bras

chaque seconde de ce temps s’écoule à l’ombre 

des ailes d’un vaste oiseau de nuit 

qui leste nos épaules d’un poids de deuil 

certains en grimacent à jamais 

beaucoup l’éprouvent dans leur cage thoracique

fiévreuse soudain rigide

le corps refuse son office 

et l’angoisse zélée 

se rue vers la gorge et le ventre 

Mélusine habile à saisir le vif 

la peur coince les nerfs puis les pas 

les malades garrottés s’offrent 

en moulins solitaires aux moindres brises

les bras s’appellent depuis les oreillers 

au temps de la bonace 

ils enlaçaient les arbres 

caressaient les corps pour dire le désir 

rameutaient les amis aux joues rouges 

et faisaient valser les fiancés du samedi soir 

mais les bras ne sont plus que ballants 

et tournant le dos à l’impossible vie de rien 

virus oblige 

je me bricole des préoccupations graves 

que je balaie d’un revers de main

restent les coups de téléphone qui sont autant de coups 

frappés à la porte de solitude 

mon domaine est envahi de voix aimées 

qui voudraient tant franchir cet espace absurde

occupé ce jour encore par la bête à l’affût 

qui rôde alentour 

prête à me faire basculer dans l’abîme 

d’un simple coup de patte