fièvre 38 un visiteur (juin 2020)

un visiteur

j’entre dans l’ombre avec l’inconnu

je le guide sous l’arbre

il est ardent poli

avance sans bruit sur ses semelles de crêpe

je lui propose de l’eau 

sa voix chante un peu 

nous nous asseyons face à face

son front s’anime au creux des rides 

autant de sillons vécus 

sous le tilleul on entend des échos

comme une vérité voilée

il fait l’éloge de mes écrits

pour tempérer son ardeur

je lui désigne à deux pas la fontaine de bronze

elle a cent ans dis-je

le flot domine mes paroles

il n’entend pas

une brise modeste anime les feuilles 

je devrais me méfier du ton tranquille

deux colombes se posent à nos pieds

je songe au village cet après-midi de juillet

ils sont tous à la moisson

alors que le visiteur évoque mes rêves

et fait lever le coeur bruissant de mes mots

je l’interromps

mais que me voulez-vous donc

je lui confie mon souci de la récolte

un champ de blé c’est mille ans de travail 

j’évoque la mission du pain

l’eau la levure et les mains encombrées 

il se lève menaçant

me rappelle que la mort  est à ma porte

je le frappe 

avec ce qui me sert de  canne 

il fuit fantôme dans le silence de midi

je ressaisis ma branche

et m’appuie sur elle 

pour porter à boire aux moissonneurs