j’abaisse doucement les paupières
c’est un hommage
approbation en direction du chemin usé
refait à neuf par l’avril prenant
avec coucous et crissements du saule
la forêt me manque
dès que la lumière à l’excès s’affolle
j’ai besoin d’habiller l’écho des rues
et mes yeux rêvent fraîcheur
je sais bien que la reverdie s’accélère
mais l’ombre ton ombre
sur l’antique sentier où nous fûmes
droits et rapides clinquants et naïfs
ton ombre
venue de la nuit du passé
on la dirait désormais dissoute aux ramures
mangée des branches
j’essaie à défaut d’entendre encore tes pas
si légers qu’on avait murmure au coeur
et joie de vivre en bandoulière
avec mélancolie des colchiques
doigts croisés ça te dit quelque chose
les branches cognaient sous l’ouest
je me souviens des paupières abaissées
comme pour garder en mémoire
prisonnier en printemps
cet instant émeraude
où la grâce fut
Catégorie : Poèmes
le vertige
du haut de la cité
la joie rayonne jusqu’à l’horizon
les bras ballants
et l’allegro des jambes légères me surprennent
le feuillage nouveau annonce des murmures
étreintes de frondaisons serments de halliers
sous un premier soleil d’acier
aux boulevards en contre-bas on s’effleure tissus sourires
gracieusetés du salut frénésie des appels
et le caniveau et l’avenue filent
captent retiennent puis renvoient
des gris bleus pour le tapis des pas
quand la ville d’en bas déshabille sa hideur bétonnée
et fait danser ses réverbères
qui cannes à pêches nocturnes
penchent plein jour leurs chefs aux oiseaux assoiffés
je me love contre le muret dominant
il se fabule des bijoux de joie pure
horizons symphoniques de marqueterie mille couleurs
puzzle amusé pour le regard aigu
je plisse les sourcils et supplie
les lointains d’abandonner leur charme
(laissez moi respirer)
pour conserver à mon intimité
vertige de vivre
la tiédeur protectrice de mon corps exposé
la symphonie
quand les musiciens jouent
le paysage change
la porte aux mirages s’ouvre plein vent
et c’est le rêve en personne
habillé de dièses pour la dignité
et de bémols pour la mélancolie
qui me glisse sous le front
je flotte ainsi d’emblée sur la collophane étincelle
poudre du temps
l’horizon se fait chanterelle
les cordes frissonnent les anches vibrent
les embouchures s’encavernent
et la mémoire me bat
les décennies s’avouent comme elles furent
la symphonie(passé rejoué)
s’épanche vers l’avant
et dit sa fin dès le début
ouvrant les vannes de la larme joyeuse
tandis qu’elle danse verte et grave
tympanisant le cerveau
d’un philtre quintessencié
où le temps bref
s’étire au long d’immenses champs d’un bonheur inépuisable
qui donne à mon corps
une ferme illusion d’éternité
la lumière
une fois les fenêtres refleuries
je t’inviterai
la vie entrera avec toi
l’aube de mars augurera
le cortège rouge des fruits
quand les destins s’éclairent
le passé compris
le ruisseau des rayons
emportera les ombres
et cours d’école en écho
ça criera les enfances
sur les graviers d’avril
tu me tendras la main
je te tirerai au seuil
les bonjours afflueront
tu riras de me voir
de te voir dans mes yeux
une vapeur volera dans l’entrée
ta robe brûlante
celle qui dormait oubliée
se froissera sous mes mains
j’entends les fibres glisser
et ta voix et ton rire
dans les pièces rajeunies
Poème déjà paru en début d’année, il me semble que son actualité est désormais plus évidente.
l’équinoxe
reste à côté
là où personne ne te dénichera
tu pourras répéter tes chants de tourterelle
leur faire chanter le tiède
et ta douceur voulue musique medium
jouera piano
au plein centre des touches
car ce qui roucoule est rarement suraigu
aucune crise ne frôle les frissons d’avril
la peur a passé avec l’hiver
aucun effroi ne tarde aux équinoxes
juste mesure d’ombre et de lumière
pose ton temps amie
pose ton printemps et aime
l’amplitude qui va de l’aube blanche au thé sec de midi
et les langueurs des siestes caressées
et le ciel qui lèche les pieds nus
et la bouche qui dit les larges fables
justifieront notre joie étonnée
l’espace va se faire si vaste et notre temps est si court
que les splendeurs de fin mars
sembleront cent fois plus riches
c’est alors que les rares murmures d’amour
exploseront en échos mille fois répercutés
le ru
il est sous la prose des jours
un ru intarissable
où gouttes et syllabes s’agglomèrent
pour enfanter rythmes et mélodies
cela coule sur le lit de silence
perches et branches s’y échangent
farouches ombres qui accrochent
les graviers
parfois un galet
miracle de formes colorées
consent à s’extraire du flot
et pierre fondatrice
offre à ma main
une manière de chant
(vaste entité joueuse
ou grave élégie)
et c’est tout le ruisseau
qui cascade avec lui
reflets des fleurs inclus
mon amie vois notre vie
à deux pas sous les mots
elle court à nos côtés
ru d’infinie tendresse
et nos paroles coulent
au milieu de mille galets
comme autant de chants à venir
le château des ombres
une allée un peu fragile y mène
tout droit
elle se fait plus étroite
le gravier presque trop propre
glané aux rivières
et au-dessus duquel se croisèrent truites et chevesnes
a été remplacé par d’obscurs cailloux de remblai
où mes pieds appréhendent
de poser un pas puis l’autre
les chevilles grincent
je ne suis pas pressé
mais il faut avancer (loi de nature)
je hausse les épaules
et je chante la joie pour tenir l’allure obligée
j’envie les collines qui enlacent
le château des ombres
elles semblent le dominer
je rêve de leurs pentes faciles
que je dévalerais à perdre haleine
mon chant s’aggrave encore
voix blanche
elle résonne en écho
et
miroir de ma voix proche très proche désormais
la façade du château
à deux pas
renvoie fidèlement
l’éphémère mélodie de mes cordes vocales
soudain amplifiée
très grave ironie de la meulière contre le vivant
le pont
le flanc du cheval quelques fois m’effleure
au pont des décennies
je ne m’en plains pas
je songe aux amis engloutis sans appel
un souffle se suspend
pâle vibration évaporée
cet asthme fait à peine bouger ma vie
pourtant crevée par le travers
le pont grince
je fais face au miroir étoilé
qui craque dans la suite des aubes
brouillage des traits
je ne m’en plains pas
je frémis à l’intranquille des bonjours
le passé et l’avenir s’écartent devant cette pure présence
qui s’installe impavide et toujours changeante
ma voix pointe grave
elle s’enfonce au sillon quotidien
les piles du pont résistent
tourbillons de malice
il me semble qu’on joue là-bas allegro
la pavane pour un cheval noir
je ne m’en plains pas
hennissements à l’horizon
je devine au loin le sourire d’un cavalier encore patient
je sais
elle
elle remercie partout où elle passe
ses yeux brillent
ses robes dansent selon les jours
j’aime parfois les grises
tout compte fait
elle me salue toutes les aubes
son regard me demeure en mémoire
il est vert il frissonne
ses cheveux sont au vent
je ne sais dire s’ils imitent les cimes
des chênes ou des hêtres
car son rire est le même
une fois vue on ne l’oublie plus
ma mémoire dans la glace de nuit
la cultive et son visage me bouge
de partout me couvant
me bousculant aux instants
où le temps file en mélancolie
elle a beau dire qu’elle est insaisissable
il lui suffit d’apparaître
pour que le corps entier me batte
elle m’illumine de l’intérieur
je demande tout sourire aux passants
s’ils l’ont vue
mais (surtout s’il pleut)
leurs imperméables me tournent le dos
je rayonne dans le vide
à sa seule évocation
je m’étonne de sa splendeur évanescente
qui la fait si emballante
elle est folle
mais c’est elle
c’est la vie
à l’affût
les gouttes ou les mots c’est tout comme
j’essaie de m’y glisser
mais les mots commandent
et la pluie trempe ma capuche
toujours je devrai m’abandonner aux vocables
le musicien aux tonalités le peintre aux nuances
on ne peut sortir des tons ni des teintes –
et les mots rapetissent et enclosent
(les je t’aime eux-mêmes butent aux lèvres
paroles jetées qui n’existent qu’aux gestes
bras et corps donnant chair à la voix)
mais les mots comptent moins
que les vibrations du poème alentour
qui font passer le souffle
puisque la suite des mots est seule mélodique
ils s’engendrent entre eux en mille échos
qui tombent au silence
et leurs cercles croissants s’en viennent vers ma rive
où je les attends recroquevillé
le corps à l’affût
le sentier
avec ses ornières habitées
le sentier épineux
qu’on laisse derrière soi
sinue entre les décennies
on se souvient du vert temps
années graves (peu nettes finalement)
on file alors vers l’ocre
et la recontre mûre
où l’on laissa des plumes
des enfants des peurs
puis nos pas entre les arbres
clairsemés solitaires
corps déçus êtres sauvages
qu’on croise qu’on quitte
cette joie intranquille des jours
liberté du temps de béton
qu’on nomme quotidien
grevé d’habitudes
tout compte fait
il est des joies
qui peuvent sembler monotones
elles ne le sont pas
reste à vraiment les vivre
et à défaut d’amour toujours
quand le sentier se perd
prendre les raccourcis
hantés de folles écritures
les migrateurs
je chercherai en mars
un chemin mauve
qui passe par les lilas
au calvaire du carrefour
campé contre les prés
les grappes expédieront
leur présence vers le ciel
les oiseaux de passage
iront sur l’azur blanc
et leurs froissements
pages qu’on tourne
porteront leur mystère
vers le futur
l’apesanteur des cigognes
dira le suspens du temps
frémissement fécond
vers le septentrion glacé
ma voix déverrouillée
murmurera par devers soi
cet air des forêts
où les fumées finissent
le soir à bicyclette
dans la caresse de l’asphalte
je me conterai en secret
l’aventure des migrateurs
vers le futur
les pas de mars
quand le déchirement arrivera
fleurs écorces chants cris
je guetterai la sortie de ton corps
de sous les draps tièdes
l’éclat bleu du tissu fera chavirer
au plafond l’ombre légère des persiennes
mon pas te devancera en cuisine
clapotis des orteils en fièvre encore
et alors banalement feu vif
je nous frirai quatre oeufs
sur le métal obscur de la poêle
tendrement
nous irons ensuite nous dérouiller
sur la falaise drapée de craie
le pied me pèsera peu
(mars est l’augure des présences)
et mon pas et le tien
craqueront la pierre du promontoire
tu voudras ma main moi tes lèvres
alors figés dans la tièdeur du vent
passant l’index sur ton front
j’écarterai tes mèches
et souriant au secret de ton visage
j’écouterai tes pupilles
de retour d’escapade le four actif
gonflera la pâte pieusement levée
et la brioche oeil rouge
sortira du moule sous le pur couteau
j’irai droit dans l’odeur
en retrait de toi en retrait de tout
une tranche en main vers la fenêtre
non pour voir mais pour oublier
les yeux vers l’intérieur
un tourbillon vaste oreiller océanique
me sera le manège qui endort
les peurs
le lac rêvé
j’attends pied léger le retour des éclats
lumière et rires sonnettes des vélos
battement sec des shirts sous la peau ventilée
et la mémoire des amours il était une fois
mon lac est un songe pour la saison du jeune âge
quand les bourgeons bricolent et que les paumes
se cherchent dans le vide
le désir ne cesse pas et j’avance écrivant
mots et rêves se mêlent la mine s’enfonce au papier
et le pas au chemin boue et chants d’oiseaux
la joie de patauger entre deux âges
entre deux strophes quelque chose manque
des voix lointaines répercutent mon prénom
sans doute regret du lac
âgé j’entends les appels du désir demeuré désir
j’ai rêvé mille fois de marcher sur un lac argenté
ce songe a fait long feu
il aurait fallu plonger le corps entier puis nager
et j’aurais pu sentir sur ma peau la joie
de vivre et de risquer aux vagues tièdes
la mélodie du présent
la vie intérieure
longtemps attardé aux porches des églises
(ni dieu ni diable)
j’ai cultivé tendrement le souffle solide
et glacé s’abattant sur les épaules
qui donnait à mes songes
un socle tombal
et où le passé ramassé
creusait ma présence
enluminant ma joie
d’une grâce folle
il me laissait digne de mon rêve
au contraire de cet effroi nu
qui me saisit dans la galerie marchande
les soleils teignaient de mille feux
les Marie et autres idoles
fignolées du bout de doigts
parfois malhabiles
(l’adresse est affaire de décennies
or on mourait jeune en ce temps-là)
mais j’entends encore leurs chants
le rythme des ciseaux des marteaux
inconcevable force intérieure
qui les vit se contenter
de pain gris
et de piquette rosée
attentifs au calme des jours et des nuits
je m’en vais retrouver les piliers
pour éveiller la majesté absente
des mots trop rapides de notre temps
du monde gras où nous vaquons
et à la fontaine de la place
je veux me rebaigner le front
le visage et les bras
loin des tronçonneuses
perceuses ponceuses
(le présent décidément vibre trop)
je songe que nous manque le lent secret
de ce silence qui redonnerait
quelque dignité à notre nature
(cette rêverie est une manière de tombeau de Baudelaire)