Un événement poésie et traduction à Vienne

Nie so schwarze Augen gesehen
Dichter und Nachdichter
Ein ausgesprochen ungewöhnliches Zusammentreffen. Vier befreundete Dichter kommen zueinander, die zugleich ihre Nachdichter sind, und tragen ihre eigenen Gedichte sowie jeweils Übertragungen der anderen vor: Alban Nikolai Herbst (Berlin), Helmut Schulze (Amelia), Raymond Prunier (Paris) und Jordan Lee Schnee (New York). Besonders ungewöhnlich ist, daß sie sich teils gegenseitig übersetzen: Schulze Prunier ins Deutsche, Prunier Herbst ins Französische, Schulze Herbst ins Italienische und Schnee den Herbst ins US-amerikanische. So wird der Abend in vier großen Sprachen klingen. Die Lektorin und Kunstdenkerin Elvira M. Gross moderiert.

“Jamais vu des yeux si noirs”
Poètes et traducteurs
Une rencontre absolument originale. Quatre poètes se retrouvent qui se sont traduits mutuellement et qui vont réciter aux autres leurs propres textes ainsi que leurs traductions: Alban Nikolai Herbst (Berlin), Helmut Schulze (Amelia), Raymond Prunier (Paris) et Jordan Lee Schnee (New York). L’originalité de l’entreprise réside dans le fait qu’ils se traduisent les uns les autres: Schulze a traduit Prunier en allemand, Prunier a traduit Herbst en français, Schulze a traduit Herbst en italien et Schnee a traduit Herbst en anglais américain. Cette soirée retentira ainsi des échos de ces quatre langues majeures. La lectrice et spécialiste de l’art Elvira M. Gross assurera la présentation. “

Rendez-vous le jeudi 18 avril à la librairie 777 Domgasse 8 Wien à 19H
Grand événement où l’on récitera entre autres ouvrages des extraits d’un livre à paraître bientôt aux éditions Lumpen de Jean François Garcia , intitulé “Le Chemin”, poèmes de Raymond Prunier, traduits en allemand par Helmut Schulze et illustrés par E. Detton.
Ce sera comme un galop d’essai. A suivre !

le mont

le vent de l’aube souffle
mon ferme pas piège la terre
traçant au fil des piquets dansants
cette ligne de vie
qui monte avec moi
allègre respiration verticale

vers midi le mont éberlué
me laisse parvenir sur son crâne
découpes échancrées du sommet
ma vie s’affirme
naïve évidence verte
j’éprouve les nuages à mes pieds

et le mont secouant ses cimes
dérange ma digestion
un silence s’avance sérieux
l’ombre s’amorce
me devance sur la pente presque noire
je dévale souffle court

j’aimerais tout ralentir
ne me pousse pas dis-je enfin
je n’ai aucun goût pour la plaine
garde tes perspectives
retarde ma course
donne-moi le droit de respirer

le mont gronde alors dans sa massivité
secouée des vents de nuit
tu as eu tout le jour souviens-toi
tu es en bas c’est joué
à moi mes pentes offertes
à toi l’irrespirable horizontal

la truite

chaque roche se fait douce
dans la descente des années
la cascade use le tranchant du roc
auquel on se cogna
et le ruisseau en toute limpidité
caracole au vallon
proposant des abris aux truites
exposées et fragiles
j’en vois une merveille qui suit le flot
avec un naturel d’une grâce folle
elle me dit que le voyage
a des charmes fastueux
si la remontée fut triviale
(banale lutte habituelle)
la descente est désormais apaisée
musardons dit-elle
les reflets du soleil
la musique des galets
tout est beau
il n’est aucun autre présent
que ce flot impétueux
qui nous porte
laisse aller laisse aller
le fil de l’eau voilà le but

arbres roses

le vent vient à hauteur de mon souffle
mes poumons et l’ouest échangent
des courants complices
où le secret du printemps se révèle
à mon esprit précipité
tiédeur aimée
qui descend des ramures noires
magnolias
enfièvrés de fleurs
orientales improbables
ma vie rosit
je me perds au Japon
qui croule du ciel oubliant l’hiver
fleurs explosées
autant d’étoiles tendres
cueillies du regard dès l’aube
gardées au couchant
nichées partout
de place en place
ces jupons fous habillent de stupeur
mon enfance là-bas
éclaboussant d’abondance
les boulevards lourds
de véhicules affreusement prosaïques
qui vont vers des pays lointains
dont j’ignore tout

la voix

les guirlandes vert d’eau
qui s’allument en avril
partout où la sève s’en vient
allègres présences mobiles
sont autant de bonjours
auxquels manque seulement la voix
bien sûr je peux m’appuyer sur les oiseaux
c’est une voix équivalente
et le rire s’éveille aux gazouillis
mais le ciel demeure voilé
si grave soit son bleu
à travers le soupirail des branches
c’est la nuit des années
qui pèse sur ma vue
le peur il est vrai a changé de peau
le pas s’est ralenti
je trébuche ma voix se perd
l’exaltée jadis fidèle à mes voeux
se réfugie en fond de gorge
mais cette voix
apparemment si peu en accord avec avril
avec sa fierté distante
(et dont j’entends bien qu’elle s’enroue)
assure en dépit de tout
dans ces quelques lignes
la prise de risque de son murmure

les pinsons

il fait si beau
ne parle pas ne bouge pas
écoute le bruit de la terre
le vent d’ouest berce les tympans
le temps est aboli
comme si celui qu’il fait
effaçait celui qui passe
les pinsons immobilisent l’aiguille
donnant raison à l’église romane
qui depuis neufs cents ans chante ici
les oiseaux ont ce don d’éterniser
charmes suraigus
hyperactifs chansonniers entre ciel et terre
liens des deux mondes
ombre et lumière
ils maintiennent pur l’espace entre images
et présence
témoins de nos rêves hors temps
ils s’envolent au bruit de mon pas
nous sommes la menace
j’approuve leur fuite
et je m’essaie un instant à l’éternité
sans bouger sans parole
il fait si beau

l’ombre

j’abaisse doucement les paupières
c’est un hommage
approbation en direction du chemin usé
refait à neuf par l’avril prenant
avec coucous et crissements du saule
la forêt me manque
dès que la lumière à l’excès s’affolle
j’ai besoin d’habiller l’écho des rues
et mes yeux rêvent fraîcheur
je sais bien que la reverdie s’accélère
mais l’ombre ton ombre
sur l’antique sentier où nous fûmes
droits et rapides clinquants et naïfs
ton ombre
venue de la nuit du passé
on la dirait désormais dissoute aux ramures
mangée des branches
j’essaie à défaut d’entendre encore tes pas
si légers qu’on avait murmure au coeur
et joie de vivre en bandoulière
avec mélancolie des colchiques
doigts croisés ça te dit quelque chose
les branches cognaient sous l’ouest
je me souviens des paupières abaissées
comme pour garder en mémoire
prisonnier en printemps
cet instant émeraude
où la grâce fut

le vertige

du haut de la cité
la joie rayonne jusqu’à l’horizon
les bras ballants
et l’allegro des jambes légères me surprennent
le feuillage nouveau annonce des murmures
étreintes de frondaisons serments de halliers
sous un premier soleil d’acier
aux boulevards en contre-bas on s’effleure tissus sourires
gracieusetés du salut frénésie des appels
et le caniveau et l’avenue filent
captent retiennent puis renvoient
des gris bleus pour le tapis des pas
quand la ville d’en bas déshabille sa hideur bétonnée
et fait danser ses réverbères
qui cannes à pêches nocturnes
penchent plein jour leurs chefs aux oiseaux assoiffés
je me love contre le muret dominant
il se fabule des bijoux de joie pure
horizons symphoniques de marqueterie mille couleurs
puzzle amusé pour le regard aigu
je plisse les sourcils et supplie
les lointains d’abandonner leur charme
(laissez moi respirer)
pour conserver à mon intimité
vertige de vivre
la tiédeur protectrice de mon corps exposé

la symphonie

quand les musiciens jouent
le paysage change
la porte aux mirages s’ouvre plein vent
et c’est le rêve en personne
habillé de dièses pour la dignité
et de bémols pour la mélancolie
qui me glisse sous le front
je flotte ainsi d’emblée sur la collophane étincelle
poudre du temps
l’horizon se fait chanterelle
les cordes frissonnent les anches vibrent
les embouchures s’encavernent
et la mémoire me bat
les décennies s’avouent comme elles furent
la symphonie(passé rejoué)
s’épanche vers l’avant
et dit sa fin dès le début
ouvrant les vannes de la larme joyeuse
tandis qu’elle danse verte et grave
tympanisant le cerveau
d’un philtre quintessencié
où le temps bref
s’étire au long d’immenses champs d’un bonheur inépuisable
qui donne à mon corps
une ferme illusion d’éternité

la lumière

une fois les fenêtres refleuries
je t’inviterai
la vie entrera avec toi
l’aube de mars augurera
le cortège rouge des fruits
quand les destins s’éclairent
le passé compris
le ruisseau des rayons
emportera les ombres
et cours d’école en écho
ça criera les enfances
sur les graviers d’avril

tu me tendras la main
je te tirerai au seuil
les bonjours afflueront
tu riras de me voir
de te voir dans mes yeux
une vapeur volera dans l’entrée
ta robe brûlante
celle qui dormait oubliée
se froissera sous mes mains
j’entends les fibres glisser
et ta voix et ton rire
dans les pièces rajeunies

Poème déjà paru en début d’année, il me semble que son actualité est désormais plus évidente.

l’équinoxe

reste à côté
là où personne ne te dénichera
tu pourras répéter tes chants de tourterelle
leur faire chanter le tiède
et ta douceur voulue musique medium
jouera piano
au plein centre des touches
car ce qui roucoule est rarement suraigu
aucune crise ne frôle les frissons d’avril
la peur a passé avec l’hiver
aucun effroi ne tarde aux équinoxes
juste mesure d’ombre et de lumière
pose ton temps amie
pose ton printemps et aime
l’amplitude qui va de l’aube blanche au thé sec de midi
et les langueurs des siestes caressées
et le ciel qui lèche les pieds nus
et la bouche qui dit les larges fables
justifieront notre joie étonnée
l’espace va se faire si vaste et notre temps est si court
que les splendeurs de fin mars
sembleront cent fois plus riches

c’est alors que les rares murmures d’amour
exploseront en échos mille fois répercutés

le ru

il est sous la prose des jours
un ru intarissable
où gouttes et syllabes s’agglomèrent
pour enfanter rythmes et mélodies
cela coule sur le lit de silence
perches et branches s’y échangent
farouches ombres qui accrochent
les graviers
parfois un galet
miracle de formes colorées
consent à s’extraire du flot
et pierre fondatrice
offre à ma main
une manière de chant
(vaste entité joueuse
ou grave élégie)
et c’est tout le ruisseau
qui cascade avec lui
reflets des fleurs inclus

mon amie vois notre vie
à deux pas sous les mots
elle court à nos côtés
ru d’infinie tendresse
et nos paroles coulent
au milieu de mille galets
comme autant de chants à venir

le château des ombres

une allée un peu fragile y mène
tout droit
elle se fait plus étroite
le gravier presque trop propre
glané aux rivières
et au-dessus duquel se croisèrent truites et chevesnes
a été remplacé par d’obscurs cailloux de remblai
où mes pieds appréhendent
de poser un pas puis l’autre
les chevilles grincent
je ne suis pas pressé
mais il faut avancer (loi de nature)
je hausse les épaules
et je chante la joie pour tenir l’allure obligée
j’envie les collines qui enlacent
le château des ombres
elles semblent le dominer
je rêve de leurs pentes faciles
que je dévalerais à perdre haleine
mon chant s’aggrave encore
voix blanche
elle résonne en écho
et
miroir de ma voix proche très proche désormais
la façade du château
à deux pas
renvoie fidèlement
l’éphémère mélodie de mes cordes vocales
soudain amplifiée
très grave ironie de la meulière contre le vivant

le pont

le flanc du cheval quelques fois m’effleure
au pont des décennies
je ne m’en plains pas
je songe aux amis engloutis sans appel
un souffle se suspend
pâle vibration évaporée
cet asthme fait à peine bouger ma vie
pourtant crevée par le travers
le pont grince
je fais face au miroir étoilé
qui craque dans la suite des aubes
brouillage des traits
je ne m’en plains pas
je frémis à l’intranquille des bonjours
le passé et l’avenir s’écartent devant cette pure présence
qui s’installe impavide et toujours changeante
ma voix pointe grave
elle s’enfonce au sillon quotidien
les piles du pont résistent
tourbillons de malice
il me semble qu’on joue là-bas allegro
la pavane pour un cheval noir
je ne m’en plains pas
hennissements à l’horizon
je devine au loin le sourire d’un cavalier encore patient

je sais

elle

elle remercie partout où elle passe
ses yeux brillent
ses robes dansent selon les jours
j’aime parfois les grises
tout compte fait
elle me salue toutes les aubes
son regard me demeure en mémoire
il est vert il frissonne
ses cheveux sont au vent
je ne sais dire s’ils imitent les cimes
des chênes ou des hêtres
car son rire est le même
une fois vue on ne l’oublie plus
ma mémoire dans la glace de nuit
la cultive et son visage me bouge
de partout me couvant
me bousculant aux instants
où le temps file en mélancolie
elle a beau dire qu’elle est insaisissable
il lui suffit d’apparaître
pour que le corps entier me batte
elle m’illumine de l’intérieur
je demande tout sourire aux passants
s’ils l’ont vue
mais (surtout s’il pleut)
leurs imperméables me tournent le dos
je rayonne dans le vide
à sa seule évocation
je m’étonne de sa splendeur évanescente
qui la fait si emballante
elle est folle
mais c’est elle
c’est la vie