habiller le silence

habiller le silence 

reste aussi à l’habiter 

de son corps quand tout se tait

sauf le souffle du vent 

qui semble pousser les nuages

vitesse traversée de folie 

on dirait le temps qui passe

qui pousse vers l’inconnu 

trop connu 

la vie fait résonner ses basses

je crois que je respire

asthme d’enfant lointain

puis tout soudain même le vent 

cesse ses tours ahurissants

alors le silence s’installe

prend toute la place 

et voilà que du coin de l’esprit

alors que j’éprouvais la vacuité

ce que je redoute le plus

un ris un sourire minuscule

pointe sa musique allegro

c’est très lointain d’abord

laisse la monter me dis-je

à petits pas à petits bruits

les notes s’inscrivent mine de rien

elles tendent la main

avec leurs croches régulières

chacune s’armant d’une autre basse

des douceurs se poussent

s’épousent joyeuses

finissent par s’aimer fermement

et jouent longtemps

les élégantes

au coeur du silence

“Le Chemin 14-18” paru en 2019

Il m’avait été demandé d’écrire un texte qui résume mon projet pour la publication de ce livre bilingue (traduction Helmut Schulze), illustré magistralement par Elisabeth Detton. L’éditeur à qui l’on doit tant est:

Jean François Garcia : 179 rue de l’Abbé Georges Hénin, Colligis-Crandelain(02) “editions Lumpen”.

Voici ce que j’écrivis alors… ce témoignage très personnel n’a jamais connu le bonheur d’être publié.

C’est un hommage murmuré au “chemin des dames”. Dix-huit rêveries devenues à mes yeux nécessaires pour dépasser l’effet centenaire. L’écrivain que je suis, aime à se perdre au chemin, chaque saison, chaque année depuis quarante ans. Mais je n’osais pas m’approcher d’eux par l’écriture… ces petits, ces tendres jeunes qui durent s’endurcir pour défendre nos terres contre l’ennemi, comment les évoquer ? Allais-je avoir la manière, le ton, la musique surtout ? En 2017, comme le temps approchait où mes vieux amis tant fréquentés aux monuments aux morts et parfois dans la vie réelle – je me souviens des survivants – allaient partir sur le chemin de la destinée définitive, je me suis mis à écrire, sans ponctuation ni majuscules, des vers qui bientôt s’accumulèrent au fil de situations rêvées. J’avais beaucoup lu sur l’attaque Nivelle, je frémissais chaque 16 avril au souvenir des exploits impossibles. Je songeais au fil des rêveries non plus seulement aux petits, aux presque imberbes encore, fracassés sur l’ordre d’un vieux général obtus, non, il me vint que les pères et les mères devaient avoir également leur place dans ce tohu-bohu, dans cette affreuse mêlée : comment traversèrent-ils l’épreuve majeure de la vie – qui n’est pas sa propre mort, mais la mort de ses enfants ? Les anciens le disaient déjà avec cette crudité : la guerre c’est quand les pères enterrent les fils. Puis d’autres situations se présentèrent à ma mémoire rêvée : le silence qui règne au Chemin des Dames a beaucoup aidé à faire lever mille fantômes, des fiancées, des vols d’oiseaux, des chants. Bientôt j’ai laissé venir à moi d’autres songes, des images d’églises mordues par le feu, l’affreux bombardement de la cathédrale de Reims, l’abomination de Vauclair et de ses ruines automnales si douloureuses. Tout cela est venu presque sans que je le veuille : j’avais tellement marché sur ces terres, j’avais arpenté les chemins adjacents, j’avais même parfois couru autour des ruines pour exercer mon corps et aérer mon esprit. Il suffisait que je ferme les yeux pour voir revenir toutes ces scènes, toutes ces images, toutes ces absences. Je me surprenais parfois à penser : tu vois, ce que tu vis là à quarante ans, à cinquante ans, eux, les petits, ne l’ont pas connu, c’est là qu’est la vraie tragédie et c’est cela qu’il faut chanter. L’essentiel n’est en effet pas de dire : « les pauvres petits », non, l’essentiel est de chanter leur destinée, si l’on veut que l’on se souvienne, si l’on veut que ces jeunes gens demeurent solidement dans le tréfonds de notre mémoire. Chanter devient alors articuler des syllabes de manière à ce que la mémoire du lecteur soit fixée fermement sur les destins détruits. C’est aussi exhaler une plainte. Il est normal de se plaindre lorsqu’on traverse des épreuves de ce calibre. On peut même risquer cette idée simple : se plaindre est la seule manière de survivre, de dépasser un peu l’horreur de ces vies perdues. Je pense aussi à nos voisins, à ceux que j’appelle nos cousins, les (cousins) germains qui apparaissent dès le début du recueil. Helmut Schulze, poète allemand, est venu me rejoindre – traduire mes poèmes était une manière de me tendre la main : ainsi nous faisons-nous face, sur deux pages, côte à côte, la cassure du livre figurant l’opposition d’antan et ce qui nous relie aujourd’hui, délivrant à foison, s’il en fallait, les preuves de l’absurdité de ce honteux conflit. Ses mots ont autant droit de cité que les miens au bord de ce chemin où désormais il fait bon prendre le soleil et respirer les brumes. La fraternité est notre seule chance. Admettre l’autre, le différent, celui qui ne parle pas comme moi… l’accueillir, voilà le but. Tous nos malheurs sont venus n’avoir pas su préserver l’accueil de l’autre, ce qui eût été un enrichissement exceptionnel, au lieu de vivre ce conflit abominable. Revenir au Chemin c’est convenir également que ce lieu est splendide. Hanté, il méritait d’être chanté, ce que s’emploie à faire Elisabeth Detton, avec une modestie admirable. La peinture à l’eau, la simple gouache convient tellement bien à nos jeunes gens englués dans la boue et rêvant d’un idéal de paix. Le brun et le bleu se font face comme chemin et ciel, comme guerre et paix. Les illustrations sont des aide mémoires qui nouent la gorge. Ce sont des statues qui se fixent plein vent pour surplomber l’événement et qui ouvrent sur la compassion. On tourne les pages du livre et entre l’allemand, le français et les illustrations se produit un jeu grave total, musique comprise, les langues différentes et les illustrations délivrant tout un monde mélodique attentif à notre destin. On l’aura compris, le Chemin est à lire plus largement encore : il s’agit du nôtre au présent. Ce recueil aide à traverser nos nuits et nos jours, c’est un viatique apaisé qui reprend nos passions et nos rêves donnant à notre présence ici et maintenant une plus grande fermeté. Raymond Prunier

5/5 Les souterrains de Laon

Guerres

Nous espérons ne pas mourir trop vite, mais la peur qui nous saisit ne relève pas toujours d’un futur tragique, elle est aussi regard rétrospectif. Les souterrains de Laon et de toute la région sont dévorés de l’intérieur par le souvenir de la guerre, des guerres contre les Allemands bien sûr, mais aussi d’autres guerres plus lointaines. 

Je me demande si les souterrains (Caverne du Dragon) ne sont pas la guerre, l’autre nom de ce mot affreux, la guerre, avec ses griffes énormes, ses éclats noirs et sa hideur repoussante. La guerre dite 14-18 ou la guerre dite 39-45, toutes deux forment des souterrains dans notre mémoire, excavations sombres avec larmes de terreur et joies folles de la libération. Nos grands-pères, nos pères nous l’ont suggéré, ils nous ont dit un peu parfois par mégarde cette nuit de deux fois quatre ans qui a aggravé leurs vies d’un fardeau insoutenable de haine et d’inconsolable ressentiment. Je crois qu’ils ne sont jamais sorti de la nuit de ces souterrains-là, on le voyait bien au regard qui tombe, aux soupirs qui laissaient entendre une jeunesse en miettes, au noir très sombre qu’ils tentaient d’écarter du bras ou d’un geste las de la main: il ne fallait pas en parler, grand silence de leur souterrain bien à eux, bien horrible car sans langage. La lumière des mots eût aidé peut-être, mais non, ils avaient les amis et leurs morts à garder au secret de leur mémoire. Peu de mots décidément. Je vois ces souterrains comme des parenthèses du passé où la mort roda impromptu dans la nuit perpétuelle de l’horreur, des cris, des explosions, partout, tout le temps. 

Les guerres sont les souterrains de ce temps-là. 

Je me demande si la fameuse mort de dieu que l’on situe dans le temps entre la guerre de 1870 et celle de 1914 ne peut pas être également située dans l’espace, ici, dans cette frange géographique qu’on appelle les frontières du nord. Les envahisseurs ne voulaient pas seulement les richesses, nos terres noires, je crois qu’ils rêvaient d’un dieu qui tienne la route, un vrai dieu tempéré, doux comme les climats de la douce France. Les Allemands ont une expression éloquente qui semble évoquer directement nos lieux: heureux comme Dieu en France, c’est dire pour eux l’attrait de nos contrées. 

Ainsi, j’y insiste, la mort de dieu a-t-elle son lieu: ces frontières déchirées, hésitantes, friables, souterrains de panique noire. Je ne sais pas pourquoi me revient ce souvenir historique très lointain: Syagrius, dernier empereur romain, se réfugia à Soissons où il fut écrasé par Clovis, ce dernier mettant fin ainsi à mille ans d’empire. C’était là, à deux pas dit la légende, dans une grotte où l’empereur fut fait prisonnier, puis emmené de force dans un sinistre cloaque du sud où il fut étranglé. Souterrains encore.

Je demande qu’on regarde ces souterrains de jadis avec la même acuité que l’on contemple cet arbre d’avril que l’aube arrose avec l’évidence pacifiée d’un renouveau admirable. Je demande – mais c’est beaucoup demander – que les souterrains soient visités comme un passé et aussi bizarrement comme un espace, cet espace curieux qui fit les guerres et les ravages. Je sais bien qu’il y a des grottes, des souterrains, au pied des Pyrénées, des Alpes, à deux pas des Vosges ou le long des côtes de l’Atlantique . Mais nos souterrains à nous sont liés à l’incertitude des frontières du nord. Nous n’avons pas de nord limpide, indiscutable. Nous à Laon et alentour nous ne sommes adossés à rien, aucune Alpe ne nous protège, aucun océan.  Nous sommes à cru, exposés aux invasions de tous ordres. La plaine court sans obstacle jusqu’à la Mer du Nord, c’est fou. Cette plaine est un terrain de jeu pour enfants cruels et envieux où seules les rivières Aisne, Meuse, Somme, forment un obstacle dérisoire et plutôt amusant pour ces enfants attardés avides de meurtres, de pillages et de richesses.

4 /5 Les souterrains de laon

La nef noire

La nuit attire l’amour. On peut être certain que des couples se sont forgés sous la pierre, sculptant à jamais, doigts serrés, ardente chamade, des amours illégitimes, puisqu’on ne pouvait pas s’aimer au jour des rues, dans l’éclat des places; par ailleurs la nuit de la cité  était peu sûre. Les souterrains aux petits murs effrités qui donc se croisent, amènent à se retrouver. Ces vies de taupes parallèles et inverses dessinent dans leur ombre des étreintes telles qu’aucun amour vivant au plein de la vie lumineuse ne connaîtra jamais, car l’interdit (cette drogue) augmente les sensations à une puissance décuplée. Les piliers qui soutiennent parfois les salles aujourd’hui désertes – comme la nef du dessus au moment des offices – font songer à une nef noire où des messes frauduleuses, noires elles aussi, purent être célébrées librement. Les souterrains courent dans tous les sens si l’on veut bien chercher les passages. C’est au mépris des appartenances et des propriétés si bornées en surface, tellement emmurées, coupées soigneusement du voisin. Au-dessous rien de tel. Il n’y a plus d’autre. Le respect a fondu. C’est l’anarchie des corps, des classes, des sexes, des appartenances sociales, prêtres, servantes, maîtres et maîtresses, malfrats et nonnes. Bien sûr on a pu reproduire ici ou là  les fameux murs mitoyens du dessus qui font la misère et la joie des juristes, mais cela semble fragile, la nef noire aux mille chemins du rêve, aux mille abîmes du cauchemar étant un monde à part où tout circule, où tout peut arriver. C’est l’internet ouvert à tous en forme de réelle présence sous la terre. Quand l’amour se noue sans guide social officiel, c’est la passion certes (Tristan et Iseult en témoignent), mais la folie s’accroît dans l’écorce du couple illégitime, et le sans limite des souterrains dit que dieu est absent et que tout est possible. 

Le crime guette pourtant. La vengeance dans la nuit des amours impossibles s’abat sur les pauvres diables et diablesses, victimes de leur passion. Avide d’écarts, Satan se pourlèche à l’idée de tant de victimes potentielles. 

Les pervers de tout poil ont beau jeu de surprendre les naïfs qui s’adorent dans la nef défaite de lois. Car l’inconscient pulsionnel, que figurent si bien les souterrains, regorge de ces assassinats et meurtres qu’on ne voit habituellement qu’au théâtre sous la lumière des sunlights. Ces pièces existent justement pour purger nos passions. Oedipe et Hamlet sont eux aussi les victimes du souterrain, mais c’est un souterrain où l’on parle, alors que la nef noire, elle, scène obscure, résonne de mille voix étranglées, de chuchotis subtils, et la parole y est le plus souvent absente: les baisers empêchent tout discours ou l’on meurt sans un mot.

L’écho répercute mon appel, mais les souterrains sont si vastes que c’est tout un peuple qui tout à coup me répond. Souterraine folie des hommes qui retentit dans la griserie inquiétante de son délire.

3/5 les souterrains de Laon

3 La face cachée

Comme la lune, toute oeuvre a sa face cachée. Je crois en empruntant les souterrains que le mystère va être levé. On se dit qu’on va tout comprendre, que cette nuit marchée (manière de rêve prémonitoire) va nous éclairer sur l’histoire, la vie, la foi peut-être; après être passé par la nuit, le sens va me venir, car il n’est pas possible, pense l’enfant en moi, que tout cela (le monde) n’ait aucun sens. 

On en ressort en effet moins ignorant du pourquoi et du comment, on est soulagé, la lumière du jour nous fait une aube renouvelée, seconde naissance bien sûr, on respire, on s’aperçoit qu’on s’est fait peur, que la vie est cet échange entre ombre et lumière, que l’avance de nos jours a quelque chose à voir avec cet obscur et tortueux chemin de nuit sans étoile. 

On se souvient des signes aperçus, de la voix du guide en écho et de notre curiosité qui s’est peu à peu apaisée. C’était un voyage, nous avons eu raison d’emprunter cette nef de pierre, la vie c’est ça aussi, pas toujours ce que l’on dit dans la lumière du parvis mais ce que l’on murmure dans la nuit du secret, de l’intime, tout contre les festons de l’oreiller.

Dans les ombres des souterrains, on croise sa propre personne que l’on ramène comme Orphée ramène Eurydice en pleine lumière. C’est moi qui me suis extrait de la roche-mère. Sans les souterrains je n’aurais jamais éprouvé l’éclat fabuleux des boeufs qui folâtrent là-haut, de même que la nuit quand je dors je réarrange dans mes rêves la lumière complexe du jour passé, préparant le jour à venir. 

Les souterrains c’est cela aussi, ce songe mensonge qui à la base devait tout expliquer et qui nous murmure seulement: le vrai mystère n’est pas là-haut ni en bas sous la terre. Le vrai mystère est caché en toi, le mystère c’est toi, le mystère est ta souterraine invention perpétuelle, c’est ton oeuvre, là où tu travailles dans le silence, le coeur battant. 

chant XI

s’enfoncer dans la saison 

c’est aller vers la nuit 

où coulent indifférenciés

astres et lunes 

ainsi l’automne exige-t-il un chant 

c’est le temps du courage

avec ses cimetières gorgés de chrysanthèmes

où le gel plane menaçant

je pense aux mains hardies 

qui soupèsent les jeunes pousses 

arrachent encore des herbes superflues 

pour organiser l’attente grave d’hiver

les froids jouent déjà sur les visages

je pense à ceux qui ont quitté la maison 

et savent qu’ils ne reviendront pas 

ils partent en sifflant des airs d’amour 

perdu et les minuscules aurores

tracent leurs frissons sur la lande

la saison s’entête à périr

aucune prière ne vaut 

je me demande s’il y aura un hiver 

avec son petit monde très sec

et la voix qui porte au loin l’espoir

au travers des taillis verglacés

stalagmites tremblant du nouvel an

2/5 Les souterrains de Laon

Obscurités gothiques

Puisqu’on cachait aux souterrains tout un monde de vin, de victuailles, de blé, il me vient que ces chemins obscurs renvoient à nos entrailles. Coloscopies, echographies, radiographies ont mis à jour depuis peu une vision claire de cette partie du corps qui nous hante chaque jour. Mais l’affaire est récente: depuis l’aube des temps l’humanité s’est préoccupée avec un zèle émouvant à décrypter les signes de notre abdomen, ce qui nous est le plus proche et qui était depuis toujours tellement lointain. C’était notre bien le plus précieux et nous ne le voyions pas, étrange monde souterrain. 

On n’oubliera pas que ce plus obscur est également à deux doigts du lieu d’où la vie jaillit. Mystère fabuleux de la naissance. La vraie vie est ailleurs, dit le poète, il veut dire le féminin sans doute, et ce passage obligé du vivant à travers le chemin des dames, souterrain encore, souterrain capital. Les choses ne sont décidément jamais simples dès qu’on pénètre sous la terre. Le touriste le sait bien qui a une curieuse impression de déjà vu, de déjà traversé, de déjà exploré, même la première fois, surtout la première fois, car ce n’est jamais la première. Il est né; divin ou pas il est né; donc ce souterrain là il le connaît, c’est ce qui le fascine, c’est le plus connu qui est le plus exaltant(ainsi le décolleté, objet de désir majeur du mâle, ouvre-t-il sur le sein qu’il têta bébé avec la passion que l’on sait). 

Pour revenir à l’histoire, il me semble qu’autrefois c’est aux souterrains que les fortunes et les vies ont été constamment ramenées. Richesses (vins, blés)entassées loin de la lumière de l’envie et de la cupidité; c’était aussi un lieu de fuite lorsque les envahisseurs avaient percé le rempart, nuit du sauve qui peut, illuminée d’un guide que l’on devine intuitif et malicieux. 

Il existe comme on voit une relation entre notre corps et la ville, nous le saisissons obscurément: la cathédrale est la tête, le plateau le corps, les souterrains sont le bas du corps, les boyaux comme on dit. A cette vision enfantine il faut ajouter les constructions souterraines qui empruntent leurs formes à la cathédrale. Les ogives sous la terre présentent une autre cathédrale où l’on pria peut-être selon des rituels peu catholiques comme le laisse entendre le poète conteur Hubert Haddad. Pas de portail édifiant comme à l’autre cathédrale, l’entrée n’est pas évidente, humble porte discrète, lourde, quelques marches, usées en leur milieu (il y passa donc bien du monde) qui projette, une fois ouverte, la lumière du dehors. C’est une structure en miroir: ces ogives noires sans but seraient le tain de la grande cathédrale. On sourit de songer que le gothique était aspiration vers la lumière et qu’ici ce style majestueux, grandiose, qui voulait dévorer le ciel, s’élance, dérision magique, dans la nuit du roc taillé. 

1/5 les souterrains de laon

Prélude

La butte témoin s’ouvre aux quatre horizons et donne à notre présence sur la terre un souffle inhabituel, la géante cathédrale multipliant par cinquante notre corps vertical. Le monde coloré passe sous notre regard, l’aventure du plateau est un arc-en-ciel et même bouchée (les nuages, balourds visiteurs) la trompette de lumière azurée module ses innombrables mélodies de nuances éblouies. Dignité, fierté, exaltation, rêve de puissance, tout se mêle lorsqu’on se prend à songer aux siècles, aux œuvres et à notre vive présence, modeste et capitale.

Que dire alors des souterrains? Lorsqu’on s’enfonce sous le plateau, c’est une nuit de pierres, le monde se fait noir et blanc, les galeries s’élancent, bifurquent, se croisent pour le plus grand plaisir des spéléologues, las d’avoir été arrosés par la lumière du jour. Je crois qu’ils cherchent à animer un peu la peur de vivre à cru qui est l’autre nom de la peur de ne plus vivre. Le savant aussi bien que le touriste y entend en effet son coeur battre, le silence est tel qu’on se sent plus directement vivant, le corps remue comme la nuit du poète, le pas fait vibrer les dalles: on ne ment plus, c’est bon. La nudité de l’existence fait l’excellence des lieux et nous attire comme si c’était la vérité enfin de notre vie. 

Ces rocs entassés, percés, creusés, évidés par l’eau et la main de l’homme offrent un tombeau vivant à explorer, ainsi peut-on peut-être imaginer par avance, lampe au front, une image de notre vie après la vie. 

Les souterrains angoissent et rassurent, ils sont notre émoi perdu sous les pas des piétons du parvis. Les emprunter est une autre promenade qu’en ville haute. Elle est hors temps, hors climat, et à condition de s’habituer à la fragilité des lumières, elle offre du passage accidenté vers le paradis une représentation saisissante, étouffement mimé sous le poids des pierres. Il est vrai qu’avancer c’est risquer: l’explorateur peut se perdre à chaque détour, choisissant la galerie de gauche au lieu de la droite qu’il croit connaître puis, la panique aidant, rebrousse chemin par aspiration à retrouver le connu. Marcher ainsi à la presque aveuglette, c’est mettre en valeur son courage, son flair, son savoir aussi. Tel grès des parois, telle argile du sol en disent autant à l’explorateur que la nature du sol et des plantes pour un agriculteur. 

Il est vrai qu’il en va des souterrains comme de nos pays où la main de l’homme a glissé partout, les découvreurs d’antan sont devenus fonctionnaires et les précieuses balises du tourisme courant ont remplacé les errements du hardi pionnier qui, une lampe sourde à la main, s’est élancé pour la première fois dans la découverte du mystère des lieux d’où la vie semble absente. 

guerres et paix

solitaire je m’enfouis

dans les parfums faisandés

de la terre gorgée de feuilles et de boue

les flaques marquent la loi de mon pas

l’affreux cri métallique des pies

toujours en conflit

et voilà qu’au fond des forêts

les guerres du jour me relancent

je songe que les massacres du passé 

ne cessent jamais de regronder

tandis que je trébuche aux racines 

affleurant aux chemins à venir

puis dès avant l’aube

comme on respire

l’aurore presse son oeil 

et je découvre éberlué 

l’incroyable des bruyères

survolées des alouettes mystère

mille notes amies

s’éparpillent vers l’ouest 

concert pour rêveur 

foule de senteurs qui se lèvent 

c’est alors que se risquent des voix 

qui bercent et consolent 

j’écoute

voyage d’hiver

la glace lance ses premières arias

les sournois courants d’octobre

s’en vont mordre les omoplates 

suivront rhumes pâles  et longs frissons surprises

puis la voix s’enrouera sur la route d’hiver

les pulls ne suffiront bientôt plus

contre les bises jalouses

c’est ainsi qu’elles encombreront

de leur souffle d’acier

nos fragiles cordes vocales

qui voulaient trop chanter le retour du printemps

notre déclin

je vois dans l’oblique éblouissante 

la plus petite brindille 

sur le fond bleu des herbes

le rayon va jusqu’à percer les troncs à l’extrême des terres

des vitraux grincent entre les branches

la jeunesse du jour a passé déjà 

jonchée aux semelles

l’aventure froissée 

des feuilles d’ici se reproduit vivante 

oh ce doux déclin qu’on aime tant

car c’est le nôtre au miroir 

inexorable tranquillité des teintes 

du visage et des nombreux bois de chez nous 

l’angoisse se pare comme nature 

et dans l’allée qui mène au manoir

on envisage son futur en paix 

puisque tout nous ressemble

les êtres sont fils et filles d’octobre

et puisque les arbres tiennent 

nous tiendrons 

pas après pas à l’allure de l’automne 

(naissant nous savions que l’octobre un jour serait)

que les aubes chaudes tièdiraient 

puis se glaceraient un matin 

de solstice au bout du voyage d’hiver

quand le mendiant tourne sa vielle

opulence d’octobre

vous détestez la saison

vous n’avez pas le goût des fruits

maussades impatients

ne voyez vous pas 

danser sur l’oblique des rayons

le doré des grains et le grave

des mains veinées par les efforts

toute cette charge du temps 

à voir couler les ans les décennies

notre petite affaire de vivre

arrive avec son oui conciliant

plein du sourire d’octobre

on a bêché biné au jardin

les longs sillons des légumes

prenants et chauds encore

grappes éclatant de santé 

c’est la richesse de l’être humain

son sourire permanent

la main a tout fait

pour que ciel impalpable 

et terre lourde et fraîche enfin

accordent à notre fragilité naturelle

avec le vin qui fait rêver

un retour de joie appétissant

octobre est ce temps positif

aboutissement de croissance

octobre est le but de nos reins

cassés justifiés par le fauteuil

d’hiver quand le feu approuvera

notre présence auprès de lui

et que son  bonheur rouge nous gardera

auprès des braises fabuleuses

vers le solstice: crise d’automne

ce qui crève les yeux

c’est l’abandon du vert et des fleurs

on change les vêtements

la mer glacée des aubes

vient réclamer sa part

et c’est le noir morose des terres

et le vivement brun qui mord

à cru dans la mosaïque des prés

les lèvres du temps

ne marchandent plus 

les feuilles disent dépitées

qu’elles n’y croient plus 

c’est alors le presque silence

de leur descente froissée

ça ne cesse plus de chuchoter

sous l’ouest bruissant 

on voudrait avancer les mains

on voudrait apaiser l’effroi

on voudrait revoir une fois

les vallons aux vaches paissant

mais l’hélas des jus nouveaux

coule écarlate à la gorge 

vin pur pour enivrer pour oublier

les feuilles de marronniers sont des décors

bruit furtif tragique

elles sont étouffées repliées

c’est l’usure des peaux du temps 

mes enfants revenez venez 

m’enseigner la renaissance

souriez moi encore un peu 

votre voix même s’étouffe

dans la brume du mois

râclez vos gorges

toussez dans l’aube vos misères

on va prendre des trains de nuit  

chargés de tous les vivants 

en route vers la nostalgie 

de l’encore moins 

toujours moins

on a raison de s’embrasser

il reste peu de temps peu d’encore

je vois bien là-bas un second soleil

mais c’est loin tellement loin

promenade

je me perds dans les chemins tendus

le pas me mène 

la peine aussi 

les feuilles sous le vent 

laissent cascader ors et larmes

les lèvres me brûlent

la peur d’avancer m’alimente les rêves

dans la clairière seul

le chagrin pousse l’errance de son filtre mineur 

et soudain l’allégresse surgit aux poumons 

la marche se fait plus vaste

j’entends des rires là-bas

buissons de joie cachée 

l’automne se fait berceau

nourrice qui chante ses échos jusqu’au fond des bois

clarine velours et mauve de pluie 

le passé à mon pas

je reviens

sous la bruine amorcée 

contre ce souriant balai de l’ouest un peu vif

il me semble que je danse

dans la boue des ornières

admirant les bouleaux aux frissons

oriflammes glorieux qui saluent 

le petit bonheur du grand retour 

auprès de l’âtre dévorant 

les eaux secrètes

j’ai un vallon en tête

il berce un lac

où les voiles procèdent

en hésitant longuement 

tiédeur de notre France 

les cygnes s’élèvent

semblent marcher sur l’eau

retombent en silence

se croisent apaisés

mes yeux visent le ciel 

et la terre là-bas

goutte dans l’eau

on dirait de l’ombre

qui roule et s’avance

ça menace

des voix de feu s’exaltent

le lac soudain agité

vaste peur de jadis

c’était l’Ailette aux morts

pluie de fer ça gémit

au pied du mont souvenir

enfants persécutés

je vous entends courir

sur le chemin

le lac porte vos pas

vers le ciel grand ouvert

cent ans c’est peu

et vous êtes si nombreux

à rêver sous les eaux

loin très loin de nous