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sous mes doigts le soir s’éteint au chevet
j’abandonne la terre à l’univers
mon corps consent à s’absenter
joues et rêves s’échangent sur l’oreiller
puis vient l’embaumement familier de la nuit
Le blog de Raymond Prunier
14
sous mes doigts le soir s’éteint au chevet
j’abandonne la terre à l’univers
mon corps consent à s’absenter
joues et rêves s’échangent sur l’oreiller
puis vient l’embaumement familier de la nuit
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dès l’aube dit l’oiseau à l’azur
je serre un galet en remontant vers toi
au plus cru de ton bleu
et je relâche la pierre pour mesurer l’espace
où mon chant va porter les échos de ta joie
un hibou dans la nuit
c’est un assaut velours
contre le vertige des étoiles
rempart d’échos
qui protège les rêves
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quand le grain de ma voix m’échappe
que les mots meurent au désert
tout au fond de ma gorge sèche
le roc de mon âge souffle un vieil air
ma mie s’enchante au seul appel de son prénom
et nos pas glissent de concert vers l’oasis
les enfants se tutoient
de leurs voix flûtées
ils s’avouent de graves secrets
montagnes d’énigmes
qui plus tard s’effacent dans la foule
au premier passant qui leur dit vous
l’août violent explose
en larges râles grinçant
contre les vagues câlines et sûres
elles roulent insatiables
ce littoral caillouteux qui fait craquer
les vertèbres de nos corps incongrus
C’est un des personnages principaux de mon “Brassens ou le désaccord parfait”. Les grattements les chuintements y sont évoqués dans la voix de Brassens. La circularité donne à la rengaine son véritable instrument. La pose du “diamant” a des charmes incompréhensibles pour les non initiés. Le craquement des poussières, la plage (la plage!) sont des moments qu’on n’oublie jamais. Il n’y avait rien, et soudain quelque chose advient et chante; de l’inouï; on dirait que cet adjectif inouï a été inventé pour le Teppaz. Une correspondante mentionne l’importance de cet instrument de musique, portatif et magique, elle a raison. On songe à la dépression d’après guerre; il y a un remède; c’est le teppaz qui tourne et danse dans les chaumières. Ce qui est encore plus beau, ce sont les déraillements du Teppaz. La machine électrique déraille si le disque est zébré d’un ongle malhabile. Disons le, tous les disques du Teppaz étaient rayés et donc pour dépasser cette blessure, il fallait attendre le bon moment, le mauvais moment donc, pour pousser le diamant, ce qui agrandissait la rayure, comme les bas nylon de l’époque. C’était incurable et sympathique, car la douleur de la pointe qui passe et repasse le même passage vingt fois trente fois inscrit définitivement la chanson dans sa redite infinie et fabuleuse.
(“Brassens ou le désaccord parfait” éditions mille sources: gilbert.beaubatie@gmail.com. Tél : 05 55 26 27 77)
le temps entraîne les hirondelles
cruelle ironie des rayons d’août
qui brûlent les labours
vont faire lever les premières brumes
voilant le ballet insolent des belles
qui s’entraînent à disparaître
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cette nuit qui procède vers nous
induit mille vertus d’étoiles
et nos visages c’est toutes les lunes
qui conspirent contre l’obscur
dans ce bal oublié des danseurs
inventons aujourd’hui le sourire de minuit
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ce bol de porcelaine tout neuf
où mes paumes pâles se réchauffent
je sens mes mains qui s’animent de leur sang
je hume alors le fort du café noir
et l’aventure du jour m’emmène au château
où s’avance pas après pas le graal de Perceval
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quand le matin s’éveille
qu’il cale ses voiles
sous le souffle du temps
mes mains tendues font
un rempart fragile contre
le soir qui faseye à l’horizon
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à mesure que la sérénité perdure
c’est à sons de trompe
que les soirées reviennent
la banalité ne fuit plus
et je perçois à l’arrière du soleil
les plages petites de tes matins chantés
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le cri fébrile du sang
a laissé place aux grands déserts
où le bon vivre est le repos
et si la nuit file sous ton pas
qui retourne et tourne encore
laisse venir l’or à ta fenêtre
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et les aubes loyales
revenues de tout
allument les fonds marins
et renvoient au jour dit
la fleur aux éclats
qui dormait dans la nuit
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fragile gris bleu de chez nous
qui s’ouvre azur cru de midi
nous échoit un vent fluide agité
toujours l’ouest agrippe les cheveux
et mes mains rêvent d’arrêter la houle
pour écouter une seconde d’éternité
le papillon qu’elle m’a envoyé
s’est posé
je l’ai vu venir de loin
il a longtemps hésité
il a bifurqué
j’ai cru un moment
qu’il ne m’était pas destiné
son de-ci de-là
me laissa indécis
puis soudain il s’est abattu sur ma main
je ne pouvais plus bouger
un souffle l’eût chassé
je ne respirai plus que par la gorge
et j’arrêtai d’écrire évidemment
j’eus le temps de voir ses yeux cernés
au bout des ailes
ils disaient la fatigue
je le priai de me dire
ce qui l’amenait
il répondit de ses ailes agitées qu’il avait un message
à regret murmura-t-il à regret
je dois te dire qu’elle ne t’aime plus
les fleurs sont toujours sa passion
mais elle est amoureuse du jardinier
qui est beau grand et sportif
je remerciai le papillon
il s’envola
me restèrent trois grains de poudre sur la main
un souffle suffit
guerres
Nous espérons ne pas mourir trop vite, mais la peur qui nous saisit ne relève pas toujours d'un futur tragique, elle est aussi regard rétrospectif. Les souterrains de Laon et de toute la région sont dévorés de l'intérieur par le souvenir de la guerre, des guerres contre les Allemands bien sûr, mais aussi d'autres guerres plus lointaines. Je me demande si les souterrains (Caverne du Dragon) ne sont pas la guerre, l'autre nom de ce mot affreux, la guerre, avec ses griffes énormes, ses éclats noirs et sa hideur repoussante. La guerre dite 14-18 ou la guerre dite 39-45, toutes deux forment des souterrains dans notre mémoire, excavations sombres avec larmes de terreur et joies folles de la libération. Nos grands-pères, nos pères nous l'ont suggéré, ils nous ont dit un peu parfois par mégarde cette nuit de deux fois quatre ans qui a aggravé leurs vies d'un fardeau insoutenable de haine et d'inconsolable ressentiment. Je crois qu'ils ne sont jamais sorti de la nuit de ces souterrains-là, on le voyait bien au regard qui tombe, aux soupirs qui laissaient entendre une jeunesse en miettes, au noir très sombre qu'ils tentaient d'écarter du bras ou d'un geste las de la main: il ne fallait pas en parler, grand silence de leur souterrain bien à eux, bien horrible car sans langage. La lumière des mots eût aidé peut-être, mais non, ils avaient les amis et leurs morts à garder au secret de leur mémoire. Peu de mots décidément. Je vois ces souterrains comme des parenthèses du passé où la mort roda impromptu dans la nuit perpétuelle de l'horreur, des cris, des explosions, partout, tout le temps. Les guerres sont les souterrains de ce temps-là. Je me demande si la fameuse mort de dieu que l'on situe dans le temps entre la guerre de 1870 et celle de 1914 ne peut pas être également située dans l'espace, ici, dans cette frange géographique qu'on appelle les frontières du nord. Les envahisseurs ne voulaient pas seulement les richesses, nos terres noires, je crois qu'ils rêvaient d'un dieu qui tienne la route, un vrai dieu tempéré, doux comme les climats de la douce France. Les Allemands ont une expression éloquente qui semble évoquer directement nos lieux: heureux comme Dieu en France, c'est dire pour eux l'attrait de nos contrées. Ainsi, j'y insiste, la mort de dieu a-t-elle son lieu: ces frontières déchirées, hésitantes, friables, souterrains de panique noire. Je ne sais pas pourquoi me revient ce souvenir historique très lointain: Syagrius, dernier empereur romain, se réfugia à Soissons où il fut écrasé par Clovis, ce dernier mettant fin ainsi à mille ans d'empire. C'était là, à deux pas dit la légende, dans une grotte où l'empereur fut fait prisonnier, puis emmené de force dans un sinistre cloaque du sud où il fut étranglé. Souterrains encore. Je demande qu'on regarde ces souterrains de jadis avec la même acuité que l'on contemple cet arbre d'avril que l'aube arrose avec l'évidence pacifiée d'un renouveau admirable. Je demande - mais c'est beaucoup demander - que les souterrains soient visités comme un passé et aussi bizarrement comme un espace, cet espace curieux qui fit les guerres et les ravages. Je sais bien qu'il y a des grottes, des souterrains, au pied des Pyrénnées, des Alpes, à deux pas des Vosges ou le long des côtes de l'Atlantique . Mais nos souterrains à nous sont liés à l'incertitude des frontières du nord. Nous n'avons pas de nord limpide, indiscutable. Nous à Laon et alentour nous ne sommes adossés à rien, aucune Alpe ne nous protège, aucun océan. Nous sommes à cru, exposés aux invasions de tous ordres. La plaine court sans obstacle jusqu'à la Mer du Nord, c'est fou. Cette plaine est un terrain de jeu pour enfants cruels et envieux où seules les rivières Aisne, Meuse, Somme, forment un obstacle dérisoire et plutôt amusant pour ces enfants attardés avides de meurtres, de pillages et de richesses.
La nef noire
La nef noire La nuit attire l'amour. On peut être certain que des couples se sont forgés sous la pierre, sculptant à jamais, doigts serrés, ardente chamade, des amours illégitimes, puisqu'on ne pouvait pas s'aimer au jour des rues, dans l'éclat des places; par ailleurs la nuit de la cité était peu sûre. Les souterrains aux petits murs effrités qui donc se croisent, amènent à se retrouver. Ces vies de taupes parallèles et inverses dessinent dans leur ombre des étreintes telles qu'aucun amour vivant au plein de la vie lumineuse ne connaîtra jamais, car l'interdit (cette drogue) augmente les sensations à une puissance décuplée. Les piliers qui soutiennent parfois les salles aujourd'hui désertes - comme la nef du dessus au moment des offices - font songer à une nef noire où des messes frauduleuses, noires elles aussi, purent être célébrées librement. Les souterrains courent dans tous les sens si l'on veut bien chercher les passages. C'est au mépris des appartenances et des propriétés si bornées en surface, tellement emmurées, coupées soigneusement du voisin. Au-dessous rien de tel. Il n'y a plus d'autre. Le respect a fondu. C'est l'anarchie des corps, des classes, des sexes, des appartenances sociales, prêtres, servantes, maîtres et maîtresses, malfrats et nonnes. Bien sûr on a pu reproduire ici ou là les fameux murs mitoyens du dessus qui font la misère et la joie des juristes, mais cela semble fragile, la nef noire aux mille chemins du rêve, aux mille abîmes du cauchemar étant un monde à part où tout circule, où tout peut arriver. C'est l'internet ouvert à tous en forme de réelle présence sous la terre. Quand l'amour se noue sans guide social officiel, c'est la passion certes (Tristan et Iseult en témoignent), mais la folie s'accroît dans l'écorce du couple illégitime, et le sans limite des souterrains dit que dieu est absent et que tout est possible. Le crime guette pourtant. La vengeance dans la nuit des amours impossibles s'abat sur les pauvres diables et diablesses, victimes de leur passion. Avide d'écarts, Satan se pourlèche à l'idée de tant de victimes potentielles. Les pervers de tout poil ont beau jeu de surprendre les naïfs qui s'adorent dans la nef défaite de lois. Car l'inconscient pulsionnel, que figurent si bien les souterrains, regorge de ces assassinats et meurtres qu'on ne voit habituellement qu'au théâtre sous la lumière des sunlights. Ces pièces existent justement pour purger nos passions. Œdipe et Hamlet sont eux aussi les victimes du souterrain, mais c'est un souterrain où l'on parle, alors que la nef noire, elle, scène obscure, résonne de mille voix étranglées, de chuchotis subtils, et la parole y est le plus souvent absente: les baisers empêchent tout discours ou l'on meurt sans un mot. L'écho répercute mon appel, mais les souterrains sont si vastes que c'est tout un peuple qui tout à coup me répond. Souterraine folie des hommes qui retentit dans la griserie inquiétante de son délire.
je n’oublie pas
de féliciter les ciels de juillet
avec leur crudité limpide
qui font deviner sous les troènes graves
les nids tricotés et les vitraux émeraudes
entre les branches d’ombre de mica
ce qui monte alors est pure senteur
prière de fleurs mûres
où s’épuisent nos attentes d’infini
nous voilà tous éternels
et les champs bousculent les épis
les pains foisonnant croûte fendue
s’avancent déjà
tandis que les croissants de lune
nous glissent au fond des rêves
mettant par avance le dormeur en appétit
nos premières nappes de brouillard
s’étalent sur la table des jours
puis l’air nous submerge de ses fournaises impromptues
craquements des chaumes
je m’exalte sans prudence
de l’abondance de la félicité du temps
où l’on vit au paradis de la bêche et des fruitiers
c’est alors que le lac à peine ridé par les ouests infatigables
ouvre aux mille lumières ses eaux tièdies
et enfin tout au bout
aux plages crissantes
la mer accueille dans l’énergie des lames
nous autres et les enfants
sel de la terre nous autres si joyeux
de folâtrer entre châteaux fragiles et ressacs frais
à l’ombre des marées qui nous pressent
vers un estran fabuleux