sensations d’automne

C’est le temps – plus qu’au nouvel an- où l’on fait les comptes, les fruits nous tombent aux mains, dans le silence, les jours sans vent; tout soudain la chute de la pomme se fait événement. Je me souviens ainsi de la chute d’une pomme sur le dos d’une vache dans la campagne, loin de tout, en bel automne, il m’a semblé que le choc allait faire vibrer la terre entière; pour me rassurer la vache n’avait pas bougé, pas un frémissement, rien, comme s’il ne s’était rien passé. La pauvre vache qui n’attendait pas la révélation newtonienne, n’avait rien senti. Je la fixai comme pour l’hypnotiser, mais va hypnotiser une vache au moment où les herbes repoussent après que l’été “ont l’herbe rajeunie”. J’eus l’impression au contraire que le choc sur sa peau anticipait les tambours que l’on ferait un jour de sa pauvre peau. Coup de gong, comme on appelle au repas chez les aristos. J’ai revu alors le moment où la pomme s’est détachée, pourquoi cette seconde plutôt qu’une autre? qui ou quoi avait suscité ce détachement? Il m’apparut alors que la peau de vache la pomme et ma présence solitaire devaient être entendues comme une musique sans musique autre que mes battements de coeur. La tête m’a tourné, l’odeur des pommes aidant je fus environné d’une atmosphère qui me revient lorsque j’écris le mot “automne”. Au bord de l’évanouissement sans cause, j’en conclus que le mûrissement des pommes à l’origine du geste d’Eve, n’avait pas que des bons côtés, le pourrissement n’étant qu’un mûrissement exagéré, un peu trop poussé. La cueillette est son anticipation. Curieusement lorsqu’on mord dedans elles donnent au palais une sensation de printemps qui n’a rien à voir avec les feuilles mortes et le mugissement désolé de la vache. C’est du printemps “prochain”, c’est notre prochain.

Croquer la pomme devient ainsi goûter la joie de vivre.

4 réflexions sur « sensations d’automne »

  1. “Les vaches au doux mufle tremblant, avec leur bonne odeur de boue et de lenteur, leurs mugissements mélancoliques, la rondeur de leurs énormes flancs et leur élégance gargantuesque, (…) merveilleuses vaches que l’on voit entassées comme des masses de nuages roses et blancs dans les esquisses d’Eugène Boudin ou parfois elles ne sont plus que des soupirs de brume sombre, des taches vagues flottant entre le ciel et la terre.”
    Philippe Muray écrivait cela, vous, c’est cette chute d’une pomme sur le dos d’une vache indolente et cette odeur de pourrissement des pommes trop mûres dans l’herbe mouillée.
    Et puis, vous voilà tout soudain, méditant, vous arrachant, vous tenant à distance, interrogeant l’indifférence comme tournant autour d’un point aveugle, vous faisant un entour pour vous livrer au goût de dire. L’écriture naît parce que quelque chose s’est retiré vous laissant habitant de la terre, nostalgique. Le monde est réel et irréel en même temps.

    1. Je trouve vos quelques lignes, les 5 dernières, “vous livrer au goût de dire” très étonnantes, comme si vous regardiez par dessus mon épaule. Cela s’est construit dans un entre deux dont vous dites l’essentiel. “réel et irréel”… c’est tout à fait ça.
      La prose ici m’est apparue nécessaire, il est vrai que c’est un commentaire, lieu où je m’ébats plus ouvertement dirait-on. Il faudra que j’en reparle; c’est un peu trop chaud encore. Je crois que c’est la saison qui veut la prose (contrairement à la tradition qui regorge de poèmes sur le même sujet)…
      L’automne est comme la cathédrale : un rêve de pierre aurait dit Baudelaire, naturellement beau. Beaucoup s’en plaignent; je ne le comprends pas. Sa beauté prend à la gorge, nous rappelle que le monde fut beau, son déclin envoie des signaux qui font les paupières humides. Je me réjouis de tant de mélancolie qui procède si lentement.

      1. Je l’ai relu plusieurs fois. C’est vraiment une écriture qui vous va bien. Vous y êtes planté comme un pommier veillant sur la terre d’automne. Tellement en harmonie avec la beauté de ce monde et sa tristesse.

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