mai

ce mois s’éparpille en or

il s’égosille avec le coucou

et fait presque bleuir le colza

tant les jaunes cassent tout

de leurs rires étalés 

soulerie serrée contre la terre

leurs champs font pièce au soleil

la magie dure peu mais la trompette

éclatante effraie la mer des blés

symphonie de cuivres briqués

dont les graves reflets posés

alentour jusque sur le chemin

me remémorent les dames

en robes rouge et or

et les messieurs sinistres

en uniformes gris morbides

le colza devait être triomphe

c’est une tombe folle

les corps défaits ont nourri

la belle terre friable noire qui

comme si elle n’avait pas été labourée

par les obus dérivants de nos rages

humaines trop humaines

pouvait du fond de son humus 

dire à une humanité pareille

non je ne donne plus

je garde mon colza mes blés

faites la paix une seule fois

je vous promets des moissons

de l’huile et des prés charitables

une seule fois

un seul printemps

une écharpe

quand je peine égaré à respirer

au désert populeux

errant invisible au marché de la rue

soudain un visage neuf

allumant une douceur de prairie

(sa joue est colline)

le regard vert aspire les rayons

l’azur suit

et c’est un bonjour qui me surprend

aventure d’être

je reconnais que sa beauté sel de mer

a une voix

je songe que je voudrais être sur l’océan

elle serre son écharpe

et le geste et le tissu m’emportent par surprise

nuage vif

me voilà saisi par le souffle limpide

un rêve s’avance

je le creuse et continue à parler

du soleil réel

tandis que le voilier s’enfuit là-bas

je suis à la proue

je parle encore longtemps salades radis

carottes poireaux 

les éventaires courbes chargés de leur poids terreux

résistent un peu 

mais je suis loin envolé aux îles tendues

de sable roux

tout cela à cause d’une écharpe d’une belle

où j’ai lu une voile

glycines

drapé solennel de bleu vieilli

elles désignent en suspension 

le sol d’entrée où claquent mes pas 

je vois vibrer en lanternes serrées

les grappes qui ponctuent mes allers et venues 

de leurs fragiles oscillations 

comme autant de NON qui se moquent 

de mes farcesques vacations

lilas

froissements tendres contre la croisée

les trilles des passereaux

se mettent à gloser

sur l’aube et les lilas

on efface des brumes quelque part

le parfum partout 

glisse au lever ses violines bleuissants

grappes en route vers la survie

engoncées dans leurs tricots serrés

|Chez nous les lilas, c’est deux semaines de foisonnements parfumés. Un jardin sans lilas c’est la moue assurée du passant; ils forment un unique fil invisible qui court les venelles et s’envole avec les hirondelles revenues.

Ils sont à notre septentrion l’équivalent froid des mimosas du sud, ces larmes du soleil qui réchauffent le cœur.]

biographie

parus au milieu du siècle écoulé

mes corps et rêves ont passé la fin du millénaire

à chanter en secret loin de tout

l’imaginaire fut mon vrai lieu

par les textes écrits en me cachant

j’ai fini par m’accorder un nom

PRopre emprunté aux ancêtres

Usant des ruses de l’écrit

N’ayant pour tout bagage

Inépuisable et d’une fragilité discrète

Étrange ou cliché comme il plaira

Rehaussé d’une musique rare

j’entends le chant des fleurs de cet arbre

qu’aucun éclair ne peut briser

car il est tout entier dans ma tête

il accroît de ses fruits bleus

la suite finie de mes écritures

où il fait bon vivre encore un peu

fiable

pour être fiable il l’est

c’est un oiseau au fond du nid

à deux doigts

il a le rythme posé du pas

tranquille si calme

que parfois je me demande

s’il est toujours là

si je ne me trompe pas de bruit

depuis le temps

il pourrait se fendre d’un dérapage

comme quand un effroi me glace

quand une passion m’étreint

alors il accélère

mais il revient vite à sa mesure

il est fûté

il me connaît

le coeur est ma mesure

cette dépendance

où je vais me réfugier 

au fond du jardin de solitude

il y fait doux cher coeur

sous la tôle de ma peau

près de ma respiration

j’y cultive soleil et pluie

non c’est vrai tu ne changes pas souvent 

je te sens parfois discret et joli et musique

si menuet 

dans le silence remuant du corps

oui je peux t’amadouer

un jour 

la vie allant vers le faible

tu me lâcheras 

ne t’excuse pas

c’était prévu au jour de ma venue

éloignement

ce qui s’éloigne

au fil des jours

c’est presque rien

imperceptible manque

ainsi le coeur ne lâche-t-il plus la bonde

il enduit ce qui fut 

momifié dur grevé d’événements

c’est blanc 

une larme oubliée

mais tout est oublié

tout s’oublie 

le pire bien sûr

mais pire encore le meilleur

des mouchoirs font signe sur le quai

ils veulent je crois arrêter le train 

on a toujours oublié 

quelque chose un peigne 

une peine

que sont mes cheveux devenus

ainsi peut-on rêver d’avancer

il suffit pourtant 

de prêter l’oreille

j’entends mon coeur qui bat

syllabes du corps

qui donnent le rythme

oh l’allure du tempo assuré

je pointe les chemins de boue

hêtres et jacinthes

je les revois et fermant les yeux ils repassent 

ritournelle agreste

j’ai tant aimé arpenter leurs boucles

et poser mes pas sur ce monde

où la terre me répondait

miroir

l’ouest tire vers nos jardins exsangues

ces gigantesques masses de gris de noir

filles du ciel gonflées de grêle

prêtes à en découdre avec les boutons d’or

j’entends déjà leurs rires au macadam

grains blancs sournois

leurs cris craquent sous les pas

graviers glacés

et les ans ont beau me bouger

le refrain des horizons noyés me défrise

toujours autant 

je n’ai jamais pu me faire 

au clapotis contre mon crâne 

grêlons qui fondent dans les cheveux

jusqu’au moment où 

instant miracle

le tissu mousse 

sèche ce petit monde 

oh la belle vigueur

et où ravi

d’avoir traversé l’épreuve

je souris de découvrir

dans le miroir

en forme de récompense

la chaleur follement rouge de mes joues

l’attente d’avril

les arbres en frissonnent toujours

ce retour de novembre en avril

la pluie morne coléreuse  

affole le revers de mon col

la glace me glisse au dos

là où l’épine dorsale frémit

et le vent enragé me fouette aux  joues

l’évidence du pas bienheureux

que j’attendais sûr de la saison

et ouvert à la brise à la voix claire

se fait souffle de mort

brise présage de mes pas en misère

c’est affaire de patience

l’attente murmure une voix

consolante insistante

(c’est la déesse à Ulysse)

attends encore dit-elle

le voyage des jours ne fourvoie

que ceux qui protestent 

aime ces moments qui ménagent

des horizons intérieurs où dort

tranquille la joie d’être en vie

et seulement cette pensée

qu’on oublie à chaque aube

et qui revient sur l’oreiller

comme un refrain chaque soir

jardin

jadis empli des aigus cabriolés des enfants

le jardin resplendit ce jour pour presque rien 

il ne se ressemble plus 

il a cette grâce un peu des anciennes gloires 

je cultive la prestance de ses arbustes 

qui cachèrent des visages malicieux 

mais les roses à foison disent les murs sans échos 

me reste cette brise un peu fraîche 

flot continu de consolation nord ouest

rappelant joies et peines du jour le jour 

c’était au temps où l’on naviguait à vue 

je crois que le silence épidémique qui m’y enferme 

lui donne des allures de royaume des ombres

il me leste la joie de vivre 

regrets souriants

tous les verts se rassemblent à la fenêtre 

où j’attends dans le silence le retour des échos du monde

qui miment si parfaitement

les diastoles systoles de mon corps vif autrefois 

une branche m’effleure en marchant 

c’est le bras de ma fille petite 

un caillou me fait trébucher 

c’est mon bambin en peine

je me penche je ne marche pas je glisse

courbé vers les ombres

ma voix dit dans la nuit

n’aie pas peur on verra demain 

je me redresse

le rire d’un merle en noir et blanc

a la mélancolie sûre d’un tissu qu’on déchire 

des soupirs rampent sous la haie

au milieu des tulipes graves et des crocus aigus

c’est dans cet antan toujours repris

que m’arrête le roucoulement des tourterelles 

rengaine recours qui dans sa chaude lassitude 

chante le présent résonne au passé

et je gage que ces notes rouleront dans cent ans 

si bien que l’instant est l’éternité 

victoire sourde d’un velours absolu

doux accents d’un flûté préhistorique 

amené à durer ce que durera la terre

la voix grave 

Tout en arpentant le labour entre le mont rêvé et la route violente, je songe, pour me distraire du bruit des véhicules qui me frôlent, aux sons divins que dû percevoir Ulysse attaché à son mât. 

La tricherie d’Ulysse consiste à ne pas s’en laisser conter, à ne pas se laisser avoir par les on dits (les Sirènes nous emmèneraient vers le fond) et à pratiquer les “on-écoute”. Ce qu’il entendit alors fut sans doute le silence; non seulement le “sans bruit”, mais le silence intérieur qui préside à toute création. 

Créant, il se passe ceci: ce qui monte a des allures de battements de coeur, ce fin tambour du corps, la pulsation originelle; mais je m’avance déjà, je crois que ce qu’il entendit est AVANT la pulsation originelle, or ‘avant’ cela veut dire le grave je crois, le grave de toute existence finie, le grave égaré dans la suite des temps et l’infini de l’espace. Il existe en effet une contrebasse qui rôde en raclant, c’est la terre à l’incessante rotation. 

Ce qui trompe c’est que l’on croit que les Sirènes avaient un chant aigu, or la terre ne peut pas chanter l’aigu, n’importe quel marcheur vous le dira.

Dans ma rêverie hantée du très rusé je m’aperçois que j’ai attaqué la première pente du mont.  Me revient alors, en secouant ma semelle boueuse, la formule de Reverdy: “la vie est grave, il faut gravir”; elle cache derrière son sourire, le tragique de notre condition.  

J’insiste sur “grave” parce que c’est ce qui manque le plus aujourd’hui. Ce n’est pas que nous soyons sourds à notre condition, au contraire, nous y sommes plus que jamais exposés, les croyances ayant sombré dans la mer où guettaient les Sirènes; nous voici  implorant quelque dieu qui ne connut la terre que de loin et qui, mistral fou, a soufflé dans les consciences durant des millénaires . 

Or, la situation présente nous amène à négliger le rêve et les dieux. 

Et si nous rêvions pourtant malgré l’évidence. C’est ici que le mont entre en scène. Il est tout habillé de rêves. Je sais qu’il a un nom, c’est vrai, mais la voix grave ne le dit pas. Son élévation est si douce.

la pâquerette

enfuis sont mes pas d’autrefois

ceux de midi pleins de plages de soleils

ceux de minuit grevés d’hésitations

j’étais encombré de rêves inglorieux

de chevauchées carnavalesques

sur les rosses de pensées fortes

toutes livresques

et voici que mains vides 

j’en suis venu à me pencher au gazon 

vers une indolente pâquerette

présente sur l’instant 

je me demande la cueillant

pourquoi soudain le coeur me bat

seconde infime marquée sur le temps 

je vais prélever sa présence

pour sacraliser ce moment

il y aura un avant et un après la fleur

je la pince au coeur du carnet où j’écris

je l’entends qui gémit

et craque sous la pression des doigts

je l’étouffe entre les feuilles

c’est ainsi que dans son squelette sec

je vais la recroiser souvent 

renouvelant à loisir le moment où je la saisis

dorlotant alors sa mince image

éternité portative

métaphore des jours enfouis

nivellement par le bas (16 avril 1917)

le général ne s’était jamais rendu

même à l’évidence

penché sur la carte

obsédé de la cicatrice du Chemin

des Dames

son imagination échauffée par la gloire promise

négligeait le terrain

là où les pauvres allaient ramper

dans l’ascension 

vers la caverne

gorgés de terre 

déjà enterrés avant d’avoir fait

trois pas

ils allaient au massacre

comme des enfants

poussés par Saturne

et lui tranquillement 

tête brûlée

général indifférent au particulier

s’en tenait à la carte

peu lui importaient

les petits paysans les grands africains

ce n’étaient après tout guère que des vies

à la guerre comme à la guerre

nivelons nivelons

mais pourquoi diable

ai-je oublié son nom

histoire de sourires

que sont les sourires devenus

qui m’avaient allégé l’écoulement des ans

j’ai beau ratisser ma mémoire

je les vois miroiter au loin et c’est tout

puis impromptu au détour d’un air

mélodie enrouée

en voici un qui redouble

ce jour canicule

il vibre mirage sur la fontaine

où je m’en viens mains en creux 

pour une lampée de glace féroce

solide confrontation 

où je souris sur l’eau 

on n’est jamais si bien servi que par son reflet

et l’envie d’un autre et le vent qui vient 

porte qui bat que j’ouvre

les sourires à venir s’avancent 

les promises les rencontres belles

un ruisseau de visages

des cascades de mercis du bout des doigts

la vie la vie du jour

infini d’élégances sous les pas

et ces lèvres aux charmilles

où des jardins bourdonnent 

de chants de voix

saluts perpétuels des vivants d’aujourd’hui

heureux temps

derrière la misère d’être

si l’on reprend le flot

de la source à l’estuaire

où l’on se perd dans l’océan de l’âge

j’entends ma vie

et il m’apparaît que 

les dieux n’ayant jamais été

nous sommes au vent de la joie

engendrée sur l’instant

et bien sûr rien d’autre 

rien d’autre

les anciens pièges à mouches à jamais devenus dérisoires

(religions et marchés)

notre aventure s’ouvre

des milliards poussent à la roue

je bascule tu me bouscules

oublieux de l’ancien

nous allons au boulevard

gorgés de nostalgie

alors qu’à tout prendre ce printemps

exceptionnel et vif et joyeux

caracole sur les sommets

de la présence au monde

contre les dévastations d’avant

et d’aujourd’hui encore 

nous étions engoncés

         qu’on nous laisse être enfin neufs