35
lac
horizontalité miroitante
de l’Ailette barrée
le lac écarte les collines de toute sa masse
mais seul importe l’acier de la surface
qui frissonne à la moindre haleine
cygnes et canes y marchent follement vite
solennité des uns ironie des autres
ça cause ça plonge ça dispute
on dirait notre sol vu de loin
calme de notre astre terre contre délire des êtres
folies qui s’insinuent
sur l’apaisé souverain de l’espace uniforme
où l’on se bat pour quelques plumes
avec cet instinct qui occupe le temps
qui prend tout le temps
hante alors la menace de la déflagration terre ciel
quelque chose rôde qui fut ici
hivers d’effroi
je songe au ciel qui a ses reflets devant moi
le lac est miroir bleu l’été noir l’hiver
et ma peau et ma vie sont en jeu
et le lac d’espace soudain devient temps
son calme ne trompe pas
pour le malheur ne désespérons jamais
des êtres ni des canons ni des désastres à venir
les mitrailles et les gars de quatorze
occupèrent la vallée
où l’on médite où l’on doute
où l’on se tait des heures
on y entend la longue épidémie de vivre
jetant aux canards un peu des biscuits
de notre très savante industrie
dont les bêtes se régalent
en toute ignorance