fièvres 35 lac ( mars avril mai juin 2020)

35

lac

horizontalité miroitante 

de l’Ailette barrée

le lac écarte les collines de toute sa masse

mais seul importe l’acier de la surface 

qui frissonne à la moindre haleine

cygnes et canes y marchent follement vite 

solennité des uns ironie des autres 

ça cause ça plonge ça dispute 

on dirait notre sol vu de loin

calme de notre astre terre contre délire des êtres 

folies qui s’insinuent 

sur l’apaisé souverain de l’espace uniforme

où l’on se bat pour quelques plumes 

avec cet instinct qui occupe le temps 

qui prend tout le temps 

hante alors la menace de la déflagration terre ciel 

quelque chose rôde qui fut ici 

hivers d’effroi 

je songe au ciel qui a ses reflets devant moi 

le lac est miroir bleu l’été noir l’hiver 

et ma peau et ma vie sont en jeu 

et le lac d’espace soudain devient temps 

son calme ne trompe pas 

pour le malheur ne désespérons jamais 

des êtres ni des canons ni des désastres à venir

les mitrailles et les gars de quatorze

occupèrent la vallée 

où l’on médite où l’on doute 

où l’on se tait des heures

on y entend la longue épidémie de vivre

jetant aux canards un peu des biscuits

de notre très savante industrie 

dont les bêtes se régalent 

en toute ignorance