fièvres 21 maisons (mars avril 2020)

maisons

21

maisons 

je me souviens du jasmin délicat

qui croissait tranquille en ce mai d’élégance lointaine

contre le crépi ocre jaune 

nous obéissions au gravier du ruisseau 

qui mordait sous nos pas

l’hôte avait laissé la clef sur la porte

et le chemin mon dieu ce chemin

qui menait à la vie hélas quotidienne

il avait fallu songer au présent 

laisser au porche rouge de fleurs  les rêves

organiser penser futur entrer sortir

j’ai encore à l’oreille les grincements

des gonds de la serrure et des corps

les graviers basse continue du temps 

au fait où crissaient-ils

maisons saisons ont été traversées

de mes mots de mes pas de mes mains

parfois les persiennes paupières battaient 

soir et matin

le monde était loin nous étions protégés

et du fond du salon je rêvai mille autres vies

désormais l’épidémie s’enflamme 

d’ennemis invisibles 

alors je chante à tue-tête entre les murs 

j’oublie la vilaine folie d’avril 

j’attends le joli mai qui souffle au seuil 

le priant de faire mourir les poisons de l’air 

j’attends aussi qu’il me laisse

– c’est beaucoup demander – 

respirer le parfum du jasmin 

qui va s’élever sur l’échine du mur 

ami gorgé de mon passé 

invisible et suffocant de finesse