Alban Nikolai Herbst : Misère de la musique (7/9)

Les quatre premiers sons, cors et violoncelles, avancèrent en tâtonnant sur la place, ils hésitaient. On avait l’impression qu’une couverture sonore se déployait dans le ciel et des harmonies accoururent pour soutenir les notes comme un flot irrépressible, débordant. Les basses rugissaient d’on ne sait où, et les hautes fréquences n’étaient pas en reste, se tordant instables et dangereuses dans l’air saturé de vibrations. La musique se déversait à flots parfois bouillonnants, projetée par les hauts parleurs, mais elle semblait sourdre également des pavés, des maisons, de la pluie. Les gens fermaient les yeux, réfugiés sous les toits vacillants de leurs parapluies. Quelqu’un sombra dans une légère absence de soi. Des prophètes de l’apocalypse, flairant leur chance, se ruèrent hors des caves. Personne ne leur prêta attention. Les habitants débouchèrent des rues adjacentes et se pressèrent tous là, les chevilles plantées dans les flaques, dans les caniveaux ruisselants et dans la symphonie.