peupliers

on ne les atteint pas 

poissons droits peignés de rares pluies 

les peupliers s’épilent un peu déjà

le vent d’août émonde leurs troncs du superflu 

quand la belle brume première 

leur fait ce bonnet de servante 

à l’approche de l’assomption mariale 

-de quel monde crèvent-ils le toit  –

c’est insensible et tendre à se perdre 

la nuque appuyée sur les racines 

je vise l’ascension de ces babels 

mais les perchés babillards protesteraient 

à coups sûrs de furieux coups de bec 

ce serait remonter un ruisseau 

en écartant les eaux 

j’entendrais au passage le chant des feuilles 

parent proche des torrents 

et troublé je m’effondrerais 

au pied de la cascade folle 

dont j’envie la remontée

comme ces saumons qui sautent là-bas

s’agacer d’amour 

enfantant cette chair rouge 

qu’on dévore les vendredis d’hiver 

6 réflexions sur « peupliers »

  1. Vous écrivez : “j’entendrais au passage le chant des feuilles “. Ce sont les peupliers qui m’ont fait découvrir le chant du vent dans les feuilles. J’aime leurs petites feuilles triangulaires qui tremblent et tombent , jaunes, en automne. et au printemps, leurs graines floconneuses et légères.
    Claude Monet et Pissaro aimaient les peindre.

  2. Oui, les feuilles sont étrangement petites, ce qui explique le “miroitement perpétuel” sur les grands mâts; d’où sans doute ce que vous dites à propos des impressionnistes. Dans mon petit livre sur Laon j’ai fait des “peupliers” le modèle des “piliers” des églises et cathédrales. Ils sont si droits que le langage ne s’étonne pas de les voir peu pliés. Je les vis comme un peu perdus là haut; difficile de les imaginer autrement que groupés ou (plus souvent encore) alignés.
    Je vois, vous écrivant, que j’ai encore bien des choses à dire à propos de ces maigres géants.

  3. C’est comme un fil de laine que l’on tire entraînant les mémoires d’une vie : regards, paysages, tableaux, sons et musique.
    Vous avez en plus la connaissance d’une autre langue riche de poésie et d’art. Je me souviens de la présence des peupliers dans votre écrit sur Laon.
    Merci pour ces écritures croisées.

    1. Patronyme oblige, chère Christiane, les arbres me sont chers. Leur jaillissement si bien surpris par Rilke m émerveille, la symbolique est richissime, mais finalement on en oublie le concret de la chose la relation au livre par exemple, qui touche au coeur de la chose. Et vous avez raison de faire la relation avec mon petit livre sur Laon. Les “Vivants piliers” de Baudelaire ne sont pas très loin. J’essaie au contraire de la clarté philosophique (vous l’avez très bien vu) d’emmêler; le but est d’élargir le regard, le senti au plus vaste, si bien que mes textes sont moins des poèmes que des rus; le fantasme derrière c’est d’écrire sans arrêt, que la vie à écrire remplace la vie à souffrir, mais il n’y aurait bientôt plus rien à dire puisque la monde se ferait absent comme la rose du magicien (absente de tous les bouquets) et ce n’est pas cela que je veux; au temps de la détresse je veux au contraire rassembler recroiser tresser tricoter faire couler tout ce que ma vieille mémoire me chuchote en sous main. C’est coton !

  4. Voilà bien longtemps que j’attendais ces mots : “si bien que mes textes sont moins des poèmes que des rus; le fantasme derrière c’est d’écrire sans arrêt, que la vie à écrire remplace la vie à souffrir, mais il n’y aurait bientôt plus rien à dire puisque la monde se ferait absent”.
    J’écris poèmes en regard avec la forme versifiée que vous adoptez. Souvent je gomme cette forme et raccroche les lignes pour mieux comprendre. Vos écrits me font penser aux affiches déchirées, autrefois, dans le métro. J’aimais relever des indices dans les déchirures pour comprendre ce qu’il y avait eu en-dessous. des palimpsestes… C’est en cela que vos textes sont inépuisables. Mille bifurcations comme dans les nouvelles de Borges. Vous et vos doubles… La trace d’infinies bifurcations, ce croisement des vies des uns et des autres. Vous êtes comme un rescapé, d’où votre part d’obscurité, d’où la répétition du temps. Vous écrivez par effraction dans les déchirures de l’encre, dans une durée virtuelle, imprévisible, laissant murmurer les mots qui se cognent et s’éveillent. Votre écriture transpire et charrie tout un monde de fragments. Vous êtes bien dans cet entrelacs comme dans un… nid !

  5. C’est bien ça chère Christiane, même si les accents de ce que vous dites sont un peu trop flatteurs pour ma musique. Tiens j’ai écrit musique. C’est peut-être le terme qui convient. Souvent je dis “chant”, mais je ne saurais décrire ce chant, cette musique avec des expressions qui me décrivent de l’extérieur et dont je devine seulement qu’ils correspondent en effet à ce que l’on peut voir, là-bas, du côté de l’autre, lorsque je vous lis. On ne peut être dedans et dehors. Entrelacs est joli avec son singulier pluriel et va bien aussi pour dire l’obsession presque animale à enclore le texte (poème?) de tout un système voulu et non voulu de syllabes qui s’encouragent comme les gouttes se pressent au ruisseau pour former ce petit filet glacé et qui se veut si chaud. Entrelacs cependant ce sont des brindilles, des bouts, qui à force d’être tressés forment une grille, puis un mur, puis un texte. La lumière y passe un peu, ce qui m’étonne mais est essentiel.
    Votre “bifurcation” me plaît infiniment. Fervent de Borges, je dis : oui, j’espère. Il y a de la malice dans l’air c’est sûr. Un tel réseau croisé, forcément.
    Passager d’un réseau de “taxis” (métaphores) qui me prennent en relai.

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