Les souterrains de laon (4)

La nef noire

La nef noire
La nuit attire l'amour. On peut être certain que des couples se sont forgés sous la pierre, sculptant à jamais, doigts serrés, ardente chamade, des amours illégitimes, puisqu'on ne pouvait pas s'aimer au jour des rues, dans l'éclat des places; par ailleurs la nuit de la cité  était peu sûre. Les souterrains aux petits murs effrités qui donc se croisent, amènent à se retrouver. Ces vies de taupes parallèles et inverses dessinent dans leur ombre des étreintes telles qu'aucun amour vivant au plein de la vie lumineuse ne connaîtra jamais, car l'interdit (cette drogue) augmente les sensations à une puissance décuplée. Les piliers qui soutiennent parfois les salles aujourd'hui désertes - comme la nef du dessus au moment des offices - font songer à une nef noire où des messes frauduleuses, noires elles aussi, purent être célébrées librement. Les souterrains courent dans tous les sens si l'on veut bien chercher les passages. C'est au mépris des appartenances et des propriétés si bornées en surface, tellement emmurées, coupées soigneusement du voisin. Au-dessous rien de tel. Il n'y a plus d'autre. Le respect a fondu. C'est l'anarchie des corps, des classes, des sexes, des appartenances sociales, prêtres, servantes, maîtres et maîtresses, malfrats et nonnes. Bien sûr on a pu reproduire ici ou là  les fameux murs mitoyens du dessus qui font la misère et la joie des juristes, mais cela semble fragile, la nef noire aux mille chemins du rêve, aux mille abîmes du cauchemar étant un monde à part où tout circule, où tout peut arriver. C'est l'internet ouvert à tous en forme de réelle présence sous la terre. Quand l'amour se noue sans guide social officiel, c'est la passion certes (Tristan et Iseult en témoignent), mais la folie s'accroît dans l'écorce du couple illégitime, et le sans limite des souterrains dit que dieu est absent et que tout est possible. 
Le crime guette pourtant. La vengeance dans la nuit des amours impossibles s'abat sur les pauvres diables et diablesses, victimes de leur passion. Avide d'écarts, Satan se pourlèche à l'idée de tant de victimes potentielles. 
Les pervers de tout poil ont beau jeu de surprendre les naïfs qui s'adorent dans la nef défaite de lois. Car l'inconscient pulsionnel, que figurent si bien les souterrains, regorge de ces assassinats et meurtres qu'on ne voit habituellement qu'au théâtre sous la lumière des sunlights. Ces pièces existent justement pour purger nos passions. Œdipe et Hamlet sont eux aussi les victimes du souterrain, mais c'est un souterrain où l'on parle, alors que la nef noire, elle, scène obscure, résonne de mille voix étranglées, de chuchotis subtils, et la parole y est le plus souvent absente: les baisers empêchent tout discours ou l'on meurt sans un mot.
L'écho répercute mon appel, mais les souterrains sont si vastes que c'est tout un peuple qui tout à coup me répond. Souterraine folie des hommes qui retentit dans la griserie inquiétante de son délire.

17 réflexions sur « Les souterrains de laon (4) »

  1. De pire en pire ! je crains la parution du cinquième épisode des souterrains de Laon. Soleil vert est battu. La science-fiction de Raymond est démoniaque (sourire !).
    Donc, demain, si je suis le mouvement oscillant de vos créations, peut-être un été radieux avec soleil, vent doux, fleurs, chants d’oiseaux, rivière cristalline et un Raymond heureux !

      1. Heureuse de vous avoir fait rire. Mon frère riait moins. Il vient de passer deux heures sur mon téléphone. Ma boite e-mails est en décalage avec l’ordinateur. Un labyrinthe pire que vos souterrains ! Dans le cinquième texte à venir, après les messes noires et les couples un peu bizarres, allez-vous nous trouver des squelettes ? Pres de chez moi, Les Catacombes où je ne suis jamais descendue malgré les files d’attente remarquables. Si ça vous dit, n’hésitez pas !!!
        Entre vous et Soleil vert, mes deux blogs préférés c’est une toile digne des Caprices de Goya !!!
        amitiés.

        1. Ah oui la nef noire, les catacombes! bien sûr !
          Ce texte sur la nef noire j’en rêve encore. Au réveil ce matin j’ai composé une phrase qui allait bien avec. Je ne la retrouve plus. Elle venait de la nuit. un jour je la retrouverai, elle s’imposera et je ne me souviendrai plus qu’elle venait de ce texte…. que j’aime beaucoup.

  2. C’est un texte magnifique. j’aime beaucoup la police de caractères choisie. elle renvoie à un texte tapé sur une vieille machine à écrire.

  3. Mercredi, c’était la dernière de La Grande librairie. Des auteurs invités évoquaient un livre qui les avait marqués. M-H. Lafon a évoqué un livre que je ne connaissais pas C’est la guerre de L.Calaferte. Je le lis. Bouleversant. Il avait onze ans… Il raconte, dans son village, comment la guerre a tout changé. Transcrivant les dialogues des adultes qu’il ne comprend pas toujours. C’est énorme, savoureux, cruel. La bassesse s’infiltre et lui enfant ne comprend pas ce qui jette les hommes les uns sur les autres, les réfugiés, les insultes, les dérapages. Un livre qui vous séduirait, Raymond. A lire de toute urgence.

    1. Pour Calaferte vous avez sûrement raison j’en ai lu autrefois. C’était profond et alerte. L’adjectif vient avec son nom. Très belle littérature ! Un jour je le lirai vraiment (pas en bibliothèque veux-je dire).ça devrait m’aller comme un gant s’il est question des adultes cruels!

      1. Je crois qu’il a votre regard d’enfant sur les adultes qui l’entourent. Cette guerre qu’il traverse de 11 à 15 ans c’est l’apprentissage d’une société transformée ou révélée par la guerre. Le style est incroyable dans “C’est la guerre”. On entre par la langue dans la pensée de l’enfant puis de l’ado. Beaucoup d’amertume, de lucidité.

  4. “C’est l’internet ouvert à tous en forme de réelle présence sous la terre.”
    Que voulez-vous dire ?

    1. les souterrains bifurquent, c’est un réseau immanent, il n’a plus rien de la transcendance cathédrale (tout en la parodiant). L’internet est un réseau difficile à saisir, on doute de sa présence. Il est à ramifications horizontales – du moins les vois-je ainsi – chacun peut de “connecter”. j’ai lu une parenté entre els souterrains qui se croisent et nos réseaux qui communiquent.
      C’est sans doute un souvenir des rhizomes de Deleuze… mais je suis bien incapable de vous en parler avec précision. Ce sont images flottantes.
      J’espère que je me fais comprendre…

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