Le blanc (1)

(Ecrire des poèmes c’est forcément penser au blanc qui termine la ligne commencée en noirs caractères… que se passe-t-il?)

Le renvoi interruption de la ligne, c’est quand je m’enfuis d’avoir osé.
Le blanc est menace; sa présence accélère, force mon propos.
C’est un silence qui vient à contre sens cogner contre la parole écrite.
Il se fait un sacré bruit, un bruit sacré, quand la parole rencontre le blanc.
Les mots sont des fruits suspendus au dessus d’un lac de silence ( “Moitié de la vie” Hölderlin).
Le passage à la ligne est une danse qui s’invite à l’intérieur de la parole. Mais elle menace de tout saccager à cause du court laps de temps où je n’écris pas.
Mon rêve est que la parole ne cesse jamais: que le blanc surgisse et c’est la défaite; c’est pourquoi il faut un autre vers puis un autre.
Pour les petits poèmes je suis sur une mer de glace; les vers se réchauffent et se protègent mutuellement.
Le blanc c’est toutes les couleurs, donc il faut contre ce brouillage multicolore, gribouillis, inventer un monde stable, clair, le plus clair possible.
Le blanc est une avance dans la neige; chaque parole est une trace de pas qui affirme ma présence.
Je pense ici à la neige qui déborde partout et tout le temps dans le château de K. Il s’essouffle(tuberculose). On ne connaît pas la fin. Ou plutôt on la connaît trop bien.
Le blanc c’est l’évanouissement après avoir été présent. On voit de quoi il est question.
Le blanc c’est le “tu ne chanteras pas” que l’on trouve à la fin de tous les Asterix; bâillonné, ficelé; je n’ai jamais souri de voir le barde rendu muet.
Son contraire est le “bon génie” qui enchante la maisonnée toute blanche; le musicien.

Ce qui fait l’espérance du blanc non écrit c’est l’envol du cygne, le futur, où dans un instant le pur présent éphémère va faire lever l’écriture.

6 réflexions sur « Le blanc (1) »

  1. “Reste – à quoi le trait n’a pas touché – reste cela comme futur. Couvert, sans doute, le papier ne le sera jamais.”

    Ce qu’en dit André du Bouchet de cette page blanche…

    1. André du Bouchet utilisait beaucoup le blanc comme mode d’écriture, au beau milieu; comme Cézanne négligeait d’emplir la toile qu’il considérait achevée. André du Bouchet voyait sans doute le texte comme un tableau, ce que personnellement je n’aime pas tant que ça. Ecrire est musique d’abord rythme, échos et chants. Parodiant le philosophe: Je pense donc je suis tout ouïe.
      Je suis prêt à changer d’avis évidemment.
      Parlant du Blanc j’ai dit “divertissement”, certes. J’entendais musique, amours, goût des couleurs qui m’habillent, cuisine du plat préféré, ce que Hölderlin appelait “périssable pensée” et qu’il recommandait vivement, comme remède au trop vif au brûlant de la parole poétique (“Le sacré soit ma parole”); que n’a-t-il suivi son propre précepte!
      Un temps pour la messe, le reste, la majeure partie du temps, pour la vie dite quotidienne. Je n’approuve pas ce poète français disant à regret mais plaisamment; “Dieu, que la vie est quotidienne”.
      Ce divertissement (le temps perdu) élabore en outre en sous-main dans l’inconscient la chair de poésie. Poésie n’est pas rêverie seulement mais également mélange de terre qui résonne de nos voix étourdies et de paroles, de vraies paroles, souffle de dieu sur l’argile qui fait l’être humain.
      C’est Proust regrettant le divertissement, la vie gâchée, puis constatant que finalement c’est de ce gâchis qu’il a construit sa cathédrale. C’est vrai que le travail est épuisant – tout reprendre – et l’imagination n’aide pas, non c’est le niveau de mémoire qui compte: ni trop superficiel, ni trop profond; le travail est ainsi une poigne de fer qui sous le souvenir maintient le long fil, ne se perdant jamais dans les détails, et au contraire faisant des détails la chair du chant.

      1. André du Bouchet, un immense poète. Lire ses carnets, ses poèmes c’est accéder à ce manque qui donne naissance à la poésie. Un cri qui déchire la blancheur de la feuille.

  2. C’était pourtant si beau cette citation… Le blanc du papier que l’encre ne recouvrira jamais totalement car toujours vous aurez à écrire.

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