Le blanc (2)


Parlant du Blanc j’ai dit “divertissement”, certes. J’entendais musique, amours, goût des couleurs qui m’habillent, cuisine du plat préféré, ce que Hölderlin appelait “périssable pensée” et qu’il recommandait vivement, comme remède au brûlant de la parole poétique (“Le sacré soit ma parole”); que n’a-t-il suivi son propre précepte!
Un temps pour la messe, le reste, la majeure partie du temps, pour la vie dite quotidienne. Je n’approuve pas ce poète français disant à regret mais plaisamment; “Dieu, que la vie est quotidienne”.
Ce divertissement (le temps perdu) élabore en outre en sous-main dans l’inconscient la chair de poésie. Poésie n’est pas rêverie seulement mais également mélange de terre qui résonne de nos voix étourdies et de paroles, de vraies paroles, souffle de dieu sur l’argile qui fait l’être humain.
C’est Proust regrettant le divertissement, la vie gâchée, puis constatant que finalement c’est partant de ce gâchis qu’il a construit sa cathédrale. C’est vrai que le travail est épuisant – tout reprendre – et l’imagination n’aide pas, non c’est le niveau de mémoire qui compte: ni trop superficiel, ni trop profond; le travail est ainsi une poigne de fer qui sous le souvenir maintient le long fil, ne se perdant jamais dans les détails, et au contraire faisant des détails la chair du chant.

9 réflexions sur « Le blanc (2) »

  1. L’écriture d’André du Bouchet n’est pas du tout ce que vous en dîtes .

  2. Le poète André du Bouchet meurt à Crest, dans la Drôme, le 19 avril 2001. Philippe Jaccottet, très ému, écrivit ce texte “Truinas” dans la nuit du 20 au 21 avril.
    Il écrivit, rapprochant un passage de la dernière lettre reçue de son ami* d’un poème de Hölderlin (tous deux traducteurs du poète), suivaient d’autres réminiscences Schubert, Goethe, Celan, Monteverdi…
    Il neigeait… cette nuit-là et le matin de l’enterrement.
    *(Dans la dernière lettre reçue d’André du Bouchet datée du 31 mars, ces mots : “Arrivé à Truinas dans une merveilleuse tempête de neige…”)
    P.Jaccottet se souvint de ces vers d’Hölderlin dans “Mnémosyne” :
    “Et la neige comme des muguets de mai qui signifie
    Noblesse d’âme, où
    Qu’elle soit, brille…”
    Voici, pour vous , Raymond, dans tout ce “blanc”, un passage de ce très long texte suivant l’enterrement à “Truinas” :
    “(…) la surprise de la neige qui avait transformé si rapidement le paysage (…) ce saupoudrage sur toutes choses (…) le contraire du rêve ; et là-dessus, la neige légère, comme les plumes abandonnées par une migration tardive.
    La rencontre à peu près, impossible à dire, de la neige sur les fleurs commençant à s’ouvrir des pommiers ; touches de rose dans tout ce blanc.
    Le froid, la boue, les rochers éboulés, le verger en fleurs; mais aussi ces deux chevaux couleur de beau bois, immobiles ; et les gens qui marchaient là, et ce sentiment naïf qu’ils étaient tous des amis (…)
    Et cet autre sentiment, en moi du moins, encore plus étrange, qu’il n’y avait pas de vide, pas d’absence, que le cercueil était vide (…)
    Un filet maillé de paroles qui rassemblait, qui enveloppait comme un manteau, mais qui n’enfermait pas, n’emprisonnait pas ; puisque toutes les paroles choisies alors disaient un passage, étaient elles-mêmes passage (…)
    Voilà donc comment, il peut arriver que s’entretissent le visible et l’invisible, les choses de la nature, les bêtes, les êtres humains, vivants et morts, et leurs paroles, anciennes ou nouvelles, ainsi que le chagrin(…)”

    C’est ce texte qui me donna envie de découvrir l’étrange poésie d’André du Bouchet. Des pages couvertes de neige et les mots comme des empreintes de pattes d’oiseaux.

    1. Oui, oui, continuons nos citations croisées. Il y a toujours quelque part quelqu’un qui pense autrement, et donne à rêver notre condition avec un autre costume. J’aime beaucoup vos pattes d’oiseaux. Et la “merveilleuse tempête de neige” que je n’aurais jamais osé décrire ainsi. C’est beau, agrémenté par la citation d’Hölderlin si heureuse.

      1. Oui, Raymond, la poésie nous vient mystérieusement, limpide ou opaque. Certains poèmes restent impénétrables , d’autres résonnent en nous, longtemps.
        La page devient un espace mental. L’écriture n’y est plus seulement linéaire, figurative, logique. La prose est plus facile d’accès.
        Le poème surgit du verbe traverse tant de silence.
        La vie de André du Bouchet découverte par ce texte de Jaccottet. La présence d’Anne de Staël, de Marie sa fille. Cette inhumation dans une tempête de neige, sans titre religieux, juste des lectures qu’il lui a fallu revivre dans ce long travail d’écriture (3 ans ) : “Truinas” ce 21 avril.
        Tout cela m’a emportée au seuil de l’écriture d’André du Bouchet en commençant par les blancs à cause de la neige. Et cela s’est réveillé au moment où vous-même éprouviez le besoin de méditer sur les blancs de la page, de votre vie jusqu’au chuchotement du poème.
        Vous-même, vous jouez avec l’espacement des mots par un pic sur lequel la lecture de casse et se continue à ligne du dessous.
        C’est comme une respiration, une discontinuité. C’est le poète qui se bat avec la langue.
        C’est drôlement courageux de prendre la plume ainsi, de répondre à un espace qui semble avoir besoin d’être couvert d’écriture.
        Les petits élèves ( les plus jeunes) que j’accompagnais à la bibliothèque ne comprenaient pas qu’écrire est un travail, un métier. Ils disaient : “Mais leur vrai métier c’est quoi ?’
        Quant aux livres qu’ils lisaient, ils avaient beaucoup de difficultés à imaginer comment ils étaient nés. La librairie ou la bibliothèque leur paraissaient être à l’origine du livre. Seule la pratique de l’écriture et de la lecture leur permit peu à peu d’imaginer qu’on puisse écrire une lettre, un livre, un poème.
        La page c’est un lieu. D’extérieur, il peut devenir intérieur. Un lieu parfois insituable.

  3. Un joli souvenir me revient. J’avais, avec la complicité d’un imprimeur, conduit mes petits élèves de six ans ( en plein apprentissage de le lecture et de l’écriture) dans une imprimerie où ils purent voir certaines de leurs phrases ou mots composés sur les cadres servant à l’impression, caractère par caractère, puis imprimés sur du papier sous leurs yeux émerveillés. Ce jour-là, ils voulaient tous être imprimeurs ! Ce qui est le chemin qui vient de l’écriture ….

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