Les étincelles

J’ai encore à l’oreille les pas du cheval tirant vers le soir la charrette sur la rue de ce bourg calcaire, rebricolé à la hâte au beau milieu des ruines de la seconde guerre ; le véhicule porte des planches et des moellons vers des fermes attenantes qui laissent monter dans leurs murs des voix humaines auxquelles se mêlent braiments et froissements de paille, dominés par les déchirures d’un coq en panne d’inspiration cherchant avant la nuit un écho à son appel. J’entends encore les sabots de l’animal de trait sur l’asphalte blanchie par les blocs de craie contre lesquels je trébuche ; je tremble au passage de la bête aux flancs huileux et qui, quatre fois plus haute que moi, va m’écraser si je ne plaque pas mon dos au mur… Je cours, je cours. Ah, les gambettes sous une culotte courte sans forme que la mère ravaude en maugréant sous la lumière électrique lorsque l’épuisement du jour ennuagé fait place à la nuit sans étoiles. Le nez contre l’oreiller, le rythme des sabots me revient comme une palpitation brutale d’où jaillissent des étincelles ferraillantes, petits éclats vifs qui disent contre l’évidence qu’avancer en cahotant sur la bonne voie peut éveiller des notes plurielles, accords visuels réguliers qui chantent dans mon endormissement l’espérance d’un cœur qui éprouve le monde.

Ces étincelles du soir au ras de la charrette sous les pas du cheval sont ce qui me reste du temps où les rues ne tremblaient pas encore sous les pneus des transporteurs efficaces, tracteurs gorgés de diesel traînant des tonnes de betteraves, puis camions avisés presque souples qui allaient bientôt dévorer les espaces que j’avais arpenté jadis à pas lents, de retour de l’école, avec pour seule crainte le passage du cheval à la tombée du jour. Je garde ainsi précieusement dans mon sommeil l’image merveilleuse des étincelles qui craquent dans la nuit sous les pas de la bête.

Le temps du cheval de trait n’est plus et soudain le vertige me prend : le cheval était depuis la plus haute antiquité le moyen de transport privilégié. Dans ma vie j’ai vu ce monde s’effacer complètement. Restent les étincelles, origines du chant.

Laisses

Parfois je m’arrête d’écrire, je vais ici ou là, je jardine songeant à Voltaire, puis d’autres écrivains voltigent autour de ma mémoire … viennent s’y mêler anciennes musiques, antiques propos, tableaux multiples, et vivant, vivant, je donne à tous ce qui leur manquait lorsqu’ils dormaient enclos dans leurs pages compilées ou accrochés aux cimaises des salles des pas perdus où la nuit, des gardiens très techniques, les surveillent du coin de l’œil, attentifs au moindre craquement. Mon esprit au présent les nourrit de ma vie : je veille à leur chevet et je ne parle plus, même la voix intérieure cesse de me dicter ses remuements. Peut-être l’art n’est-il là que pour faire taire la voix… non, c’est plutôt pour la faire parler autrement.

Depuis ce socle assuré j’aventure mes pas et le reste, les hontes, les humiliations, les terreurs n’existent plus ou à peine – au loin certes cela miroite là-bas d’éclats de lave obscure – à deux doigts, à vingt mètres un cerisier s’ouvre si bien, tu sais j’ai appris à entendre la brise passer sur les pétales, j’ai appris à deviner les pâleurs criantes à venir qui se marieront pourtant à l’océan du ciel, j’ai tant appris. La terre a beau m’attirer à elle, je me doute que j’entendrai encore bien des années les coups de ciseaux des martinets entre les murs dégrisés du couchant et le ressac qui manque tant au moment où je pose ces mots.

J’attends beaucoup des laisses qu’on aperçoit sur les plages, ma vie en dépend puisqu’après tout c’est le lieu où l’eau et le sol se touchent, déposant comme une culture naturelle des chefs d’œuvres d’argent vif que les enfants seuls ou presque apprécient alors que les contours sont au plus précieux de Cézanne, la ligne souple de Proust fidèle, le bord de la voix Debussy. Je souris : les laisses attestent que quand la mer se retire, mon enfant, la joie d’avoir été ne disparaît pas comme un souffle, elle flotte entre deux, tu vois, comme l’écriture et autres moments hallucinés des fondations qui demeurent et nous font demeurer.

Les havres éternels

Puis sur la pointe des pieds elle avança vers le forsythia, je la vis là-bas sur le goudron que le couchant dorait, son pas mettait en pluie les secondes passant d’aujourd’hui au jadis et retour, vive présence de l’existence suspendue à travers son avancée réelle et pourtant ralentie ; son cou soulignait un repli de cheveux que j’avais entraperçu dans mes errances, était-ce quand les branches de troènes bas griffaient mes tympans ou quand libre encore je me voyais déjà revenu de toute épreuve parce que j’avais enfin vécu plus de temps dans l’enfance qu’il ne m’en restait à parcourir pour être adulte? C’est si loin. Elle me faisait signe du bout de ses cheveux maillés de boucles infimes que je voulais toucher comme un drapé de jour qu’on rêve de froisser pour qu’il se passe quelque chose ; sa musique crépitait sous les semelles, elle reprenait le rythme d’une lente rengaine qui parle d’amour et de bateaux qui reviennent lorsque le soleil frappe au plus droit de nos contrées variables et fraîches. J’ai tant de havres en mémoire.

A l’instant, ma vie, ma longue vie tentait je le vois bien de me rejouer la jeune saison alors qu’au reflet de la vitre obombrée maintenant je réalise mon âge, visage grisé d’adulte en fin de course. J’entends à partir de ces cheveux qui surgissaient ce soir un peut-être oublié qui signe la liberté d’aller au milieu des silences, magie d’un soir dans la réalité du jamais plus, lorsque chaque pas compte sobrement l’énergie qui me reste et que je me crois cependant habité d’éternité, non de ce que j’écris, mais dans le moment où ces mots me sont dictés.

La cuisine d’Héraclite

« Il faut retenir le propos que tint, dit-on, Héraclite à des visiteurs étrangers qui au moment d’entrer s’arrêtèrent en le voyant se chauffer devant son fourneau ; il les invita, en effet, à entrer sans crainte en leur disant qu’il y a aussi des dieux dans la cuisine. » (Aristote :  Parties des Animaux )

L’invitation d’Héraclite est une bien curieuse façon d’accueillir les étrangers. S’il les avait fait entrer dans la pièce principale où gronde le foyer – et donc les dieux, les ancêtres (les photographies qui trônent sur nos buffets) – il aurait agi noblement, les aurait honorés comme il convient. Les recevoir dans la cuisine est une familiarité où l’humilité le dispute au trivial car c’est là que le fourneau – le feu utile – métamorphose les objets produits par la nature afin qu’ils deviennent des aliments consommables.

J’y vois cependant la preuve de la confiance qu’il faut porter aux étrangers ; en pénétrant dans la cuisine, ils deviennent d’emblée nos amis. Les grands dieux officiels qu’on célèbre dans la pièce principale – l’équivalent de la cérémonie du canapé où l’on dit : installez-vous confortablement ! – sont ici éludés au profit de ce lieu où gargouillent les plats et où debout nos mains s’affairent tranquillement : plaisir de la nature que l’on travaille avec une ingéniosité toute personnelle ; la cuisine c’est nous et le salon c’est pour les autres, qu’il s’agisse de personnes réelles (visiteurs) ou fictives (télévision ).

L’humilité de l’accueil dans la cuisine dit à peu près : je vous reçois dans ce modeste sas entre le monde extérieur et l’intime. Je ne redoute pas votre indiscrétion et ce qui mitonne sur le fourneau est là aussi pour vous ; je vous donne à partager mes secrets et mes plaisirs.

On n’oubliera pas que cette anecdote est contée par Aristote dans son traité sur les Parties des Animaux : dans le feu de la pièce principale on aurait sacrifié un cuissot aux grands dieux ; sur le fourneau de la cuisine mijote le nécessaire, la viande cuit, les graisses se déposent et les fumées emplissent le petit espace réservé.

Mais alors pourquoi Héraclite dit-il « qu’il y a aussi des dieux dans la cuisine » ? Où sont-ils ? Pour répondre à la question il suffit de se laisser guider par le fumet de la cuisson des aliments qui passent du cru au cuit… et les dieux sont là, dans la nature certes des légumes et de la viande et dans la culture tout humaine où l’imagination élabore ses petits plats pour le plaisir du corps ; mais ce sont avant tout les hommes, cuisinier et invités, qui sont divins à leur manière car ils relèvent de notre article premier : tous les hommes naissent libres et égaux en droit. Oui, les étrangers, nous les connaissons bien, ce sont nos frères de la famille humaine qu’on introduit sans façon dans la cuisine, accueil spontané et joyeux, chacun portant la forme vivante du sacré, que nous nommons aujourd’hui respect ou dignité, si bien que celui qui, folie, détruit notre fraternité, mérite à peine le nom d’homme.

Mains et bricolage

Je m’interroge souvent sur l’oubli des mains qui furent autrefois essentielles à toutes activités ; il y eut la main, puis les machines et enfin la technologie : on s’est éloigné des mains, comme l’a fait de la valeur or à travers la papier monnaie et la carte bleue.

A part lorsqu’elles courent sur le clavier de l’ordinateur, je n’utilise mes mains que rarement. En amour, en amitié… guère davantage.

Le bricolage heureusement est demeuré : c’est ce temps étrange où je dois faire passer par mes doigts un défaut auquel je vais remédier. Parfois ce n’est qu’un changement d’ampoule : ce n’est rien qu’un noir qu’on remplace par la lumière, visser dévisser, tranquille assurance du système préparé. Plus souvent le bricolage est un acte qui exige patience et imagination. Je ne trouve pas la solution immédiatement. Je suis avec ma panne, je deviens ma panne ; je pourrais faire appel à un artisan ; je m’y refuse, par bravade sans doute, pas pour gagner trois sous, il y entre une forme d’honneur dont j’ai dit ailleurs le ridicule.

J’insiste. Bras ballants, je me perds dans des considérations sur le temps qui use tout, mon esprit s’embrume d’une légère colère contre les matériaux qui ne tiennent pas face à la lente furie des jours, et ne se plient pas à ma volonté : je n’ai pas la bonne clef, le tournevis dérape, je ne comprends pas comment l’objet défectueux fonctionnait. Chaque panne m’oblige à des efforts d’imagination : comment a-t-on conçu cet objet, pourquoi le temps a-t-il dévoré son usage, que puis-je faire pour lui redonner un second souffle ?

Je m’aperçois alors que je n’avance pas. La solution ne vient pas. La matérialité des choses refuse de céder. Et soudain, en un réflexe qui m’étonne, je m’assieds et je pense. J’imagine. Il arrive que je fasse autre chose, promenade, écriture, lecture, mais j’entends courir en sous-main l’obsédante présence du manque, du défaut, de la machine en panne, du mécanisme à réparer. Je laisse passer la nuit, puis la journée, puis une autre nuit. J’entends l’objet qui proteste ; au quotidien son non fonctionnement me gêne. Je fais en sorte de l’oublier alors totalement. Ma mémoire n’en veut pas. Je chasse l’intrus.

C’est à ce moment que la solution s’impose à moi sans que je l’aie voulu ; un matin, la lumière jaillit, j’ai ressassé sans m’en rendre compte la plaie matérielle au corps de la maison et la réparation est déjà faite avant que je commence mon approche nouvelle. Témérité, résolution. Je suis d’autant plus ravi que ma réparation va se faire avec des matériaux que je possède déjà : c’est la définition du bricolage, telle qu’on la trouve aussi bien chez Levi Strauss que chez le bricoleur du dimanche (dont je suis). Parfois c’est un passage de sèche-cheveux pour dégeler une canalisation, un coup de tournevis à donner dans l’autre sens, une pièce à libérer d’un coup de cutter… peu importe. On sent que la mécanique obéit, que la matière cède sa froideur à mon esprit. La main pense. Le monde matériel rend les armes ; petit Prométhée de banlieue, je songe que je suis à cet instant à l’aube de l’humanité… cette intelligence doublée d’imagination projective est ce qui nous sépare des bêtes, c’est ce qui a fait notre décollage hors du monde instinctif des animaux. Préhistoire rejouée, rien de plus réjouissant.

Et j’en viens à penser que l’oubli des mains que j’ai évoqué est un mythe d’administratifs urbains et réglés, car l’artiste, le cuisinier, le chirurgien, l’infirmière (sans parler des artisans) bien des vivants donc usent de leurs mains pour élaborer ou réparer la matière morte ou vivante. Je songe aux millions d’instrumentistes qui donnent à rêver à partir de la matière brute qu’ils font vibrer ; je m’en sens proche. La musique aussi est une victoire sur le temps. Et je me plais à méditer sur la joie du bricolage, domination de la matière qui s’use, empire que je prends sur le flot des heures où tout est voué à la destruction. Ma réparation est une victoire contre le temps. Modeste fierté qui fait qu’on rêve mieux. Musicien sans partition, confronté à la matière glacée, je me réchauffe les mains au feu de ma victoire que personne d’autre que moi ne connaîtra.

Récemment j’ai acheté une ampoule spéciale, sorte de spot, pour éclairer une petite pièce. Je l’avais installée il y a des années et je ne savais plus comment l’objet fonctionnait. En considérant le nouvel objet à remettre en lieu et place de l’ancien, j’ai lu que ce spot était garanti 20 000 heures. J’ai changé cette ampoule fixée par un clips particulier en prenant tout mon temps ; je refaisais l’histoire de son installation, mes découpes au plafond, cette manière que j’avais eu de chantourner le bois qui entourait l’endroit de fixation. Je sentais qu’une profonde mélancolie s’associait à tous mes gestes. Je me dis d’abord que j’étais visité par le travail d’autrefois: un miroir placé à hauteur d’homme me renvoyait de moi une image vieillie qui recroisait le souvenir que j’avais de moi à l’époque où je fis cette installation. La petite tristesse ne voulait pas me quitter. J’entendais autre chose. Et c’est lorsque tout fut terminé que, ramassant l’emballage, mon regard tomba une fois encore sur la garantie du spot : 20 000 heures!

Ainsi cette ampoule dont je ne faisais que des usages intermittents allait durer au delà de ma vie ! Voilà ce qui me hantait : je devenais une manière d’étoile dont l’éclat brillerait encore longtemps après ma mort.

Souvenir du sentier initial

Il en est mille. Ce fut le mien. Sous la neige bien sûr on a l’impression qu’il n’est pas très praticable, mais dans mon souvenir globalement je vous assure ce n’était pas si mal.

Ah oui, au début il était escarpé, ronces, gifles des branches de buissons fous, les cris surtout les cris contre ma joue ; je fus tympanisé de voix : la grave et la soprano sourde, plutôt mezzo au fond, puis parfois mes propres aigus dans le couloir, oui au début du chemin il y avait un couloir, des chambres et des cris, comment vous expliquer jusqu’à l’orée de la forêt obscure où enfin on trouve un semblant de début de soulagement, eh bien pendant tout ce temps je n’ai eu qu’une hâte : arriver à l’orée, là où le chemin bifurque enfin vers la liberté grande de la nuit adulte. Car au plein jour il faisait vraiment une chaleur de désert, j’ai peu bu, j’aurais aimé me désaltérer sur cette sente mince, mais je ne sais pas, cela ne s’est pas fait, je n’ai pas croisé de cascade où l’on rit, ni de ruisseau où l’on patauge tout son soûl. Non ce premier chemin à découvert, presque nu, ne m’a en définitive je vous assure laissé aucune sensation de fraîcheur ; ma mémoire peine à trouver plus de deux ou trois joies dans l’eau saumâtre. Quantité de musiques me rappellent que la peine parfois fut douce…

Mais bon n’épiloguons pas puisque une fois dans la forêt des immeubles et des cimes affolées, j’ai vu venir lentement vers moi des promeneurs sobres qui m’ont indiqué le chemin et auxquels j’ai fait partager mon expérience des embûches crapuleuses. Parfois boueux, le sentier fut je vous assure bien mieux que son début décevant (pour ne pas dire désespérant). Curieusement je n’ai jamais éprouvé de mérite à avoir traversé les épreuves du sentier initial. C’est seulement ensuite, en me retournant à cette orée, que j’ai senti, à la souplesse de mon pas, aux facilités de la marche, que la voie exposée au soleil des brutes avait été pénible ; cependant j’en ai eu grande joie, car j’ai compris que j’avais fait le plus dur. Je dois dire que la forêt des villes m’aida beaucoup à ne pas m’enfoncer dans les ruminations : j’y trouvai bien des esprits éclairés et des mains franchement amicales. J’ai eu beaucoup de chance.

Après, l’avancée à travers la forêt jusqu’à l’obscure lumière de mes jours présents, ce fut la vie de tout le monde : un chemin pas si mal… je ris, excusez-moi… je l’ai déjà dit.

La Déliaison 4/4

4 (vers l’an 2000)

(Elle chante a cappella l’ «Ave Maria» de Schubert. Il intervient après quelques mesures. Elle cesse de chanter dès qu’il parle).
Lui 
Dieu
Prie pour nous
Prie nous
J’ai entendu sous le porche d’une église une jeune femme chanter
Ce vieil air d’éternité qui dit la solitude
Sa voix fragile mordait doucement aux secondes futures
À ses pieds un homme accroupi semblait tenir ses cordes vocales
Depuis, je ne suis plus le même
Dieu
Prie pour nous
Pour que cela revienne
Elle 
Cela ne reviendra pas
L’espace entre ta voix et Dieu s’est empli de confort
Je pousse mon caddie aux allées du marché
Cueillant au paradis des choses
L’aliment qui remplace le pain
Jamais nous ne fûmes si bien
Gras et riches en paix,
Comme des rois mourants
Nous allons
Lui 
Jamais je ne fus si mal
Si seul
Ordinateurs pour toute corde, pour tout lien,
Prairie de lettres noires à moissonner
En bavardage criant sur clavier silencieux,
Prose au ras du bitume
Elle 
Jamais je ne fus en pareille paix
Dressée dans les coins amoureux de rues aux gouttières impeccables
Seule
Lui 
De quoi te plains-tu,
Elle 
De rien,
Tout est bien
Mais j’aimerais moins de salle des pas perdus
Et davantage de vraie main trouvée,
Aux doigts violines du sang qui bat
Lui 
Allez, allez, pas de plaintes, tant pis,
Nous sommes au confort, belle amie,
La boîte à images endort nos envies de meurtres,
Nous que la mort naturelle, seule, peut faire craquer
Elle 
Je danse sur la corde qui fut notre lien
Lui 
À ce propos, as-tu remarqué qu’en un jour
Souvent
Nous ne touchons pas un instant la terre
Elle 
Le goudron me gêne le pied
Scrupule ajouté à la rotondité des champs
Lui 
Ça coupe
Ça élève
Elle 
Ça enlève le poids des voix
Oh, il n’y a plus de pluie
Lui 
Ni de froid ni de vent
La veine amère bat à mon poignet pour presque rien
Tiens
Elle 
Non, non, je sais
J’ai la même chose à vendre
Le baiser s’est usé aux avant-gardes des TGV d’acier
Lui 
Ainsi va-t-on
Vœux luxueux de nos bras bien peu aguerris
Chargés seulement des sourires de l’enfant qui a bu
Elle 
Des avions têtus m’emmènent tous les soirs
Lui 
Des bateaux partent au port des aubes ouvertes sur rien
Passez votre chemin, on ne découvre plus,
Il faut annoncer la nouvelle du froid revenu
Elle 
J’entends les coups de grisou de la lune affolée
Lui 
La nuit est descendue dans la pleine lumière des techniques
Sans fin, sans fin,
Un plastique lumineux a remplacé nos cabas
Elle 
Nous sommes tous beaux et cabossés déjà
Au début, dès la naissance,
Nous avons déjà trop bu, trop vu, trop connu,
Lui 
Le faux prophète tend la main
Rêveries d’argent
Sans terre au pied
Chèque obsolète
Carte bleue moissonnant une richesse qui ferait croire au jour nouveau
Elle 
Je mords au pain
Et je me lasse
Et je me laisse aller à me taire bruyamment
Sur les boulevards embrumés de vapeurs sans mystères
Lui 
Parfois, pourtant, je m’en vais,
Il n’y a plus d’hommes ni de moteurs
Je vais seul en forêt
Et je redeviens humain
Les tourterelles enchantent les voûtes des peupliers
Elles s’enfouissent sous le gris des saules
Elles ne veulent plus me voir
Se moquent de moi,
Enveloppées dans la lisse perfection de leurs plumes intouchables
Tandis que les troncs rouges des pins perdus
Tendent leurs exclamations vers le couchant,
Et c’est alors que je suis vraiment homme
Plus jamais seul
Elle 
La chance demeure, ami,
Elle est au chant
Lui 
Oui, mais pas avec toi,
Nos plaintes sont effarantes, inutiles,
Tu as raison sur tout
Et je ne te comprends pas,
Elle 
Je ne t’entends pas, je ne te vois pas,
Mais au monde, rien ne m’échappe,
Ni l’efficace froideur des pneumatiques
Ni leur cortège d’éclatements vains
Ni la splendeur des acacias de juin
Baignés après la pluie du gris des jours déjà joués
Avant l’été, mon Dieu, avant l’été,
Oh tu te souviens des gels et des rosées
Lui 
Oui, ce furent les mêmes, mais tu voyais autre chose,
Nous ne partageons plus,
Plus rien,
Jeunes, nous avons rêvé en commun pour nous plaire
Mais vois les autoroutes funèbres au travers des sillons
C’est toutes les directions
C’est toi, c’est moi,
Elle 
C’est toi surtout qui ne te fixe plus
Tu as laissé les papillons, tu oublies les coquelicots
Et l’océan de septembre qui s’abat pour rien
Où es-tu,
Lui 
Non, je n’ai jamais trahi, ni les lames ni les vagues,
Mais les mots trop nombreux nous font vraiment défaut,
Le ressac des phrases mille fois dites contre le silence salé
Voilà ce qui me noue la gorge
Elle 
Je voudrais rechanter, réenchanter le petit monde de chez nous
Déployer les richesses du lieu qui nous faisait les aubes vertes
Et les soirs appuyés sur les arias de la jeune espérance
Lui 
Ce qui manque, c’est la nuit,
Nous avons déversé de partout un trop plein de lumière,
Absence de lune, soleil voilé,
Oh les criquets d’été sont morts dans les parkings protégés
Et les tickets de train sont nos identités,
Où veux-tu chanter,
Elle 
Ici je chanterai, ici je danserai,
C’est le dernier salon où l’on cause
Où l’on parle
Où le silence a le droit d’être dit,
Donne-moi ta main
Nous allons refonder un monde à perte de vue
Un monde à gains d’amour
Lui 
Rêvons, en effet,
Mais pas tout de suite, la main,
Le bout des doigts peut-être,
Pour dire qu’il y a quelque chose
Au-delà de la vieillesse des mots profus et mécaniques
Elle 
Tu vas voir la danse rebattre les contre-temps
Et les diastoles systoles qui hantent nos appartements cossus
Lui 
Chante que nous habitions ce monde
Chante
(Elle reprend l’ «Ave Maria» de Schubert, il l’interrompt au même endroit qu’au début)
Lui 
Dieu
Prie pour nous
Prie nous
J’ai entendu sous le proche d’une église une jeune femme chanter
Ce vieil air d’éternité qui dit la solitude
Sa voix fragile mordait doucement aux secondes futures
À ses pieds un homme accroupi semblait tenir ses cordes vocales
Depuis je ne suis plus le même
Dieu
Prie pour nous,
Pour que cela revienne.

La Déliaison 3/4

3 (1900)

(Ils sont face à face ; ils se tiennent par la main)
Elle 
Non, ce dix-neuvième siècle finissant
Tout s’en va
Regarde les disputes adultes que nos mains contrarient
Lui 
Je crois que ce sont les assiettes et les chemises à laver,
Avec la soupe du soir revient la mésentente
Elle 
À force d’usage
Les casseroles font un bruit de tonnerre,
Avoir traversé tous ces champs de lavande d’amour
Pour ça
Lui 
Bleu froissé des habitudes
Nuages de mois
Brouillards d’années
Oh, la bruine des décennies
Tout s’en va, tu as raison
Elle 
Ta peau s’est tannée
Lui 
Tes mains crèvent de fébrilité
Elle 
Oui, au grenier des nostalgies
Où je vais quelquefois
Les meubles remisés s’embuent de poussière rose
Et mes mains dessinent sur la commode d’ébène abandonnée là-haut ton visage souriant du premier jour
Lui 
Regarde, parfois nos bras reprennent l’ancienne tendresse, n’est-ce pas,
Elle 
Alors redonne-moi dans ta marche le bel allant d’avant
Lui 
J’arrive, je m’en viens crissant sur la gravière des eaux écoulées
Elle 
Passons, passons, je ne veux pas seulement cela,
Je veux tes mains qui me prenaient comme des montagnes
Tes grands yeux neufs chaque matin au-dessus de tes cheveux défaits
Comme avant
Lui 
Allons, regarde-moi
J’ai progressé, c’est vrai
Je veux dire que mes pas ont risqué mille allures
De l’amble au galop
Et j’ai couru toujours plus vite
Vers la maturité
Toujours plus vite
Elle 
Tu vois,
Nous avons été vivants, vifs comme le vent,
De la cuisinière au charroi de blé dur jusqu’à la moissonneuse
Et vois les crevasses sur ma peau,
Trop de rides sorties, trop de colères rentrées
Lui 
Et mes tempes filles du temps ont pris aux champs le froment qui couvait chaque juin dévoré
Elle 
Tu te regardes trop
Et moi, et mes mots, pourquoi es-tu toujours ailleurs
Et quand tu parles
J’entends bien que tes cordes vocales ne se tendent que pour pendre nos rêves,
Déchire-moi si tu veux mais qu’au moins il se passe quelque chose
Ma main ne fera rien contre le crime de désamour
Ma main ne bronchera pas
Lui 
Non, non, les crimes viendront bientôt
N’en rajoute pas, je t’en prie,
Nous n’irons plus au bois
Puisque la guerre s’y met comme on le dit de la gale et des poux
Elle 
Oui, la guerre couvait au tout premier baiser
Le progrès des machines et l’usure de nos corps, croissance féroce,
Viennent chaque jour bousculer nos évidences
Oh, ces évidences de bois que nous avons patiemment sculptées,

Regarde, les voici mordues par l’acier qui s’avance
Carapaces du mal
Lui 
Carapaces des hommes, plutôt, fondues dans les usines puantes qui se dressent en lieu et place des coquelicots rouges sang
Elle 
Dire que tu étais moi
Lui 
Dire que j’étais toi
Elle 
Et le feu maintenant
Lui 
Celui d’amour, oui, le feu d’amour s’est entremis,
Il brûle entre nos deux corps
Il fait place nette
Laissez passer le silence
L’ange gras du progrès et ses théories
L’exterminateur glacé invente au jour le jour le bien-être qui broie nos jardins, crève nos coussins, meurtri nos oreillers
Elle 
Souviens-toi, âne bâté devenu locomotive, automobile,
Nous courions sur deux jambes à travers les halliers
Lumineux, chantants et divinisés avant de laisser notre âme au ciel
Lui 
Oui, nous voici bien vivants maintenant
Mais pour combien de temps
N’entends-tu pas le recul vibrant des canons
Et la gloire nationale qui s’en va chantant d’un même pas pressé
Tous ces bruits vont déchirer nos corps, nos tympans et faire taire nos voix simples
Elle 
Il va falloir mentir dans la foule féroce des cités populeuses
La crasse s’est mise au cœur,
Amplifiée par le côtoiement des boulevards
Lui 
Mille bras se lèvent au ciel dépeuplé,
Et notre amour, dis, notre amour se délie
Si je ne t’ai plus, qui dira les enfances d’avril,
Celles qu’en novembre on s’échangeait entre deux draps,
Elle 
Allez, marchons vers l’horizon plat de cette terre
Lui 
Oublions le ciel et toi
Elle 
Il n’y a plus que moi
Lui 
Il n’y a plus que moi
Elle 
Soyons Dieu
Lui 
Folie nécessaire, inéluctable,
Je ne t’aime pas,
Non que je le veuille, mais je ne le peux pas, je ne peux pas t’aimer,
Bloqué, je suis en attente de moi,
C’est moi que je vois aux tulles qui se ruent contre nous
Et la danse seule peut raviver ce que nous ne sommes plus
Elle 
La musique soit notre lien
Et les corps esquissés dans notre dos
Sans visage et sans loi
Diront la déchirure de nos deux corps
Qui reculent d’effroi de se voir en haillons,
Ils flottent et s’effleurent
Au Noroît du décembre éternel
Lui 
Mais les corps enlacés des danseurs
Mimeront le souvenir des belles amours bleues
Ils nous arracheront un moment hors du violet creux de solitude
Elle 
Danseurs, dites-nous l’espoir
Insufflez le mensonge qui rôde
Fantômes de moi perdu
Lui 
Fantôme de moi
Aimez-moi
Elle 
Non, moi, moi, moi
Lui 
Oh, toi, toujours toi,
Elle 
Et alors,

La Déliaison 2/4

2 (vers 1800)

Lui 
(Seul) Et puis, il y a deux siècles, enfin j’ai pu dire ‘je’ parce que tu es apparue,
Nous avons rêvé de fleur bleue et d’étoile comme tes yeux, je me souviens encore de ce moment où nous avons
(Il s’interrompt)
Mais je parle d’elle alors qu’elle n’est pas encore là (Il la cherche),
Que je ne l’ai pas encore rencontrée,
Je rêve, je rêve,
Elle 
(Elle entre, loin de lui)
Je rêve, il est déjà sur la terre,
En un lieu que j’ignore,
Dans une peau que je sens sous mes doigts,
Que j’aspire à travers le parfum des lilas, de l’entêtante présence des troènes,
Dans l’adolescence du tout petit juillet,
Il traîne sa solitude ombrageuse, pas malhabiles, mal comptés,
Il n’a d’yeux que pour moi
Et ne m’a jamais vu,
Lui 
Je me demande si le meilleur moment d’aimer n’est pas juste avant,
Elle : Avant le coup de foudre,
Quand sur l’air saturé des histoires du jour,
Mille cordes tendues entre ciel et terre claquent ensemble,
Inaugurant l’aventure d’amour qui guettait depuis l’aube,
Elle
Je n’attendais que cela,
Mes mains mineures n’étaient que désir de toi,
Elle 
Comme l’ivraie montante et le blé encore vert assoiffé de soleil, toi,
Lui 
Après, quand je t’aurai vue, je boirai le mérite de tes lèvres
Et je saurai que c’est fini,
Elle 
Puisque ça commence,
Puisqu’il n’y aura plus d’avant,
Lui 
J’étais seul, je suis seul, voilà qui est nouveau,
Bientôt nous marcherons par deux dans la rosée que nous déferons de nos pas,
Elle 
Viens, approche-toi, sur le modèle des toiles de tulle, là-bas,
Dont la brise lève les fibres,
Lui 
Vois les corps sans visage qui sont tous les sourires,
L’esquisse de ta bouche et la marque de ton corps,
Lorsque tu vas t’éloigner,
Elle 
Mais je suis là,
Lui 
Il y eut un printemps, te voilà,
Je le sais, tout est dit,
Elle 
Non, tout est annoncé, toi vers moi,
Lui 
Jure-moi que c’est toi (Il s’approche, elle ne bouge pas)
Elle 
Attends encore,
Donne-moi le temps, dis-moi la bonne distance,
Lui 
Le tact, n’est-ce pas, le tact, le respect annonce la seconde où je te toucherai,
Où j’imagine que tu me toucheras ,
Elle 
Vois comme c’est beau de tarder sur le « pas encore »
De nos peaux encore un peu seules
(Ils se prennent la main)
Lui 
J’entends tes ongles sur ma paume,
La peur fuit sous les aigus majeurs de ta voix encore un peu encordée par l’enfance,
Toi, enfin,
Elle 
Toi, toujours, voilà, c’est joué,
Lui 
Non, les jeux ne sont pas faits,
Ils ne le seront jamais,
Cartes distribuées, c’est vrai,
Mais l’instant où l’on entame la partie n’est plus d’aucune pendule,
Elle 
Ta main, ta main, l’autre main, vite, ose dire je t’aime,
Sachant que c’est la première fois,
Lui 
Non, avant, promets-moi, jure-moi
Elle 
Que veux-tu que je te jure,
Lui 
Jure-moi que nos « je t’aime » seront toujours une première fois,
Qu’à chaque fois que j’aurai ta voix demandant si tu m’adores
La tranquille assurance de ma réponse mimera contre le temps les épousailles présentes,
Dis-moi que tu seras sûre de moi,
Elle 
Oh, je le voudrais, je le veux,
Mais, ça y est, j’ai le poids de tes phalanges contre mon cœur,
(Elle lui serre la main contre elle, se dresse pour atteindre son cou de l’autre main)
Lui 
Ta peau est plus douce que je ne l’avais imaginé,
Et tes mains me referment à l’endroit imprévu, là,
Au juste lieu de ma nuque qui cède,
Elle 
Je veux aussi tes yeux,
(Sa main glisse de la nuque vers les yeux)
Tes pupilles, verte présence musicale,
Où le bleu et le gris se disputent constamment la lumière,
(Elle passe les doigts sur ses deux cils, presque à distance, tandis qu’il la prend à la taille, comme pour danser)
Jamais deux yeux ne se séparent,
Regard mobile sous les arcades des paupières,
Pauvreté des formes, richesse infinie des nuances,
Ne me déplais jamais,
Lui 
Pourquoi veux-tu que je me fasse peur,
Te déplaire serait m’exposer à la quantité fluide de la rivière,
À l’anonyme de l’enfance à cru, pauvre de mots,
Où nous avons pleuré,
Elle 
Alors donne tes ultimes larmes puisqu’il n’est plus de fin désormais à notre duo défait d’enfance,
Lui 
Non, non, la nostalgie est morte,
Adolescente femme, regarde l’étrangeté,
À peine découvrons-nous notre existence que nous nous chargeons du cœur de l’autre,
Du rythme de ton sang, de la langueur de tes bras
(Il lui caresse de haut en bas, les épaules jusqu’au poignet)
Elle 
Oh, mon corsage effleuré est une toile ferme sur laquelle tu te dessines à jamais.
Lui 
(Il se sépare) Revenons à l’essentiel, ne nous perdons pas, nous avons toute la vie,
Elle 
Ne t’en va pas,
Lui 
(Souriant) Mais je n’ai jamais autant demeuré, mon amour,
Simplement, brûler trop près, c’est risquer de te perdre,
Elle 
C’est cela être adulte, n’est-ce pas,
Lui 
Oui, c’est quand je suis à distance que je peux vraiment dire que je t’aime,
Elle 
Mais, nous serons en fusion, quand même,
Lui 
C’est vrai, parfois, parfois seulement,
Le reste du temps, c’est-à-dire presque toujours,
Nos vacations seront, amour,
Entre table en désordre et lit défait,
Elle 
Entre l’oubli de toi et l’enfant qui joue à nos pieds,
Lui 
Derrière les tentures que nous aurons choisies,
Au-delà des baies vitrées d’où la lumière tombera,
J’aurai, à deux pas, l’immense présence de toi,
Elle 
L’immense présence de toi,
Lui 
Tu sais,
Elle 
Non,
Lui 
Entre temps nous danserons,
Nos avancées hors d’amour,
Nos gestes, tous nos gestes, nos pas, tous nos pas, même ailleurs, même loin,
Ne seront qu’une danse unique autour de l’essentiel,
Elle 
Tant que la danse sera,
Lui 
Tant qu’elle sera,
Elle 
Tu seras là,
Lui 
Non, c’est toi qui seras là.

La Déliaison 1/4

Ce texte a été conçu pour être dit sur scène par deux acteurs, une femme et un homme; c’est un argument pour une chorégraphie et il a été donné comme tel il y a une décennie. Il peut cependant être lu comme une rêverie sur la passion. Ce sont peut-être des vers. Chacune des quatre parties s’efforce de décrire ce qu’il en est de l’amour selon les époques arbitrairement choisies et où le seul ordre est chronologique. Il s’agit d’une description de l’évolution du sentiment amoureux à travers les siècles, depuis le moyen-âge jusqu’à l’époque contemporaine en passant par la fin du XVIIIème et du XIXème siècle. La déliaison décrit la lente libération du sentiment amoureux à travers quelques périodes de notre occident. Les époques sont explicitement indiquées au début de chaque « scène ».

1 (moyen-âge)

Elle 
Souviens-toi, comme nous étions liés,
Lui 
Écrasés au sillon, crevés des charrues, le ciel était notre seule ouverture
Elle 
Oh oui, les nuages qui couraient à notre place, mais souviens-toi aussi de la terre, j’entends encore les pas dans le petit enclos du village qui nous était le monde,
Lui 
Les jours assassinaient nos brèves vies, il fallait prendre vite, et les lèvres de printemps et les rayons trop fous d’été,
Car la froidure guettait,
Elle 
Mais la pierre, la pierre,
Que nous avons dressée soudain pour nous relier, nos genoux s’usèrent au pavement des chapelles à force de prières,
Lui 
Le grand manteau blanc des églises, des pierres levées aux clochers bleus,
La pierre était belle, c’est vrai, tu as raison,
Nous n’avions pas que le vain pas des labours,
Elle 
Oui, les reflets, souviens-toi, les reflets des vitraux sur ton visage,
Tu as été jeune et beau, et les statues du porche en témoignent,
Lui 
Peut-être, peut-être, mais l’audace de mes mains à pousser la charrue pour le pain,
À tirer la pierre pour l’église, oh, à quoi bon puisque l’hiver venait,
Elle 
Au jeu du souvenir les moments se confondent,
Or, souviens-toi que je mis au monde des soleils, des petits d’homme aux lèvres de vie épatantes,
Combien, combien, tant d’amour à pleines poignées, des câlins et des larmes qu’on essuie, garçons et filles,
Tellement vite morts,
Parfois aussi de grasses mains rudes grandissantes nous étaient relais du temps qui nous fracassa d’un coup de froid,
Au fond d’automne,
Lui 
Voilà, nous étions nous, et tout était contre nous, et le ciel seul
Elle 
Justement, n’as-tu pas vu un jour de ciel bas, avant la nuit,
Tant de fois les rayons se glisser entre nuages et horizon, cascades droites, impeccables,
Qui nous furent chaque fois un signe de présence que nous avons repris
Dans les obliques de nos églises, de la terre vers le ciel,
Lui 
Peut-être,
J’ai eu mal au cal des mains, les gerçures m’ont submergé,
Si tu veux que je te montre,
Elle 
Nous sommes liés, tu le sais bien,
Lui 
Hélas, hélas,
Elle 
Mais cesse de t’acharner à dire que ce ne fut que glas et faux-fuyant des jours,
Tes mains crevassées étaient des montagnes pour mes yeux, la peine fut belle,
Lui 
J’ai déjà dit à peu près la même chose,
Elle 
Oui, et je le répète,
Lui
Mais liés, nous n’avons jamais dansé,
Elle 
Tu oublies que main dans la main, nous allions couper les lauriers grinçants du violoneux,
Âmes dansantes des villages, tu les vois, dis-moi, tu les entends encore
Lui 
Le chemin vacillant aux confins des horizons, voilà ce que je vois,
La terre tremblante d’août,
Et surtout, j’entends nos terreurs de novembre où la terre ne donnait plus,
Et nos angoisses de mars où la terre ne donnait pas encore,
Elle 
Tu oublies les fêtes et les feux de St Jean,
Oh, vivre toujours dans la lumière,
Nous avons espéré en juin, je donnais aux enfants la promesse de l’aube tous les soirs, mains jointes,
Heureux survivants aux peaux fluides,
Lui 
Danser, tu disais danser, sans doute, peut-être,
Mais tous, toujours tous,
Même nos enfants, les petits survivants, étaient condamnés à la tenure, à la terre,
Aux errements fragiles des cœurs qui s’usaient à trimer,
Elle 
Avoue pourtant que les fins de moissons avaient des airs de paradis,
Que le craquant doré des chaumes augurait nos dents mordant le pain gris qui nous faisait du bien au ventre, aux bras,
Aux ciels que l’on ne craignait plus,
Lui 
Chanter, danser, je n’ai jamais appris, je n’ai pas eu le temps,
Elle 
Tu oublies, chère voix, tu oublies,
Lui 
Nous sommes-nous jamais aimés,
Puisqu’il faut lâcher le mot, aimer, aimer, toi, moi,
Elle 
Pas vraiment, je ne faisais pas de différence entre joindre mes mains pour prier et te serrer dans mes bras pour t’aimer,
Aimer comme ça, à cru, à vif, non, je ne comprends pas,
Lui 
Moi non plus, mais je crois deviner,
Elle 
Deviner quoi, puisque nous étions tous, dis-moi,
Lui 
Presque rien, ces tulles peintes au fond, regarde,
Elles sont l’écho lointain de nos misères,
Elle 
Et de nos conquêtes, bien sûr,
Nous voilà sur ces tulles mouvantes présentés à nouveau, c’est nous,
Lui 
Certes, ce n’est pas loin de nous,
Mais où sont les visages,
Ceux que nous avons porté à l’intérieur de nos imaginations, invisibles comme Dieu,
Elle 
Oh, et si visibles pourtant, le dimanche et la nuit dans nos rêves,
Lui 
C’est cela deviner, voir par avance ce que l’on ne verra pas,
Mes enfants, où êtes-vous,
Et moi, où suis-je,
J’entends encore mes pas sur le chemin d’hiver,
Je revois mon visage aux flaques d’eau glacée où je me cherchais en vain comme sur un miroir,
Elle 
Je fus ton miroir,
Je te disais combien tu étais grand et fort,
Et je te chantais aux enfants avant qu’ils ne s’endorment,
Je les berçais de toi, de Dieu,
Lui 
Mais tu disais « danser », je me souviens des rondes, oui, c’est vrai,
Cercles enchantés que nous inventions à la lumière miroitante des saules,
À l’orée des forêts, où d’habitude nous tremblions, où nous avions tellement peur,
Lorsque nous nous y aventurions seuls et froids,
Elle 
N’oublie pas les danses,
Elles étaient cœur qui veut,
La joie venait toujours après la peine,
Lui 
Je devine ce que disent les tulles peintes,
Visions fragiles des vitraux qui furent nos seuls émerveillements,
Elle 
Nous avons peu vécu,
Lui 
Savons-nous même si nous avons vécu,
Elle 
Viens, délions-nous pour mieux nous rapprocher des autres
(Ils délient leurs liens et reculent vers les danseurs)
Lui 
Venez amis, dansez pour nous,
Et chantez avec vos corps ce que nous avons deviné,
Elle 
Oui, chantez avec vos corps,
Puisque nous n’avons pas su dire les mots,
Lui 
Soyez nouvelle présence de l’ancien, de nous,
Elle 
Vous êtes vivants, vous, aimez-nous, aimez-nous,
Lui 
Aimez-nous, merci, merci,
Elle 
Venez, merci,
Lui 
Tout cela est-il bien réel,
Puisque je fus si bref au monde,
Elle 
Oui, mais quel éblouissement,
Laisse faire la destinée et les danseurs,
Allez, viens,
Merci d’avoir été, venez, danseurs,
Lui 
Merci d’avoir été, venez, danseurs,
Elle 
Adieu,
Lui 
Adieu

La terre en friche

Ce n’est pas la terre, telle qu’on la chante depuis deux cents ans, deux mille ans et même davantage qui m’intéresse ici, ni non plus cet astre menacé par les activités humaines, non, c’est la terre oubliée qui m’arrête, celle que nos pneus n’effleureront jamais, celle que nos pas n’éprouveront jamais, celle qui – hors chemins – végète et déploie tous ses plaisirs d’eau, de lumière et de croissance pour presque rien, dans un vert jamais vert, plutôt bleu, roux, blanc, selon l’inclinaison du jour (l’arc en ciel sur une tige d’ivraie) puisque rien n’est stable, ni notre regard, ni les éclairages du temps qu’il fait. Il me semble que cette autre terre, (avec les océans qui la recouvrent, mais pas seulement, il est tant de terres en friche) est notre chant délaissé et pourtant pur ; mais pur de quoi ?
Pur de notre présence sans doute : s’il faut reprendre son contraire, la geste des villes, je dirai qu’elles sont l’oubli ; les cités sont cet oubli que l’histoire tente de combler (ou sa version présente : la politique), mais elle ne comble rien, car je ne donne pas cher de la peau des rues, ni de l’ombre jetée sur les places de nos villes : marronniers et platanes, que faites-vous là ? Comme un chemin gravillonné mime la plage, ces arbres plantés disent l’oubli de la terre négligée des pas. Les villes vont de guingois, abandonnent la présence, fabriquent des esprits échauffés qui parfois explosent de rage ; des mains nerveuses bricolent une histoire que ces coléreux s’imaginent décisive.
Croire que sa vie est la vie, c’est folie de citadins qui s’émeuvent mutuellement, pauvres enfants persuadés que papa (et surtout maman) les regarde à l’ombre des tours.
La terre en friche est notre futur ; elle oblige à aller voir ailleurs si je n’y suis pas. Et là où je ne suis pas croît l’espérance.
La page blanche est l’autre nom de la terre en friche.

mélancolie

Les secondes et les pas au lieu de dilater son moi donnaient l’impression d’un jour sans vent où les nuages fixes, du haut des bleus, narguent le petit terrestre.

Il se voyait statue de granit que plus rien ne touche, stupeur coincée dans ce paradoxe qui veut à la fois le cœur battant et l’immobilité, lorsque l’encre est presque antipathique de précision.

On était en mai ce qui aggravait son silence intérieur: tout croît et chante, lui se voyait déclinant et muet, novembre au crâne, souriant pourtant, ange accroché au porche pluvieux d’un parvis cadenassé.

Il approuvait sans réserve cet état d’oubli, soliloquant sur la vérité d’acier qui, en plein soleil, pleut l’évidence modeste du presque rien, le rien enrobant de sa peau de plomb le peu du peu de ses rêveries à peine levées, déjà étouffées.

Entre les visages, les rues, les frissons de voix et le fond sensible qui lui servait d’accueil, un vernis incolore s’était posé au monde, plastique gris à travers lequel le temps même, semble-t-il, ne laissait plus se dessiner aucun contour.

Il éprouvait l’absence à soi en trébuchant sur les pavés, étonné que des pousses soient parvenues à s’imposer parmi les pierres puis songeait tout à coup que cette plante entre deux blocs était un texte né.

La voix d’argent

Tu n’as jamais expliqué, murmura la voix d’argent, pourquoi tu avais nommé ton ensemble de textes « Je peins le passage ». Tu pourrais peut-être en profiter en ces premiers jours de printemps, non ?
Si j’évoque la voix d’argent, qu’on n’aille pas s’imaginer une voix brillante, renvoyant soigneusement ses éclats vers les mille horizons, car au fond de sa gorge – je parle de la voix de la visiteuse – rôde un argent presque terni, des nuages ont passé constamment sur sa voix et les brumes y demeurent accrochées. Je me doute qu’on va entendre une voix effacée, rien n’est plus faux : c’est comme toujours un rire étouffé, on dirait que les cordes vocales sont enrobées dans la soie et que chaque mot prononcé se voit contraint de faire craquer l’enveloppe souple qui se reforme aussitôt ; je ne sais pas pourquoi je songe aux préludes de Fauré, cette douceur brillante cachée sous la couverture des notes lourdes, passées et repassées au fil des tonalités lointaines et qui se touchent pourtant, comment font-elles, qui peut le dire ? Il reste que l’auditeur de la voix de la visiteuse, entourée d’un monde, avance dans le temps sans voir les changements puisque les cordes vocales résonnent longtemps, oui longtemps, et nul ne sait quand leur vibration cessera. Oh, elle s’arrêtera, ces sons n’étaient pas destinés à rester, sauf que la mémoire curieusement s’accroche à l’éphémère de ce craquement prévenant, ce déchirement presque douloureux et le souvenir le cultive, infinie douceur d’un aveu toujours remis, la visiteuse a je crois parfois les sons cachés du glas, mais je n’en suis pas sûr et c’est cela qui dure, non la voix mais l’incertitude sur le sens réel de la voix d’argent gris, la voix dont je boirais volontiers tous les mots s’il m’était permis de les deviner avant que la voix les prononce. J’ai mille amitiés à transmettre sur le fil de cette voix dont j’entends le rire aussi, je l’ai dit, un rire de bleu caché sous les coussins du diable, l’affaire de vivre, le rire, cette absence dans le silence royal des pavements marbrés où le passé demeure, puisque les rides ont mordu dans ma façade usée, tant de nuits, tant de nuits.
Ah, j’avais oublié la question !
Le printemps est un printemps : ainsi peint-on le passage ; on ne dit pas LE printemps, à quoi bon, ce n’est jamais le même. Oh, je sais bien qu’abstraitement, comme ça, je peux définir le printemps, rien de plus simple, les petites fleurs, les amours de feuilles tendres au vert coquin qui bascule dans le transparent à la demande, oh, oui, cela je peux le dire… allons, n’importe qui sait dire cela. Or ce printemps qui arrive, tu sais toi ce qu’il dit précisément à l’instant où tu écris ? Non, non, cela va de soi. Et je comprends mieux pourquoi j’en suis resté à la voix de la visiteuse, elle au moins quand elle me reparlera, aura ces mêmes accents que j’ai décrits plus haut et donc j’aurai l’espoir que cela dure un peu … alors que le printemps, mon dieu, ça va vite, et puis on a bien le temps d’en reparler, non ? Si je considère l’espérance de vie moyenne des hommes, il me reste encore un peu moins d’une vingtaine de printemps. C’est largement pour gloser sur ce moment dont je regrette déjà l’emballement des chatons au bout des brindilles. La tendresse perce, j’aimerais en retarder la survenue toujours trop rapide… non, c’est ainsi et tout est bien.

Réveil au château (4/4)

Enchanter le présent : un verre suffit, mieux encore une vision, le château, un lac, mais au fond je m’interroge sur l’absence obsédante de tout être humain :
« Nous sommes des milliards et il n’y aurait ici que nous deux ?
– A dire vrai, murmure-t-elle en froissant légèrement sa robe dans la porte-fenêtre qu’elle emprunte (où était-elle toute cette nuit?), je vous trouve audacieux d’affirmer que nous sommes deux.
– C’est juste, je crois comprendre…. au fait, pourquoi me vouvoyez-vous, je croyais que…
– Cela dépend de l’air du temps. Celui de ce matin, à cheval sur le froid et le chaud, incite à l’élégance modérée du vous ; les buissons rougissent, les oiseaux rebricolent leurs nids soufflés par l’hiver et notre peau, vous l’avez noté, s’assouplit de la tiédeur arrivant sur les pas de l’air fluide.
– Vous entendez que le chant nécessite la distance ? dis-je.
– Voyez comme vous devinez ma pensée ! Pour chanter il faut le vide là devant, sinon rien ne résonne et nos rires risquent gros à demeurer dans ce château confiné où nos présences s’attardent.
– Vous voulez que je m’en aille ? fais-je précipitamment en me dressant sur les draps. »
Cette nuit au château a été d’une profondeur inhabituelle, un délice, à tel point que j’ai éprouvé mon réveil comme une menace… vont revenir mes nuits de surface où, défait du beau, dépris du chant grave de nos voix qui s’échangent,je vais retrouver ma peau et la loi qui veut que tout tombe.
Elle chasse de la main mes paroles, mes pensées (qu’elle lit sans effort) :
« Il n’y a aucune urgence, prenez vos distances dès que vous pourrez, sinon, à l’intérieur de ce château qui n’est rien d’autre qu’un banal pavillon de centre ville, vous allez vous noyer dans le chant des évidences qui bientôt ne charmeront plus que vous-même.
– C’est la rude école de la page blanche !
– Comme vous y allez !
– J’exagère évidemment, dis-je en lissant devant moi la couverture froissée. Ce pauvre cliché pour dire qu’il va falloir relancer la mélodie !
– Tout vous y incite mon bon ami. C’est la saison du réenchantement, allez, allez, ne faites pas cette tête !
– Quelle tête ?
– Vous savez bien ce que je veux dire : prétendre au chant et effrayer ainsi votre vitalité avec des fantômes, tout cela est inconséquent !
– J’attends, dis-je. Je suis une sorte de convalescent.
– Vous n’avez jamais été malade ! »
Son rire dans le matin encore brumeux résonne à peine, mais ma mémoire l’enclot à l’instant où elle referme la porte sur nous.

Toujours le château! (3/4)

Comme s’il me fallait compenser l’empan court de mon pas, je gravis allégrement les marches deux à deux, les sensations se pressent : pont, porte, marches d’entrée sont les lieux que je préfère ; là se fait un silence unique, souriant, amusé ; je ne suis jamais aussi solitaire que dans cet entre deux, tout autant que l’oiseau qu’on voit miroiter sur le fond velours du ciel, vertigineux, à cent pas de la terre.
Je pousse la porte, persuadé que le château est vide et je le dis à haute voix à la Visiteuse qui me suit. Un doute me prend, je me retourne, elle a disparu ; elle avait sans doute mieux à faire, d’autres rêveurs à visiter, vieillards délivrant leurs dernières paroles, jeunes gens submergés par le trop plein des mots, comme je la comprends… or, il se trouve que d’emblée, en tournant la poignée de cuivre de la serrure souple, une chaleur douceâtre me charge les épaules, un tapis s’avance sous mes pas, on entend sans la voir une présence dans ce que je croyais être une suite de pièces poussiéreuses : diable, diable, songé-je, me voilà frais, ce qui ne correspond en rien à mes sensations… oh, la douce tiédeur de l’air sans doute alimentée par une cuisinière à bois ; j’en perçois les craquements, j’en goûte dans mon haleine le piquant calculé et au lieu de faire le tour du propriétaire comme l’aurait fait n’importe qui (un homme se penche vers son passé) me voilà affalé dans le fauteuil qui me coince agréablement dans la première pièce à gauche.
J’attends. On pourrait croire que je suis précisément dans la salle d’attente d’un médecin particulier, sorte de spécialiste du passé, moins un psychiatre (bien trop évident) qu’un passérologue… ou une peut-être, pensé-je soudain, eh oui, c’est même probable, une femme sans aucun doute à en juger par les napperons installés partout même sous ma nuque dans le fauteuil à oreillettes où je me prépare à l’inconnu ou à l’inconnue, après tout je n’en sais rien. Je m’endors et dans mon rêve je revois la scène de l’homme de la campagne (ce que je suis) avec des variantes heureuses, lumineuses, loin de l’interprétation que l’on fait communément de cette scène si brillamment inaugurée dans notre vie par le texte de Kafka.
– Bonsoir, fait une voix claire qui m’éveille. Vous avez bien dormi ?
– Oui, oui, murmuré-je.
– Ah dites-donc, fait-elle avant même que j’ouvre les yeux, vous avez choisi le meilleur endroit pour rêver.
– Je ne l’ai pas fait exprès, dis-je, ça c’est présenté comme ça, chère Visiteuse…
– Ah vous m’avez enfin reconnue…
– Oui, évidemment, fais-je, vous m’aviez indiqué le château, vous vouliez m’inviter en quelque sorte. Je vous croyais partie en quête d’un rêveur.
– Je ne suis là que pour vous, fait-elle.
Elle porte une longue robe brune sans ornements, sa voix a des accents que je connais bien pour les avoir toujours perçus, mezzo, accentuée, comme si elle était étrangère, comme si notre langue ne lui était pas spontanément familière. Elle a ramené ses cheveux vers l’arrière pour dégager son regard direct, limpide comme une eau dans laquelle on baigne depuis toujours.
– Vous êtes mon passé, je vous connais tellement, vous m’avez tant de fois rendu visite.
– Il était temps, fait-elle, que vous veniez au château qui n’en est pas un – je m’en excuse, ajoute-t-elle en riant – vous étiez attendu ici depuis longtemps.
– Je me demande pourquoi j’ai tant tardé, dis-je en souriant. On rêve si bien dans ces lieux familiers et étranges à la fois.
– Oh, s’exclame-t-elle, mais le château n’est pas si facile à découvrir. Certains passent leur vie à le chercher sans jamais le trouver. Vous pouvez dire que vous avez eu de la chance.

– Je le mesure, dis-je en me levant pour m’approcher d’elle et saisir le verre pétillant qu’elle me tend. Santé !

Santé ! répond-elle en riant.