debout

claquement de langue des vagues
elles disent aussi le sérieux de l’écume
et les larmes
– innombrables présences venues de l’horizon –
sèchent à deux doigts des orteils
et la chaleur les boit
faisant mousser le long sable mouillé
il faut du sang froid
pour risquer face à cet immense fête
ce pas qu’engloutit la sérénité inaltérable des lames
pas perdu qui chante pourtant
crissement infime du poids du corps
et la ligne de plage a beau être infinie
– victoire – la voici coupée par mon corps

je suis là
je ne crie pas j’écris debout
chante chante confie la vague
éloigne les falaises
qu’elles accueillent ton écho
comme je le fais de la naissance sans cesse renouvelée
ainsi ta voix aura-t-elle ce grouillement
ce chaos nécessaire à l’ordre des chants et des choses

ta parole dit l’océan
signe mon écroulement sans fin
sur tes pieds nus

le verdict

au pays où l’on babilla
et s’emplit de joies floues
quand des cris brisaient le fil des songes
l’encre bleue de mélancolie coulait longtemps au lit sec du corps figé là

puis la peine faisant ses gammes
le cœur s’est ressaisi le sang bat désormais dans sa chambre particulière
je songe aux autres qui dansaient dansent danseront
et j’aperçois – j’en ai vu des choses –
des figures fluides d’enfants qui font mine de fuir
une main mélodise en mineur là-bas des sonates crépitantes
et la bonne vieille peur
appuyée sur son bâton
s’avance familière et usée
la voilà qui se redresse souriante
paume sur les reins
ne t’effarouche pas dit-elle de me voir revenir
je sais bien le silence et le monde qui s’éloigne
je suis venue du fond des ans pour partager
ton petit univers
ce souci des syllabes comptées – poèmes –
minuscule logique de modes négligées
où tu humes et rôdes et soupèses

haussant la voix elle ajoute
je te condamne à continuer

l’éphémère

douze ans
les chemins dévalés coeur battant
on filait au loin
aucune peine vive n’équivalait alors
la vaste douleur présente

le tragique haché insiste sur chaque seconde
sur chaque pas
ce négatif qui me fait avancer
l’écoulé de l’adulte
n’en finira plus jamais de fuir
et ta main qui me lâche
et mes lèvres qui s’ouvrent
(excuse-moi)
désormais loin de l’autre
pour dire quoi pour dire quoi

et la barque et la barque
dont la proue craque au vent
les tolets grincent
j’entends là-bas des ailes qui battent
on reclaque en hâte les persiennes folles
je rentre ma tête au creux du blouson
acheté trois sous l’hiver dernier

le col seul m’abrite

l’éternelle

sorti de la tanière
où d’ordinaire on végète trois cents jours et plus
j’allai sur les bruyères avant l’aube
et penché sur mon pas
attentif à la floraison grise et rose
je l’entendis glisser sur les feuilles de mai
grave au sourire
majeure en son aura
et son parfum futur
m’entoura vite de son orient privé
longtemps une lumière très neuve monta
sous son regard fabuleux
un vitrail frissonna
(que j’aménage désormais largement en ma mémoire)
ne restèrent bientôt que les poussières des rayons de midi
il fallut la nuit et mes bras pour que l’ombre me la ramène en son allure
dans ce rêve qui court depuis la première entraperçue là-bas
il y a bien des siècles

Novembre

quand le pas broie du noir
quand la mer dès l’aube – paupières cireuses –
charrie des masses d’encre voilées
à peine inspirée
l’iode de novembre
se fait fièvre aux poumons
les cimes dépouillées
charmes ormes chênes xylophones affairés
s’entrechoquent dans la brume fatigue
l’affaire de vivre
en plein doute
fait de novembre un où es-tu entêté
c’est à peine si l’on avance aux halliers glacés
le corps dépose les armes
au bout des alarmes maximales
la onzième saison sonne derrière la mort

et c’est alors
au bout de l’an ou presque
que remonte facile la mélodie des doigts
dans le filet des jours
la pluie joue du piano
le vent souffle ses symphonies improvisées
l’époque affolée bascule
dans la saison des œuvres chaudes
le noir rédige enfin
sur le blanc silence des brumes qui se lèvent à volonté
le chant joyeux des enfants de la vie

La Visiteuse

ce qui grandit avouait-elle
– j’entends encore son soprane velours –
c’est sur la placette
votre saule qui chante sur ses mobiles feuilles d’or
elles seules font le rire cru de novembre
vous l’entendez demandait-elle
et ce silence de mai cet écrin des oiseaux
vous l’entendez je le sais

je revois à travers les décennies
sa silhouette inchangée venue de l’horizon
j’aurais aimé sa main dans ma main
mais rien n’aurait pu la toucher

ponctuant chaque saison de ses fruits nouveaux
prenez disait-elle prenez
fleurs fraises pommes et noix sur un lit de paille
la corbeille semblait légère
comme ses robes en ma mémoire
allez ajoutait-elle enfin
enclose dans votre palais
la chair des framboises explosera sur commande
et l’éphémère parfum des poires de juin
montera dans la fuite des jours

étrange visiteuse
reviendrez-vous
autant que vous vivrez rit-elle
je veux dire
longtemps

Une Faiblesse

merci dit la femme aux paupières papillon
ticket d’adieu à la main
je suis hors boutique
et retrouve à l’asphalte l’apocalypse des âcretés carburées
tenant le pantalon payé au bout du bras
j’anticipe l’usure et les mille plis
puis les soleils et les pluies
tout se débine soudain
ce dépit ce dépit
le sac de plastique danse son sarcasme
je dois arracher ma présence à la foule
ils sont tous là
obstacles rêches odeurs fortes appels parapluies semelles
et moi et mon petit pincement d’aimer
à peine apaisé
(désir de forêt)
voix fuguées des passants aux cent pas
ils vivent mieux
dans leurs fièvres complices
éblouissements
monte d’eux un secret dont je ne sais rien
dont je rêve
empruntant la bordure du trottoir
en équilibre
sur la rive du caniveau ressuyé
ma cheville dévisse aux pavés
choc des malléoles
panique qui me crie que rien
rien ne va

au réveil
chuchotis de paroles salivées
à deux doigts des tympans
je crois que je gis au-dessous des choquantes sirènes
cahots du brancard

Présence / Gegenwart (déc.17)

Ce poème de Raymond Prunier a été traduit par Helmut Schulze et illustré par E. Detton.

Présence

Ce pain que je mords
Le temps où je meurs
Ce vin que je bois
Le sang que je verse
Ce cri que je lance
Dans l’effroi du feu nourri
Et ma chère lointaine aux caresses si longues
Jambes bras visage cœur lieux de mon corps exposé
Qui pourrait l’être à la folle espérance des jupons et des lèvres
Et sont offerts à la mitraille rationnelle d’un crachat de hasard

Connais-tu le Chemin où fleurit la grenade
Et les Dames dis-moi où sont-elles en allées

Il expire le temps des couleurs
Il n’est plus que le bleu à mon âme immature
Les pansements aspirent le sang inexorablement
Je vois monter le rouge de la terreur
Quelque aube vient
Ultime point là-bas peut-être
Dents serrées sur mon brûle-gueule
Fou du siècle sorti de ses gonds
J’attends la verte insouciance des choses
Pousse la porte du jour
Et vois encore le fil du ciel qui lève
Sur la brève évidence du blanc présent
Où je survis

Gegenwart

Das Brot, das ich beiß’
Die Zeit, wo ich sterb’
Der Wein, den ich trink’
Das Blut, das mir fließt
Der Schrei, der entfährt
In der Angst vor dem schweren Feuer
Meine ferne Liebe, endlos lang ihre Liebkosungen
Beine, Arme, Gesicht und Herz, Körperorte, entblößt
Wer könnte das sein, törichtes Hoffen auf Unterröcke und Lippen
Dargebracht dem rationalen Kugelregen einer Zufallsspucke

Kennst du den Chemin, auf dem die Granate blüht
Und die Damen, sag, wohin sind sie gegangen

Es läuft die Zeit der Farben ab
Nur noch das Blau für meine unreife Seele
Die Verbände saugen unaufhaltsam Blut
Ich sehe das Rot des Grauens aufsteigen
Irgendein Morgengrauen naht
Der äußerste Punkt dort vielleicht
Zähne, dich sich festbeißen an der Tabakspfeife
Dich macht das Säkulum zum Narren, dem der Kragen platzt
Ich warte auf die grüne Nachlässigkeit der Dinge
Öffne die Tür des Tages
Und sehe immer noch den Himmel aufsteigen
Über der kurzen Spur des jetzigen Weiß
Wo ich überlebe

Présence – E. Detton

L’ennemi / Der Feind (déc.17)

Ce poème de Raymond Prunier a été traduit par Helmut Schulze et illustré par E. Detton.

L’ennemi

Les minutes à vivre entre deux attaques
Sont dangereuses
Que fait l’ennemi dans le temps où je rêve où je mange
Ce pain que je mords est-il si différent du sien
Lui aussi songe
Mort blessure faim tabac amours
Les photos sur lesquelles il passe son pouce
Adossé à l’argile des boyaux
Ont de semblables sourires
Sur ce champ jonché de cadavres de casques d’uniformes
L’ennemi et moi pourrions
C’est le Chemin des Dames après tout –
Bâtir un podium de bois blanc
Où nous inviterions nos familles à danser verre en main
Lui la valse moi la java
Histoire de parler par gestes
Puisqu’il semble que leurs mots soient si différents
Des nôtres
Que c’est finalement le vrai motif de la guerre
Ma baïonnette s’enfonce dans tes tripes pour une pauvre affaire de syllabes
Obscures barbares grossières
Mais je ne l’entends pas de cette oreille
Il rôde dans l’air de drôles de mensonges
Mein Freund
Le Rhin ne justifie pas la mort de l’autre
Ni de l’un

Der Feind

Die Minuten, zwischen zwei Angriffen zu leben
Sind gefährlich
Was macht der Feind,während ich träume oder esse
Ist dieses Brot, in das ich beiße, so anders als das seine
Auch er träumt
Tod Verletzung Hunger Tabak Liebe
Die Fotos, über die sein Daumen streicht
Angelehnt an den Lehm der Gräben
Wie sich das Lächeln ähnelt
Hier, auf diesem Feld, die Saat der Leichen Helme Uniformen
Der Feind und ich, wir könnten
Es ist ja noch immer der Chemin des Dames –
Ein Podest errichten aus weißem Holz
Samt Einladung zum Tanz, nicht ohne Glas in der Hand
Er den Walzer, ich den Java
Einfach nur gestikulieren statt reden
Ihre, scheint’s, so ganz anderen Worte
Als unsere
Hier endlich das Eigentliche des Krieges
Mein Bajonett in dein Gedärm – Silbenstecherei
Obskures Barbarengelall
Mag lieber taub sein auf diesem Ohr
Im Geschwirr der seltsamen Lügen
Mein Freund
Le Rhin ne justifie pas la mort de l’autre
Ni de l’un

L’ennemi – E. Detton

Imprécations / Verwünschungen (déc.17)

Ce poème de Raymond Prunier a été traduit par Helmut Schulze et illustré par E. Detton.

Imprécations

Quand j’emprunte le Chemin des Dames
Je mets des semelles légères
Je leur demande l’autorisation de poser mes pas sur le champ
Je redoute en effet d’effacer les traces
En mettant mes pas dans les leurs
– Mes amis
Si vous saviez comme on vous aime cent ans après
– Merci dit une voix on a déjà connu ça au début
Les fleurs les corps féminins les baisers qui se pressent vers nous
Des promesses d’amours éternelles
Dont aucune ne fut tenue
Des mains des bagues de fiançailles
Le long feu a tout tordu et brûlé
Si tu savais
Les folies des attaques ont fait leur crevant travail de sape
L’épouvante grava ses tornades grises au fond des crânes
Les piques grondées des acouphènes ne nous ont plus jamais laissés en paix
Pas d’armistice pour les bousculés
Je n’ai pas signé dit encore la voix
Je n’ai pas signé
– Tu ne sens pas comme mes pas se font aimables
La douceur de mon chant est à toi dis-je
– Garde ta tendresse hurle la voix en s’éloignant
Ma haine brûle toujours intacte
Rêve debout dans ta paix ivre et grasse
Moi je reste auprès du feu dans l’enfer des vallons
Entretenant les braises jusqu’à la nuit et l’envol de mes cendres
sous le vent de l’histoire

Verwünschungen

Für den Chemin des Dames
Sind mir leichte Sohlen lieber
Ob ich, frag’ ich sie dann, übers Feld gehen darf
Es könnte ja sein, daß ich Spuren verwische
Wenn meine Schritte in die ihren geraten
– Mes amis
Ihr ahnt nicht all die Herzen, in denen ihr wohnt, hundert Jahre sind’s
– Das Merci einer Stimme, die hatte man schon gehört
Blumen, Frauenkörper, Küsse, drücken sich an uns
Verheißungen ewiger Liebe
Hielten so lange wie an den Händen
Die Ringfinger die Verlobungsringe
Lang’ aber hielt das Feuer an, verbrannte alles
Ach, wenn du wüßtest
Im Irrsinn der Angriffe das aufreibende Ausheben der Laufgräben
Orkanartig bohrte sich Schrecken tief in die Schädel
Das Ohrensausen, ein ewiger Donner, das uns nimmermehr ließ
Kein Waffenstillstand für solche, die’s eilig haben
Und ohne meine Unterschrift, sagt die Stimme
Ich, sagt sie, hab’ das Ding nicht unterzeichnet
– Merkst du nicht, wie meine Schritte freundlich werden?
Mein sanftes Lied, ganz dir zugewandt
– Ach, laß den Schmu, so laut die Stimme, die sich entfernt
Mein Hass brennt unversehrt
Träum nur fort in deinem behäbige Frieden
Ich bleibe beim Feuer in der Hölle der Täler
Halte die Glut bis zur Nacht bis zum Flug meiner Asche
Im Wind der Geschichte

Imprécations – E. Detton

dimanche

le dimanche vers seize heures

la lune monotone

se lève

dans les flaques de la rue soufflée des feuilles qui passent

 

goulées serrées du petit noir

écailles du croissant aux lèvres

il s’est levé tard

et doit mener encore un peu au bout ce jour trop entendu

 

les miettes tombent du pull

je balaierai demain

à la lettre grandi

il y eut des embellies
froissées du temps
ami

les ombelles avaient fui
poussées du vent
pari

de la graine à la pluie
passées en avant
d’ici

l’accord enfin initie
à l’encens l’enfant
qui luit

c’est ainsi que je grandis
toujours plus savant
sans bruit

l’air marginal bleuit
fouillis claquant
mes nuits

l’âge dépeuplé faillit
pressa mes ans
pâlis

il m’avait dit et redit
laisse pendant
l’avis

de ce temps contre ta vie
fixe-toi parlant
ami

je notai alors tous les cris
brossai d’allants
écrits

Un poème de Trakl: Ein Winterabend (Un soir d’hiver)

 

À l’automne 1913, Georg Trakl avait glissé ce poème dans une lettre à Karl Kraus, journaliste et écrivain célèbre en son temps. Georg Trakl devait mourir l’année suivante (il avait 27 ans) des suites d’une overdose de cocaïne après avoir servi au front comme infirmier. Son dernier poème rappelle qu’il servit ainsi comme infirmier à la bataille de Grodek (c’est le titre de l’œuvre ultime) en 1914, où il eut à soigner près d’une centaine de blessés graves dont plusieurs se suicidèrent sous ses yeux. On citera pour rappel ce vers effroyable qui figure dans Grodek et marque longtemps le lecteur de son émotion tendue :

« Toutes les routes mènent à la noire décomposition ».

Il reste qu’il est par excellence le poète de la mélancolie. C’est le chantre de l’automne, non plus tout à fait comme Verlaine, car il pousse le symbolisme dans ses retranchements et, organisant ses brefs poèmes à partir d’un lexique spécifique volontairement restreint, il chante le total désenchantement, hanté par les idées de déclin et de perte vaine ; l’automne est sa saison cent fois chantée. J’ai pourtant choisi ce poème sur l’hiver pour sa simplicité, d’une richesse rarement égalée. Il me hante depuis longtemps et le traduire m’apparaît comme une forme de reconnaissance. En outre, ce chant bref me semble exemplaire de son art.

Malgré son œuvre qui tient en un modeste volume, Georg Trakl est un des poètes majeurs de langue allemande.

 

Ein Winterabend

 

Wenn der Schnee ans Fenster fällt

Lang die Abendglocke läutet,

Vielen ist der Tisch bereitet

Und das Haus ist wohlbestellt.

 

Mancher auf der Wanderschaft

Kommt ans Tor auf dunklen Pfaden.

Golden blüht der Baum der Gnaden

Aus der Erde kühlem Saft.

 

Wanderer tritt still herein;

Schmerz versteinerte die Schwelle.

Da erglänzt in seiner Helle

Auf dem Tische Brot und Wein.

 

Un soir d’hiver

 

Quand la neige tombe contre la fenêtre

Que la cloche du soir sonne longtemps,

La plupart trouve la table mise

Et la maison ordonnée avec soin.

 

Quelques-uns dans leur voyage

Viennent à la porte par d’obscurs chemins.

Fleuri d’or, l’arbre de la Grâce

Monte du suc frais de la terre.

 

Le voyageur entre en silence ;

La douleur a pétrifié le seuil.

Étincellent alors dans leur pure clarté,

Sur la table, le pain et le vin.

 
 

Un poème de Hesse (1877-1962)

Ce petit poème est paru ce dimanche 17 février dans le blog d’Alban Nikolai Herbst. En hommage à ce blog exceptionnel et parce que nous entrons dans une période de brouillards, il m’a paru intéressant d’en reprendre le texte et d’en proposer une traduction. En France, nous avons une connaissance assez bonne des romans de Hesse, mais sa poésie toute de simplicité et de lyrisme proche du romantisme nous est demeurée fermée. Ses poèmes (près de 700) sont en revanche très lus dans les pays de langue allemande.

Im Nebel

Seltsam, im Nebel zu wandern!
Einsam steht jeder Busch und Stein,
Kein Baum sieht den andern.
Jeder ist allein.

Voll von Freunden war mir die Welt,
Als noch mein Leben licht war;
Nun, da der Nebel fällt,
Ist keiner mehr sichtbar.

Wahrlich, keiner ist weise,
Der nicht das Dunkel kennt,
Das unentrinnbar und leise
Von allen ihn trennt.

Seltsam, im Nebel zu wandern!
Leben ist Einsamsein.
Kein Mensch kennt den andern,
Jeder ist allein.

Dans la brume

Étrange de marcher dans la brume !
Chaque buisson, chaque pierre est solitaire,
Aucun arbre ne voit l’autre.
Chacun est seul.

Le monde m’était plein d’amis
Quand ma vie était encore claire ;
Voici que la brume tombe
Et l’on n’en voit plus aucun.

En vérité il n’est pas sage,
Celui qui ignore cet obscur
Qui, inéluctable et sans bruit,
Le sépare de tous.

Étrange de marcher dans la brume !
Vivre c’est être solitaire.
Personne ne connaît l’autre,
Chacun est seul.

ma voix d’enfant

je voudrais retrouver ma voix d’enfant
pour chanter les ruines
de mille neuf cent quarante sept
au bord de la rivière amusée
qui se fiche de tout

cet hiver à la voix de fausset
a décanté les bruines
l’eau file devant l’attente sèche
de l’or que l’on espère puiser
sur les friches des cours

apparaît dans la voix du longtemps
un parent que n’illumine
ni le feu ni l’enfance qui tête
au fort de misères rusées
qui crachent sans atouts

écoute ami les voix d’antan
ceux projetés à l’usine
la ville était partante pauvrette
au long du cimetière abusé
dans la fraîche rue du loup

je crains le retour de la voix
même assourdie des gamines
en allées sur la pente des fêtes
loin de la fière prise – esprit –
dont s’entichent les fous