Alban Nikolai Herbst: Misère de la musique (5/9)

A quelques mètres de là, agitant les bras en l’air, un jeune homme fonça tout droit, poitrine en avant, forçant les boucliers de plastique que des gardes mobiles (plus jeunes que lui) brandissaient devant eux pour lui barrer le passage. Il était totalement déchaîné. Comme il était impossible de le raisonner, on l’amena auprès du chef de la police.
– Mais qu’est-ce qu’il fait ici, ce type ?!
– Vous allez tuer Silvia ! Vous voulez sa mort !
– Ah, il ne manquait plus que lui… !
Le jeune homme s’arracha des mains qui le retenaient.
– Vous allez la sacrifier, c’est ça, hein ?
– C’est ridicule ! On ne va sacrifier personne. Rentrez chez vous et laissez-nous faire notre travail.
– Vous n’avez aucune chance. Et vous le savez très bien.
Embarrassé, Michels se tourna vers Hebbel.
– Fichez donc le camp ! , dit celui-ci.
– Prenez un tranquillisant, dit Michels en se tournant vers son inspecteur. Mais où est donc le médecin ?
Il savait que le jeune homme, qui soudain se taisait, avait entièrement raison. De puissants ruisseaux dévalaient le long des caniveaux.
– Quel temps de chien !
Michels fit signe au médecin qu’on avait amené.
– Donnez lui un truc, bon sang, il ne peut pas rester ici.
Des policiers saisirent l’homme par la manche. Il ne songeait plus à se débattre.
– Vous non plus, hein, vous n’avez aucune idée, dit Michels… il se parlait à lui-même mais il ajouta comme pour s’excuser …aucune idée de la manière dont on peut sortir votre femme de cet enfer.
Il cracha et fit brutalement demi-tour. Le cercle de salive se dilua aussitôt. Le jeune homme poussa alors un grand cri, mais le ton était cette fois très différent des explosions de désespoir qu’il avait exprimées jusqu’à maintenant.
Lentement, Michels se retourna vers lui.
Dans les yeux du jeune homme brillait une lueur étrange, comme une fièvre.
– Vous avez raison, bien sûr ! Bon sang, comme vous avez raison ! Un instant s’il vous plaît.
Michels fit signe aux policiers de reculer de quelques pas.
Pendant une seconde, le jeune homme et le chef de la police se regardèrent droit dans les yeux, intense échange silencieux.
– Souvenez-vous du grand nuage de sons qui est passé sur Linz, dit le jeune homme, mais c’était un autre qui parlait par sa bouche.
Quelque chose toucha Michels, comme un rythme intérieur, comme le battement soutenu mais à peine perceptible du sang contre ses tempes. Il n’avait toujours aucune idée  de ce que le jeune homme avait à l’esprit. Une certitude s’exprimait pourtant avec une telle puissance dans cette voix étrange que Michels se laissa persuader, il était comme hypnotisé.