enfants

il faut des nuits pour que le jour advienne 

ainsi l’automne prépare-t-il l’avril en tapinois 

j’admire ce beau déclin 

où les feuilles calfeutrent nos lilas 

quand l’or venu des bleus célestes tourne en pluie terne 

obstinément ocre puis brun

noyant nos heures grises 

sous un rideau poisseux 

je guette à l’est une aube

autrement grave 

nous sommes exposés aux chauds aux froids 

exister est tout compte fait notre unique saison

avec ses humeurs mauves

et son déclin tout de frilosité ingénue 

car on n’apprend pas à vieillir 

les souvenirs s’entassent 

la mémoire devient ce fatras 

où les moments gonflés de dires 

d’émerveillements colorés

basculent en un instant 

autant de feuilles d’or

que la terre nue entassera en toute cruauté

l’amour demeure seul écarlate entre les mains 

une pensée de nous relayée par les enfants 

puis les enfants des enfants des enfants

et c’est ainsi que je pense à l’automne 

sautant les flaques 

froissant les feuilles 

croquant la pomme nouvelle

promenade

promenade

je me perds dans les chemins tendus

le pas me mène 

la peine aussi 

les feuilles sous le vent 

laissent cascader ors et larmes

les lèvres me brûlent

la peur d’avancer m’alimente les rêves

dans la clairière seul

le chagrin pousse l’errance de son filtre mineur 

et soudain l’allégresse surgit aux poumons 

la marche se fait plus vaste

j’entends des rires là-bas

buissons de joie cachée 

l’automne se fait berceau

nourrice qui chante ses échos jusqu’au fond des bois

clarine velours et mauve de pluie 

le passé à mon pas

je reviens

sous la bruine amorcée 

contre ce souriant balai de l’ouest un peu vif

il me semble que je danse

dans la boue des ornières

admirant les bouleaux aux frissons

oriflammes glorieux qui saluent 

le petit bonheur du grand retour 

auprès de l’âtre dévorant 

aube d’automne

rivé à la vitre 

j’admire le réveil automnal

les volutes les brumes devant lesquelles je frotte en vain mes paupières 

puis la croisée puis les lunettes 

inutiles folies que je frotte encore

résigné je m’installe à califourchon

les genoux contre le radiateur 

j’entre yeux grands ouverts aux nuées terrestres

il va se jouer des aventures 

à bord de l’avion cargo qu’est devenu le salon

où vas-tu dit une voix

je ne sais vers le neuf je crois 

les poèmes les amours et moi perdus 

un monde blême badigeonne mon jardinet 

et soudain 

un lumignon perce la cotonnade

je fixe au levant l’avancée terrible

je crois que j’ai peur

mais le coeur consent à dire oui aux éclats

ça claque au visage 

crescendo d’étoile vivante 

la vitre explose de ses mille feux 

bonjour bonjour

ça court ça clame ça s’enflamme  

dissous les recoins gris

chats et oiseaux en boule se lèvent d’un même élan

l’herbe devient noire puis bleue

l’azur décroche une à une 

les nuées floconneuses du couvercle gras

au ciel c’est la haute mer qui s’avance

je ferme les yeux pour mieux voir le miracle 

ce bleu rieur qui mord chaque seconde un peu plus 

sur ce qui fut notre linceul du jour

l’air muet s’en vient flamber

je sens le soleil qui me brûle front et joues 

déchirant mes rêveries closes

qui sous mes yeux dessillés 

s’ouvrent au monde entier

les eaux secrètes

les eaux secrètes

j’ai un vallon en tête

il berce un lac

où les voiles procèdent

en hésitant longuement 

tiédeur de notre France 

les cygnes s’élèvent

semblent marcher sur l’eau

retombent en silence

se croisent apaisés

mes yeux visent le ciel 

et la terre là-bas

goutte dans l’eau

on dirait de l’ombre

qui roule et s’avance

ça menace

des voix de feu s’exaltent

le lac soudain agité

vaste peur de jadis

c’était l’Ailette aux morts

pluie de fer ça gémit

au pied du mont souvenir

enfants persécutés

je vous entends courir

sur le chemin

le lac porte vos pas

vers le ciel grand ouvert

cent ans c’est peu

et vous êtes si nombreux

à rêver sous les eaux

loin très loin de nous

l’an futur

l’an futur

il y aura forcément 

du sourire et des gâteaux

les vignes croissant à deux pas

le champagne couvrira les voix

et l’on enterrera feuilles rêves et soupirs

dans un immense présent

gouffre intouchable pourtant 

même au jour de bascule

on ne sentira pas le cliquetis

féroce de l’horloge électrique 

et la main sur la bouche

j’observerai la nuit du fol hiver par la croisée

nuages graves lune grise

 je ne suis pas pressé

ce novembre me va

je pense souvent penché sur l’âtre

à ce jour du bilan

fumée brune et bleue

tout me souffle l’éphémère des joies

c’est ainsi qu’auprès du feu

je songe combien est charmant notre petit novembre

esseulé crémeux sobre

je fais couler en gorge un peu d’eau piquante

et levant le liquide léger

à travers sa transparence

j’aperçois dans le ciel

un avion tout chargé de lointains visiteurs 

qui faufile son col autour des nuages 

je bois à leur santé

souhaitant bon voyage

à ceux qui volent 

et à moi qui demeure

courage

courage

j’entends craquer le jadis

mais j’ai beau peser de tout mon pas

la terre présente ne marque plus 

ce qui marche est volatile

ce qui pense coule en buée

notre présent s’encapsule de passions

et mes mains tremblent d’être peu 

savoir qui commande est bien vague

la parole vocifère pour soi 

et pourtant et pourtant dit la voix 

toujours des couples s’inventent

à l’instant leurs mots doux

des sourires aux avenues 

émergent parfois de la foule 

robes et manteaux volent

dessus les pas dansés

les parapluies se ferment 

les lèvres s’ouvrent 

des voix des voix des voix

j’entends sur le boulevard

des cris qui ne sonnent qu’une fois 

c’est moi c’était moi 

et l’urgence présente dit la voix 

est au petit temps pathétique

alloué à nos vies

ce courage

joie d’automne

une manière de rayon tiède

creuse sa trace contre les nuages groupés

le coeur un moment s’ouvre

à la joie d’octobre

ses menaces s’aménagent en lumière

la suite des jours dit bon débarras

je jette les fleurs sèches

puis avec elles rêveries et papiers

dépassés par le flot tout rétréci des jours

j’ouvre alors la candeur de l’âtre qui rougit

arrosant le tapis et mes mains

d’un trop plein de chaleur folle

joli soleil de bois

lumière orangée

qui insiste vers l’arrière

mord sur l’août noir

croque les noix de septembre

les étincelles débordent ainsi en éclats vifs et noirs de feu

sortes de secondes explosives du moment

pointes subtiles et brutales

dans la pièce où les bûches résonnent

je me perds en cet instant qui s’immobilise

dans l’éternité

novembre son deuil et ses aigreurs sombres peuvent bien passer

je songe combien l’enfance sera tendre

à l’orée de décembre