croque le jour 32

fragilité du petit mars balbutiant

le froid l’effleure on dirait nous défaits et nus 

l’âge approchant les tremblés assaillent les doigts

c’est la saison entre glace tassée et rire libre 

où comme les premières corolles nous désarmons les giboulées

Violences conjugales (MONOLOGUE)

Une vieille femme se rappelle sa vie de femme battue; elle est interrogée par une journaliste du mensuel “Femmes”. On n’entend pas les questions.

Oh vous savez, moi, ma bonne dame, je n’ai pas grand-chose à dire. C’est quoi le nom de votre canard ?

Ah oui, c’est ça, « Femmes », ça s’appelle « Femmes », oui, un mensuel, ça paraît tous les mois quoi…

Ah c’est pour un numéro spécial, sur quoi, vous dites ?

Sur les violences conjugales ?! Tu parles d’un sujet à la graisse de chevaux de bois… les violences conjugales, je t’en ficherais, moi, vous ne pouvez pas choisir un titre plus… comment dire… comment dire ? un titre plus vrai, « violences conjugales », mais c’est n’importe quoi, on n’entend pas les gifles, les cris, les gémissements.. c’est un cache – misère votre truc !

Comment ? Un autre titre ?!! Mais je n’en sais rien moi, je ne sais pas ma bonne dame, faudrait dire un truc du genre : les femmes battues, cognées, humiliées, traînées dans la boue… oh, je ne sais pas… et puis ce n’est pas à moi de faire votre boulot, dites-donc ! Non, non, débrouillez-vous !

Oui, oui, c’est ça, j’ai toujours habité dans cette maison isolée ; c’était Jacques qui en avait hérité.

Oui, Jacques c’était mon bonhomme, pas mon mari, s’il vous plaît, pas mon mari. Un mari c’est attentif. Un bonhomme, c’est différent, ça rentre, ça sort, ça cogne… enfin, un mari c’est tout le contraire de mon Jacquot de la mort; non, c’est du solide un mari, ça parle doux… Lui mon Jacquot c’était dans le genre brute épaisse, si vous voyez ce que je veux dire.

On était isolés, oui, oui, isolés, je vous dis. Pas la maison seulement, la bonne femme aussi, moi, oui, moi, avec les enfants, nous, isolés, c’est clair ? … faut tout vous expliquer à vous… dites-donc, vous avez fait des études ?

Ah ben, heureusement, qu’est-ce que ça serait !

Les coups ? Ah oui, alors ! Il cognait sur tout ce qui bouge… et dans une maison, qui est-ce qui bouge ? Je vous le demande, ben oui, la bonne femme, moi, oui, moi, et les enfants aussi.

Comment ? Pourquoi je ne suis pas partie avec les enfants? Ben, je n’ai pas le permis de conduire figurez-vous et à supposer que j’aie eu le permis, y aurait encore fallu que j’aie une voiture.

Oui, je sais, je sais, oui, oui, j’aurais pu partir à pied, ça c’est vrai. Pour une fois que vous faites une remarque intelligente. Attendez, laissez-moi réfléchir, reprenons : pourquoi je ne suis pas partie… oui, à pied, oui, avec les enfants, attendez, je vais vous répondre.

Mais attendez, bon sang !! Oh les journalistes, toujours pressés…C’est une manie, chez vous !

Là, voilà, tranquille, une minute, on se pose…

Oui, oui, je sais ce que je dois dire, mais c’est dur à venir, attendez.

Eh bien, je ne suis pas partie parce que j’espérais. Avec mes huit enfants, j’espérais…

J’espérais quoi ? Ah, ça c’est dur à dire, bon sang, vous en avez de ces questions… j’espérais quoi ?

Attendez. J’espérais figurez-vous, j’espérais qu’il se corrigerait, j’espérais pouvoir le calmer, le Jacquot de la mort. Vous savez ce que c’est une maison avec huit enfants, avec des tables, des chaises, des lits, du chauffage, une cuisine, des assiettes et de quoi manger. On ne peut pas quitter ça comme ça, on a toujours l’espoir d’améliorer le butor, d’apprivoiser la bête. On l’aime quoi, on l’aime quand même… malgré tout.

Et pourquoi on espère ça ? Eh bien pour que ça continue, pour que ça reste comme c’est. Je me croyais assez maligne pour le ramener à la raison, le garder à la maison, l’améliorer, le rendre meilleur, le ramener, le ramener tout court, voilà pourquoi je suis restée avec mes huit, voilà, voilà… malgré les coups, avec mes huit… pour que ça reste comme c’est…

Non, non, ne me remerciez pas, de rien… oui, ah vous avez encore une question ? Allez-y, oui, oui, oh tant qu’on y est… vous savez, je n’attends plus rien, vous savez, j’ai tout mon temps, oui, allez-y…

Qu’est-ce qu’il est devenu ? Lui ? Le Jacquot de la mort ? Un arbre, ma bonne dame, un arbre, il est venu l’embrasser en plein dans le capot. Dérapage, verglas… Oui, c’était pas beau à voir !

De la peine ? J’ai éprouvé de la peine ? Non, mais vous rigolez ma bonne dame, vous rigolez…

Et après ? Après quoi ? Ah oui, après sa mort, oh ben, après, les aînés sont allés au boulot, et ils ont partagé leur paye avec nous, c’était drôlement agréable. Je faisais des confitures à la framboise, pas de la gelée hein, non, non, de la confiture de framboise, c’est bien meilleur, ça croque sous la dent, et puis j’avais mes patates, mes poules, tout ça… ah tiens, il me revient un truc, ça ne vous intéresse peut-être pas pour votre canard, euh pardon, pour votre mensuel…

Je vous le dis comme ça, hein, vous le mettrez ou pas dans votre canard, je m’en fiche. Oui, oui, un truc marrant, enfin, pas marrant, mais curieux. Voilà, on avait un coq, un gros hein, il chantait bien, il faisait bien son travail de coq avec les poules, ça on ne peut pas dire, un vrai gros coq… on l’avait baptisé Jacquot, je ne sais pas pourquoi, oui, oui, Jacquot… Et puis, un jour un de mes fils arrive, tranquille, il sort de sa voiture, et voilà notre Jacquot qui se jette à sa figure, dis-donc, il essaie de lui becqueter les yeux en lui sautant à la tête, on aurait dit qu’il le guettait. Vers le soir, dès que le coq est rentré dans l’appentis avec ses poules, moi, je l’ai attrapé et je lui ai tordu le cou dans le soleil couchant, les rayons ont rosi un instant ses plumes, près de la mare… c’était brutal, du travail bien fait. Je l’ai préparé le soir même, j’en ai fait un coq en pâte et il a fallu une semaine pour le manger. Qu’est-ce qu’on s’est régalés ! C’était bon !

Oui, je me demande pourquoi je vous raconte ça…

Ça me fait du bien de vous parler de ça, mais quand ça paraîtra dans votre canard, ne citez pas mon nom, hein, je ne veux pas.

Ben, parce qu’il n’y a aucune gloire à être une femme battue, tiens. Aucune. Non, aucune. Et puis, c’est du passé. Assez de ressasser le passé.

Merci, oui, oui, allez-vous en. C’est mieux !

Non, ça n’est pas la peine, non, non, je ne le lirai pas.

Non, je vous dis, ne me l’envoyez pas. Gardez votre canard, je ne lis jamais les journaux.

Ce que je fais ? Je rêve, ma bonne dame, je goûte chaque instant, je n’ai pas le temps de faire autre chose. C’est ma vie, je rêve. Il paraît qu’il y a des gens qui ne rêvent jamais, moi, je les plains, moi, je rêve jour et nuit. Je rêve, oui, oui, je rêve… faut bien rattraper, hein, faut bien, oui, oui, faut bien…

(Extrait d’une pièce que j’ai écrite il y a dix ans et qui a connu plus de cinquante représentations en Thiérache essentiellement: “Des illusions, Désillusions”. Ce texte m’a été pour partie inspiré par un témoignage authentique …)

croque le jour 31

saules verts aux feuilles fleurs mes bons amis

vos papillotes de mars annoncent négligemment

– balancement fluide de vos horloges branches –

un temps de vaste santé qui s’ouvre à tous les vents 

et souffle la vie au sein des vallons défaits du virus

croque le jour 29

beaux comme David nous allions à la source

nous laver du jour le lissé des joues

évidence du sourire mon âme tu te rappelles 

ce visage soleil les émaux du regard 

tout a glissé replis mais le souvenir en est si beau

croque le jour 27

des oiseaux fourragent le soir dans la gouttière

en plein couvre feu pattes sur le zinc

ils font grincer leurs griffes puis pépiant

palabrent toute la nuit pour préparer notre affaire

et portent à l’aube notre message vers les dieux lointains