Une leçon de vie

L’incertitude est admirable: est-on le matin ou le soir ? Double question qui ramène à la dualité appuyée: ciel-eau puis à cette autre liée à la toute première: lumière et obscurité. Entre chien et loup. Le photographe a pris soin de multiplier les oppositions: branches verticales à droite (proches) et horizon blanc (loin), orange et bleu (chaud et froid).
Le miracle d’équilibre est dans la sérénité puissante qui se dégage des reflets; l’eau a toujours cette présence superbe, étale, si naturelle qu’elle en devient mystérieuse, c’est à peine réel et on a l’impression que le photographe a retravaillé sa merveille pour lisser encore davantage son prudent détachement face à l’existence. Comme lui, nous voici les deux pieds sur la terre, rêvant d’un monde apaisé, presque grave dans la nuit (ou le jour) qui vient.

Le lac troublé de vaguelettes rappelle la peau qui doucement chaque jour bouge un peu, mais le ciel au bleu limpide apaise l’effet souffle de la brise vespérale. Le ciel dit l’espoir ferme, résolu, de la claire raison. La nature dans ses fouillis ombreux soigneusement reflétés dans le lac vient compenser les efforts géométriques de l’auteur de l’apaisante vision.
Je crois que quelque chose d’autre se passe, quelque chose d’étrange que Montaigne aurait trouvé étonnant lui qui avait pour pensée centrale: “Je peins le passage”. Le photographe peint, on vient de le voir, mais le “passage” (miracle) est aussi mimé, étonnamment présent: c’est le cygne du temps, il s’avance de droite à gauche, il dicte sur la scène éternelle du lac le sillage des secondes, des minutes et ce qui semblait impossible (peindre le passage) est réalisé sous nos yeux. Sur l’espace immobile, presque glacé, la photographe a capté le temps, la vie… l’émotion de vivre un instant sur un fond d’infini étant une grave leçon de vie. 

Au beau milieu des diagonales du rectangle, le cygne c’est la vie qui bouge, c’est l’œil du photographe qui palpite, c’est la vie humaine habitée de lyrisme et l’image est si belle qu’on ressort de cette vision comme ragaillardi. La beauté à portée de main est à cueillir ainsi chaque soir, chaque matin, semble dire notre artiste.

Le vrai miracle de cette photo n’a pas encore été dit: elle a été prise par Neil, douze ans, mon petit fils, talentueux jeune homme déjà.