tilleuls

puis les tilleuls graves

aux robes entassées

laissent échapper sur le pavement 

leurs virgules sèches déjà

ainsi que ces lourdes larmes délaissées

qui roulent sous les pas

et qu’on écrase avec cette indifférence voluptueuse

des vrais passants 

graines précieuses pourtant balles de tissu

qui promeuvent à foison des tilleuls

c’est alors que l’août courbe la tête

lui qui devait craquer de partout 

le voilà tisane à peine 

tant de fadeur pour un arbre si gros 

allons 

que tous se reboutent au présent 

les peurs d’avril sont loin  

que tous ces fruits promis aux bras 

des fiancés d’automne se forment incontinent

les fleurs s’en vont c’est vrai

mais les mâchoires du présent s’aiguisent 

bientôt des éclats mouillés des pommes sur les joues 

promis on rira d’aimer encore 

sous les tilleuls de la promenade 

où s’apaiseront tranquilles 

nos mille palpitations d’antan

13 réflexions sur « tilleuls »

  1. Je pense à Schubert , Le voyage d’hiver (Die Winterreise), si déchirant. A son obsession du passé, aussi.
    Le cinquième chant : Der Lindenbaum (Le Tilleul) .
    “5. Der Lindenbaum
    Am Brunnen vor dem Tore / Da steht ein Lindenbaum : / Ich träumt in seinem Schatten /So manchen süßen Traum./Ich schnitt in seine Rinde/So manches liebe Wort ;/Es zog in Freud und Leide/Zu ihm mich immer fort./Ich mußt auch heute wandern/Vorbei in tiefer Nacht,/Da hab ich noch im Dunkel/Die Augen zugemacht./Und seine Zweige rauschten,/Als riefen sie mir zu :/Komm her zu mir, Geselle,/Hier findst du deine Ruh !/Die kalten Winde bliesen/Mir grad ins Angesicht ;/Der Hut flog mir vom Kopfe,/Ich wendete mich nicht/Nun bin ich manche Stunde/Entfernt von jenem Ort,/Und immer hör ich’s rauschen :/Du fändest Ruhe dort !”
    “5. Le tilleul
    Non loin de la fontaine/Se dressait un tilleul ;/J’avais fait sous son ombre/Plus d’un rêve chéri,/Gravé dans son écorce/Nombre de mots d’amour ;/Dans la joie ou la peine/J’allais à lui toujours./Je suis passé non loin/De lui dans les ténèbres ;/Au milieu de ma nuit/J’avais fermé les yeux./Sa ramure tremblait,/Il semblait m’appeler :/Viens à moi, mon compère,/Tu connaîtras la paix !/Les bises de l’hiver/Me sifflaient à la face ;/Mon chapeau s’envola,/Je ne me tournai pas./Cela fait quelque temps/Que j’ai quitté ces lieux ;/Et je l’entends me dire :/Tu connaîtrais la paix !”

    1. Oui, merci j’y ai pensé aussi mais me suis bien gardé de m’y reporter. Même à la partition (j’ai eu la chance de faire des études de musique assez avancées; la seule chose positive de mon jardin dévasté)… Et puis j’ai souvenir d’avoir évoqué souvent ce Lindenbaum auprès d’élèves intéressés; il y en avait aussi peu qu’aujourd’hui, mais il y en eut quelques uns. Votre traduction a beaucoup d’allure.
      Quand je pense que Wilhelm Müller mort jeune n’a jamais connu la sublimation extraordinaire de son contemporain Schubert, mort lui aussi peu après lui. Temps cruel où l’on mourait jeune. Ce que le texte (et la musique) du Lied laissent entendre de façon explicite. Je ne sais plus où, on trouve dans Pascal Quignard un passage déchirant sur Wilhelm Müller.
      Je me demande si le Voyage d’hiver n’est pas finalement La métaphore de notre vie (vue par un romantique i.e. un dépressif). En tout cas le mot qui vient toujours c’est: “déchirant”. Comme si l’on voulait signifier la séparation de l’âme et du corps;
      “Lorsque mon âme et lui ne seront plus d’accord que sur un seul point la rupture” chante Brassens dans sa Supplique.
      Déchirure sur laquelle vivants et morts se retrouvent. Ainsi en va-t-il également du papier ou du tissu, cette autre peau. Je pense aux sans gants des années 50 dont je fus, la peau se déchirait au gel; je léchais les blessures; ça faisait du bien. Délice frissonnant dont je n’ai quand même pas la nostalgie !
      Voyez comme Wilhelm décoiffé ne se retourne pas. J’adore ce passage. Tout ça à partir d’un tilleul ! C’est merveilleusement triste. D’une tristesse qui console d’être vivant.
      merci Christiane d’apporter tous ces points de vue si précieux à mes yeux.

      1. Merci, Raymond, de m’apprendre tant. Oui, je me souviens de ce passage dans un livre de Pascal Quignard, je vais chercher.

        1. Je n’ai pas l’impression d’avoir des choses à transmettre en fait de connaissances. En revanche dès qu’il est question de mes auteurs, je ne peux pas m’empêcher de dire ce que j’ai vu. Je vous en remercie. Je suis très honoré de votre mot.

  2. Le voyage d’hiver de Wilhelm Müller que Schubert a mis en musique est traduit, ici, par Nicolas Class pour la revue littéraire Temporel.
    Cette musique ( Gerald Moore / Piano) et l’interprétation sublime des lieder par Fischer-Dieskau me bouleversent.

    1. Moi aussi. C’est incroyable la puissance de Fischer-Dieskau. Vous savez à la fin du Leiermann, donc à la fin de tout, lorsque de son énorme baryton, il enfle sa voix à faire exploser les haut parleurs.
      J’admire la traduction. Grande finesse.

        1. OUI, oui, mais c’est comme d’habitude. Il est toujours excellent. Il aime et croit entièrement à ce qu’il dit et à ce qu’il écrit. PA est un modèle du genre. On peut se fier à lui. Il a la main sûre. D’ailleurs j’ai commandé le livre sur le voyage d’hiver. Merci, chère Christiane, pour la piste précieuse ! S’il m’avait échappé, c’est que je n’ai pas toujours le temps d’aller voir. L’écriture pratiquée au quotidien m’aveugle.

          1. L’écriture pratiquée au quotidien ne vous aveugle pas, elle exige un travail, une concentration, un accueil de la mémoire, des livres lus, étudiés, aimés.
            La planète RdL est piégeante. Difficile de lire les excellents billets de Passou sans réagir et là c’est pénétrer dans une arène où les coups pleuvent de partout et où certains se régalent des conflits et les aggravent avec jubilation. Je n’y suis pas retournée depuis mon dernier commentaire (un salut à Passou) et c’est très reposant, ouvrant à d’autres univers.
            Oui, cette oeuvre de Schubert est magnifique et la poésie de Wilhelm Müller en est le socle. Toutefois, n’ayant eu accès que plus tard à la traduction des 24 lieder, c’est à la musique, à l’interprétation que je dois mes premiers émois. Difficile d’échapper à ce tourbillon de solitude et de souffrance. Vous en avez parlé avec justesse.

          2. Mais oui Christiane, mais oui; je n’aime pas ces lieux qui semblent des agoras comme la RDL; où pourtant le texte de base de Passou est toujours passionnant. Les commentaires sont souvent des cours de récréation où il FAUT absolument faire controverse. C’est épuisant. C’est dommage car il y a parfois des renseignements littéraires ou autres qui émergent de ce fouillis et apportent des éléments intéressants pour notre culture.

          3. Oui, tout cela est juste, Raymond.
            A la fin de la patience, on part…

  3. Oui, le goût de la tisane est fade mais respirer le parfum léger et sucré des fleurs du tilleul en passant sous l’arbre en juin est un grand bonheur.

    1. la soulerie du tilleul, oui, oui. C’est sec sucré et finalement liquide, un nuage de bonheur, submersion totale. Maman qui prend dans ses bras.

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