le dit des hirondelles

militaires au repos sur les fils

un ballet impérieux échevelé

engage ses huit dans les airs saturés

voilà que soudain libres

  • le nid était fardeau –

elles fusent en grâce

dansent sur les faîtes

se désencombrant de l’ennui des soupentes

et je les suis des heures durant 

lorsqu’elles se catapultent en ivresse

adieux cabalistiques

de l’août qui les enfièvre

leur fait tracer des idéogrammes 

dont je n’ai pas la clef

mais leurs musiques cris

en rythmes informels me sont limpides

familiers

je pourrais dire ce qu’elles disent

et au moment où je me penche pour noter

les appels des ailes les pépiements pointus 

rien ne me vient 

ma mémoire étouffe sous un tabou

se heurte à la digue des mots jamais écrits

la magie du départ

enveloppe leurs très vifs au revoir 

bifurcations multiples

à l’image de mes errements fin d’été

vertigineux bavardages 

qu’elles échangent entre elles innombrables 

et moi seul 

où je demeure

23 réflexions sur « le dit des hirondelles »

  1. “la magie des départs”, écrivez-vous. Tous ces oiseaux migrateurs qui nous quittent quand vient l’automne, quelle tristesse…
    Autant leur retour au printemps me réjouit. Les nids. Les oisillons. Leurs vols rapides et leurs petits cris perçants.
    Mais bientôt l’appel du soleil sera plus fort. Elles partiront…
    Il y en a moins qu’avant. Certains nids sont restés vides…
    Votre poème est étrange…

    1. Oui, mais ce sont les hirondelles qui sont étranges. Depuis 40 ans elles nichent, chez moi, un appentis. Elles restent à peine cinq mois. Je leur en veux: apparaître disparaître, mais pourquoi donc? J’ai suggéré, une des rares fois où j’ai été interrogé à France Culture sur le voyage (Gilles Lapouge), que ce n’était pas les hirondelles qui partaient mais nous qui bougions; c’était une manière de plaisanterie; j’ai dit sans rire que l’axe de la terre bougeait et que les hirondelles faisaient donc du surplace et que nous, emportés par le déplacement de l’axe nous passions d’une saison l’autre.
      Je n’y crois pas. Et j’y crois un peu. Elles vivaient en pays chaud, elles reviennent car nous redevenons chauds puis repartent pour trouver le chaud, lorsque le froid nous regagne. Le mystère est : comment font-t-elles chaque année pour revenir à mon appentis. J’ai lu dans “la Hulotte” que les hirondelles par milliers sombrent dans la méditerranée avant d’arriver en Afrique. Certaines s’accrochent aux mâts des bateaux, mais le nombre de noyades est ahurissant.
      Pourquoi tout cela?
      Leur destin m’importe.
      Je vous rejoins pour dire avec vous: “Le nid est leur joie”. Mais observez que pendant cinq mois elles font un va et vient épuisant pour nourrir leurs petits. J’identifie leur joie finale (libres! Enfin libres!)à la satisfaction des parents qui voient leurs enfants “réussir”.

      1. C’est important de vous lire, Raymond. Vous surprenez et par vos poèmes et par vos commentaires. Tout est étrange dans votre façon de vous saisir des mots : un gisement à ciel ouvert. Vous prenez des risques, jouant sur les défaillances du réel avec une attention inépuisable sur une terre et un ciel mal déroulés.
        Ainsi dans votre poème cet espace réservé au non-dit tabou qui serait le dit des hirondelles, compris de vous mais intraduisible. J’aime votre appentis et ses hôtes.
        Les hirondelles me sont moins familières dans mon paysage de toits, de nuages et d’arbres que d’autres oiseaux. Ainsi, trois pigeons occupent mes regards car ils viennent toutes les fins d’après-midi se percher, se poursuivre sur les mêmes antennes, sur les mêmes collerettes de cheminée de tuile orange, s’y attardant puis disparaissant.
        Un couple de corneilles avec leurs cris horribles tente d’effrayer l’arbre majestueux où les ramiers ont fait leurs nids. Peu à peu, des groupes virulents de corneilles chassent de Paris, les passereaux, les pigeons. Seules les pies leur tiennent tête !
        Quant aux migrations des hirondelles, des cigognes, des truites Fario, des saumons… quel grand mystère. Ces bêtes semblent agies plus qu’elles ne choisissent. Programmées pour se réunir et tenter ces voyages périlleux. Programmées pour se reproduire.
        L’homme peut-il résister au besoin de refaire dans sa vie les mêmes choix, les mêmes blessures d’arrière-pays, l’engageant à vivre une vie prévisible ?
        C’est un temps de glane, de ciel pluvieux. Je laisse mille et un souvenirs et rêves , passages entre veille et sommeil, occuper mes pensées cherchant un sens à tout cela, des signes.. Retrouver la topographie de l’enfance et ses désirs … Film arrêté, sautillant, rayé. Qu’est-ce qui dans ces souvenirs souffle vers nous ? Une vie et ses traces… Beaucoup de notre vie est expression.
        Pour vous, la fin de ce poème de Baudelaire :
        “- Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
        – J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages !”

        1. Oui attentive Christiane, oui. Les nuages. En 1824, il est mort 8 ans plus tard, Goethe reprenant une classification de l’anglais Howard, tentait de les classer après mille et une observations. Le vieil homme tentait une fois de plus de fixer le mouvant. Même montaignien convaincu, il ne se résout pas à voir passer les nuages sans les nommer. C’est très touchant, cet homme qui savait qu’il était un grand écrivain et qui tient plus encore à son travail scientifique. Les os (un os de la mâchoire a longtemps porté son nom: l’os de Goethe !), je vous en parlerai si vous voulez, les pierres, les plantes (gloire à Linné), mais il cherchait quelque chose que l’on a du mal à comprendre aujourd’hui c’est la plante primitive la pierre primitive l’os primitif et sans doute peut-être aurait-il cherché du côté du nuage primitif. C’est notre dernier moyenâgeux. Son œuvre scientifique est passionnante. On dit qu’elle est sans intérêt aujourd’hui parce que les sciences évoluent plus vite que les nuages; je ne le crois pas.
          Tiens à la fin des Conversations avec Goethe de Eckermann, il y a quantité de notations sur les oiseaux. Elles viennent toutes de Eckermann. Goethe admirait beaucoup son secrétaire (un peu simple), parce qu’il savait tout sur les mœurs des oiseaux.
          J’aime, j’adore le mot “passereaux”. J’aime beaucoup vos: “les blessures d’arrière pays” que vous inventez ici.
          “Beaucoup de notre vie est expression”, voilà une parole qui vaut de l’or. C’est ainsi que nous dialoguons ici même, vous et moi. Cela aide à dépasser le presque disparu, nous sommes au présent mais nous parlons de loin. Et le sautillant que vous évoquez, retrouve un liant. Je n’ai pas dit un sens, cela, c’est trop demander. Portez vous bien.

          1. Oui, j’aimerais que vous me parliez de Goethe. Je pense aux “Années d’apprentissage de Wilhelm Meister”. Ce mimétisme entre la rencontre avec l’actrice et le petit théâtre de marionnettes que sa mère lui avait offert. Un rideau s’ouvre sur l’enfance. Béance de l’avant-soi… Cours inversé du temps jusqu’à l’os “primitif”. Douloureuse évidence d’une absence. Récit flotté en filigrane de vos poèmes dérivant vers la guerre et la solitude de ceux qui sont morts. “Le temps déroule comme un charroi de dalles”, écriviez-vous en pensant à ce déchirement laissant un trou derrière soi…
            Mais il y a aussi “des mésanges bleues qui, têtes en bas, s’en prennent aux premiers fruits rouges”.

            “Signal de retour vers le quotidien émietté.”…
            Vous habitez un songe qui n’existe que par le pouvoir des mots et la patience de l’enfance et j’aime vagabonder en ces pages.

          2. Ce soir, sur une chaîne cinéma, je reverrai : “Otto e mezzo” ( Huit et demi), ce chef-d’œuvre de Federico Fellini.
            Même travail sur la mémoire…

  2. pourquoi écrivez-vous : “voilà que soudain libres
    le nid était fardeau –
    elles fusent en grâce
    dansent sur les faîtes
    se désencombrant de l’ennui des soupentes.”

    Le nid est leur joie…

  3. Huit et demi) de Federico Fellini. C’est beau et envoûtant comme les Prisons de Piranese.

    1. C’est la caméra qui cabriole et joue entre l’enfance et l’âge adulte.
      J’ai le souvenir d’un vertige comme vous où les mots et les images semblent se pousser les uns les autres. Je me souviens aussi d’avoir beaucoup ri; reconnaissance d’une nouvelle naissance. Je n’ai dû le voir que deux fois. Ce n’est pas assez. La musique se moque, celle-là je l’ai dans l’oreille.

  4. Beaucoup aimé revoir ce grand film de Fellini. Exploration sans fin de sa mémoire pour construire son film. Tentatives vertigineuses d’appréhender le passé alors qu’autour de lui, on attend qu’il fasse des choix dans tous ces bouts d’essais. La fin comme dans le Septième Sceau de Bergman avec cette danse infernale des comédiens ambulants. Une procession folle sur la musique de Nino Rota.
    La succession des séquences comme les escaliers ou les portes des prisons imaginaires de Piranese ouvrant sur du vide. Il tâtonne dans un demi-jour parfois sépulcral. Douceur dans le film et cocasserie des souvenirs d’enfance dans l’école des 400 coups !
    quelle beauté dans les éclairages jusqu’au blanc poudré qui efface tout. Brume et crépuscule… et ce silence, à la fin, dans le film (dialogue).
    Une atmosphère de songe comme dans vos textes.
    Ah, ces hirondelles…

    1. Vous avez raison avec Piranese.
      Ah, oui, j’ai évoqué Goethe et l’os intermaxillaire dont Goethe avait fait une “plaquette”, un petit texte mais surtout avec des croquis et dessins. Dix pages. A l’époque où j’ai fait mes recherches on n’avait pas encore les moyens d’aujourd’hui et je suis sûr qu’en cherchant un peu je vais trouver une représentation de cet objet scientifique étrange. Je vous tiens au courant. C’était il y a quarante ans et je ne me souviens plus très bien; je crois que le texte de Goethe était en latin.
      Cela flotte doucement derrière moi. J’avais le coeur crevé de voir que Goethe passait pour un amateur en anatomie. Il avait fait venir de Iéna des crânes de divers animaux et les cachait dans sa chambre car sinon sa logeuse aurait poussé des hauts cris. Il avait même un crâne d’éléphant.
      Son idée était que sans cet os la mâchoire inférieure n’aurait pu s’articuler aussi largement. Qu’une fois encore, Goethe avait trouvé une chose primitive. Laquelle? Eh bien la plus importante pour un poète: le langage! Car les singes n’ont pas cet os. Ni aucun autre animal.
      Puis l’anatomie s’est développée encore et je ne sais plus ce qu’il en est; j’ai laissé la piste se perdre dans les sables. Je ne voulais pas passer pour un illuminé, un vieux savant obnubilé par son objet. Le temps a passé et je ne sais même plus si je croyais à la théorie, ce qui me fait sourire.
      Parfois je touche le haut de ma mâchoire inférieure et je pense en souriant: ne cherche plus, c’est là qu’est la poésie.
      J’ai lu un jour que Freud avait été passionné par cette histoire. Il y a entre Freud et Goethe une parenté étonnante. L’obsession de la science, le beau comme clef, et Faust bien sûr, la folie humaine, le Daimon… Et quand Freud dit: j’ai lu plus de livres d’égyptologie que de psychologie, il reprend Goethe qui disait: j’ai lu plus de livre de science que de littérature. Je crois que Freud avait besoin de lui pour appuyer ses théories et conforter son ambition de fonder scientifiquement la psychanalyse.

      1. Connaissez-vous cet incroyable musée ? Vous lisant et apprenant cette passion de Goethe, je pense à ce que j’ai pu y observer. Le réel y dépasse l’imagination… Il est à Maisons Alfort. C’est le musée Fragonard.
        Je vais tenter de vous faire suivre le lien.

    1. Désolée, Raymond, pour ces redites. Les liens ont ralenti la publication des commentaires au point que je e croyais qu’ils ne passaient pas. Que voilà un bel embouteillage !

      1. Oui j’ai vu ce musée à travers vos indications internet. C’est en effet très impressionnant. J’irai un jour pour vérifier si les anatomistes ont bien conservé la dénomination de l'”os de Goethe”.
        Peut-être avez vous raison pour cette parenté que vous décelez entre mes histoires et les textes “issue de retour” (un très beau titre !). Je ne la vois pas. Mais je fais davantage confiance aux lecteurs qu’à moi-même pour lire des textes parents des miens.
        “sa poche d’air ‘pour chantonner contre la peur'” on croirait du Pascal Quignard ! il a un mot spécial pour désigner cela, je crois qu’il l’emprunte aux descriptions des ‘vivants’ de Pompéi, il en fait tout un monde, et c’est très troublant, mais j’ai oublié le mot. il y a chez notre très cher Fellini la fameuse scène de Roma où les fresques s’effacent au souffle de l’air et qui dit le contraire: l’air apporte la terreur et cette femme qui essaie d’empêcher l’effacement des fresques en y portant les mains puis son corps. le cinéma est parfois grandiose, non, ici il faudrait trouver un autre mot, pas ‘grandiose’, je dirai: hanté par une douleur métaphysique insurmontable. Inhumain, trop humain. La tête me tourne quand j’y songe.

        1. Le lien, Raymond, je le fais avec ce beau recueil de vous “Le Chemin”. Ces dix-huit poèmes que vous avez écrits en arpentant le Chemin des Dames. Le carnage de cette guerre.
          « quand j’emprunte le chemin des dames
          je mets des semelles légères
          je leur demande l’autorisation de poser mes pas sur le champ
          je redoute en effet d’effacer les traces
          en mettant mes pas dans les leurs »
          ou encore :
          « des cris des cris des cris
          la haine aux cordes aux voyelles”
          Et ces lignes terribles :
          “ma baïonnette s’enfonce dans tes tripes pour une pauvre affaire de syllabes
          obscures barbares grossières
          mais je ne l’entends pas de cette oreille
          il rôde dans l’air de drôles de mensonges
          mein freund
          le rhin ne justifie pas la mort de l’un
          ni de l’autre »
          J’avais apprécié la version allemande du texte due à Helmut Schulze et les gouaches d’Elisabeth Detton,
          J’avais aimé que vos poèmes soient sans ponctuation ni majuscules.
          J’avais aussi retenu ces mères, ces fiancées de l’arrière, restées dans l’attente, meurtries, courageuses.
          “tombes et tranchées
          tranchées et tombes
          les lettres étaient boueuses”
          C’est “Le Chemin/ der Weg/ 14-18”, Editions Lumpen , votre plus poignant recueil.

          1. Merci de citer intégralement ce poème de “Le Chemin” que vous qualifiez de poignant. C’est un abandon de tout mon être qui en fut le moteur. Je ne me remets pas vraiment de cette période qui visite encore nos halliers. L’histoire est géographie, ici. La boue est la même, on croit entendre des voix.
            Nous venons d’en faire retirer une cinquantaine car nous voulons être prêts pour le 11 novembre.

  5. Dans le cadre de la résidence d’écrivain de Jean-Louis Giovannoni avec les élèves du lycée professionnel Paul Bert de Maisons-Alfort, dont l’EnvA est partenaire, sont nés des textes dont celui-ci , de lui , extrait de : « issue de retour » (lignes proches des vôtres dans vos ouvrages) :

    « un jour, c’est un linge empêtré dans la glaise, le cadavre d’une bête ouverte qui nous fait monter dans la bouche notre première poussée de mots (…)
    c’est là qu’est née notre écriture, dans la poussée des corps, leurs effondrements et leurs montées. là où nos mots s’engrossent, prolifèrent contre l’étouffant, l’insupportable.
    C’est là, où plus rien ne tient, qu’on a trouvé son enclave, sa poche d’air « pour chantonner contre la peur ».

    1. Quant à Jean-Louis Giovannoni, deux recueils restent en ma mémoire : “Garder le mort” “Ce lieu que les pierres regardent”. Son travail d’écriture est traversé par le corps, la mort, le temps, une longue interrogation.
      “Parmi les mots que tu écris
      Y en aura-t-il un seul
      Qui t’ouvrira le chemin
      De ce que tu ne peux voir ?
      Il est en nous un lieu
      qui ne peut être touché
      où personne ne viendra
      où seule la douleur
      peut parler”

      Un “roman” intérieur comme le vôtre…
      Il disait dans un entretien avec Anne Segal et Gérard Cartier : “les mots ne contiennent pas assez, mais ça ne veut pas dire qu’ils sont inutiles et vains. Ils ne contiennent pas assez, on n’a pas moyen de faire autrement que d’utiliser la langue, elle ne contient pas assez et en même temps, on sait qu’elle est multiple, et elle glisse constamment.”

      1. Ce que dit JLG est l’impuissance partielle à dire. Non, à faire chanter. Il y a dans ce chant impossible totalement un mythe de la résurrection, de l’éternité par les mots. Il a raison; c’est insuffisant, mais ce n’est déjà pas mal.

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