Petits textes échappés à la suite de la parution du livre

 Brassens ou Le Désaccord Parfait

Raymond Prunier

Brassens ou le désaccord parfait

Ed. Mille sources 2022

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25 € + 3 € de port

1

Il va à la dérobée. Grondant.

 Il cache sa voix à l’intérieur de sa boîte crânienne. Qui s’y intéresse à part quelques amis ?

Marchant dans Paris, ses savates traînent au pavement. Un peu désolé à trente ans de n’être pas comme tout le monde : pressé, courant à des activités salariées. On l’interroge sur son métier : « Moi, je ne fous rien ». Autre chose le cherche plutôt qu’il ne cherche sa voie.

J’ai l’impression qu’il vit là ses meilleures années ; angoissé certes, mais qui ne le serait pas? Flottant, lisant, marchant, chantant. Sans le sou.

Il est heureux du printemps qui lui ressemble, il arrive sans bruit, sans but, avec pour seul modèle le soleil qui arrose les balcons ; la lumière fait rire les femmes; il lève les yeux, elles lui sourient, il sourit en retour.

C’est le début d’une chanson.

2

On le devine dans son arrière-cour. La tête pleine de mots, baignée de mélodies, elles flottent là, au bout des lèvres, tabac, paroles et notes. Je le vois assis près de Jeanne. C’est l’impasse qu’il faut chanter. Florimont est un début ; l’impasse c’est encore lui : une voie sans issue. Un petit lieu. Un petit texte. Une chanson.

Il se rend compte tout à coup que ce lieu, chambre où il dort, est une chambre d’écho. Il s’y ébroue comme l’oiseau dans sa flaque.

Une photo le montre faisant ses ablutions ; il a l’air ailleurs, imaginant une claire fontaine et les mots pleuvent comme l’eau glacée. Il va la réchauffer de musique.

C’est le début d’une chanson.

3

Après avoir cogné contre l’armoire pour éprouver son rythme, il tapote maintenant du bout des doigts. Un perroquet (celui de Jeanne) vient lui piquer les phalanges.  Ils dialoguent.

 Tu viens me parler ? La bête pivote sur ses plumes jolies. Tu aimes mes caresses, tu as raison. Tu vois les doigts qui aèrent tes puces sont les mêmes qui font lever les notes. Aide-moi tiens, donne du piquant à mes rêves !

Or, le perroquet normalement ne répète que les phrases entendues. Mais dans la cabane de l’impasse les mots sont tout sauf banals. Les paroles qui surgissent riment. Drôles de paroles qui riment joliment. Elles ondoient sur le temps, se gravant dans l’espace inoubliable de la vie qui vole. Le perroquet approuve d’un battement d’aile qui effraie la pauvre cane. La voilà morte. 

C’est le début d’une chanson claudicante.